De Macao à Hong Kong
À défaut d'être une véritable figure tutélaire, José Baptista de Miranda e Lima (1782-1848) est un symbole. Celui qui ne quitta jamais sa terre natale et fut professeur au collège Saint-Joseph écrivit en effet ses poèmes en portugais et d'autres, plus étonnamment, en patuá, le créole local. Il mêla ainsi les langues tout comme s'étaient mêlées ses origines, sa mère étant Macanaise et son père Portugais. Son successeur, Camillo de Almeida Pessanha, né à Coimbra en 1867 mais dont le corps repose au cimetière San Miguel Arcanjo depuis 1926, contribua lui aussi à faire dialoguer les différentes communautés en donnant des traductions en portugais d'élégies chinoises. Par ailleurs, il fut l'un des dignes représentants du symbolisme portugais, ce qui se découvre dans le recueil Clepsydre (éditions La Différence). Il se dit que Pessanha influença Pessoa qu'il rencontra lors d'un de ses brefs retours au pays, et plus certainement Luiz Gonzaga Gomes (1907-1976) qui fut son élève à Macao et devint, pour sa part, traducteur du portugais vers le cantonais. Deolinda de Conceição, fille d'un commerçant de Medellín basé à Macao, se préoccupa de la condition des femmes dans ses nouvelles d'abord parues dans les journaux avant d'être réunies dans un recueil, Cheong-Sam - a Cabaia. José dos Santos Ferreira (1919-1993) dit Adé, enfant d'un couple mixte, fut le dernier à écrire en patuá, notamment des pièces de théâtre. Enfin, Henrique de Senna Fernandes (1923-2010), descendant de l'une des plus anciennes et illustres familles d'origine portugaise de Macao, navigua lui aussi entre les cultures et livra dans Nam Van - Contos de Macau un portrait vivant de la ville qui l'a vu naître et mourir. À eux tous, ils semblent démontrer que, de ce côté-ci du delta de la Rivière des Perles, la littérature a été fécondée par les liens forgés durant la colonisation portugaise.
Par contre, sur l'autre rive, les premiers écrivains venaient de Chine, dans sa vaste diversité. Certains intellectuels ont ainsi trouvé refuge à Hong Kong durant les guerres qui ont secoué le pays, et bientôt le monde entier. Ces influences venues de l'extérieur se font gage d'ouverture. Ainsi, l'effervescence favorise l'émergence d'une presse qui se fait relais des tendances occidentales et offre ses colonnes aux plumes locales. L'enseignement, quant à lui, se nourrit de l'arrivée de professeurs qui osent ouvrir de nouvelles voies de recherche littéraire. Les jeunes générations sont alors stimulées et s'aventurent à remettre en question des conventions jusqu'alors bien établies.
Convergence et effervescence
Parmi ces personnalités qui convergeront vers Hong Kong durant les premières décennies du XXe siècle et en feront un foyer intellectuel, Liao Entao fait office de patriarche car il a déjà plus de 80 ans quand il s'y installe au mitan du siècle. Malgré son âge, ce diplomate amène avec lui un vent de fraîcheur, il a en effet beaucoup voyagé et cela se ressent dans sa poésie, plutôt humoristique, qui rompt décidément avec les codes classiques. Il n'aura pas eu l'occasion de rencontrer Xu Dishan (1893-1941), son cadet de trente ans qui passera également ses dernières années à Hong Kong avant d'y succomber prématurément à une crise cardiaque. Professeur d'université, bouddhiste, spécialiste du sanskrit, partisan de l'alphabet latin et engagé dans plusieurs publications, Xu Dishan sera l'auteur d'une œuvre qualitative, tantôt historique, tantôt romantique, et plutôt composée de textes courts bien que deux de ses romans aient été portés à l'écran : Il pleut dans la montagne et Chun Tao.
Le jeune XXe siècle voit naître Liu Yichang à Shanghai en 1918. Trente ans plus tard, celui-ci emménage à Hong Kong alors britannique, prévoyant d'y implanter la maison d'édition qu'il vient tout juste de fonder. Le marché s'avère moins accueillant que prévu, il officie alors comme journaliste sans pour autant renoncer à son projet qu'il finira par mener à bien après quelques allers-retours. Outre sa carrière d'éditeur, il est également l'auteur de L'Alcoolique, œuvre ambitieuse qui puise dans le courant dit du flux de conscience. À mille lieues de la littérature populaire qu'il se désespérait de voir gangréner sa ville d'adoption, son roman rencontra pourtant un grand succès et fit de lui le chef de file du modernisme à Hong Kong. Jusqu'à sa mort en 2018, à quelques semaines de ses cent ans, il publia une trentaine de titres qui ne firent qu'appuyer sa renommée et lui valurent maintes récompenses officielles.
Au début des années 50, Ma Lang s'installe et fonde une revue audacieuse, il se fait aussi connaître grâce à ses recueils poétiques. À peu près à la même époque, arrivent, avec leur famille respective, deux enfants. La première, Xi Xi, est une adolescente née à Shanghai en 1937, qui ne tarde guère à publier dans les journaux ses poèmes. Elle poursuivra dans tous les genres, des romans aux nouvelles, des essais aux chroniques, dans une abondance qui rime avec l'envie de ne pas laisser sombrer dans l'oubli un monde déjà en train de disparaître. La nostalgie imprègne l'un de ses textes aujourd'hui étudié à l'école, une belle consécration pour celle qui fut enseignante. Le second enfant, Leung Ping-kwan, n'a que quelques mois à son arrivée, c'est donc ici qu'il grandira puis qu'il reviendra après ses études aux États-Unis. Figure importante de la vie littéraire locale, il fut un universitaire éclectique et enthousiaste, lauréat de la Médaille d'honneur de Hong Kong, et l'un des rares écrivains traduits dans notre langue (Îles et continents, et autres nouvelles, Gallimard, 2001).
Une littérature moderne
À l’inverse de ses prédécesseurs, c’est à Hong Kong que Xiaosi (Lu Wei-Iuan) voit le jour en 1939. Elle aussi voyagera, notamment au Japon où elle endossera ses fonctions de chercheuse en littérature. Outre cet important rôle académique, elle a publié une vingtaine d’ouvrages dans lesquels elle s’amusait à élaborer des métaphores animales. La plupart des écrivains de la nouvelle génération sont également nés sur place, il devient dès lors légitime de parler d’une véritable littérature hongkongaise, ce que ne démentent d’ailleurs ni une audace assez singulière, ni une rare liberté de ton. Ainsi, Wong Bik-wan a régulièrement été félicitée pour ses écrits réalistes, pour ne pas dire subversifs, tandis que Dung Kai-cheung, un autre incontournable, s’est parfois fait visionnaire. Albert Tam et Dorothy Tse s’illustrent quant à eux dans le genre fantastique, et leur cadette, Hon Lai-chu, née en 1978, est volontiers comparée à Franz Kafka ! Certains commencent à se détourner de leur langue maternelle pour écrire en anglais, et utilisent Internet à défaut des autres canaux de diffusion. L’accès aux textes, en traduction française, reste néanmoins délicat.