1968, l’année où la guerre bascule
L’incident du golfe du Tonkin (1964), au cours duquel deux destroyers américains auraient été attaqués par des vedettes nord-vietnamiennes, fournit au président Johnson le prétexte d’un engagement massif contre la République démocratique du Viêt Nam. Américains et Sud-Vietnamiens commencent à bombarder le Nord-Viêt Nam le 7 février 1965, mais ils n’arriveront jamais à interrompre complètement le trafic sur la piste Hô Chi Minh, qui approvisionne le Front national de libération (FNL) du Sud-Viêt Nam (Viêt Cong) en hommes et matériels. En 1968, on compte plus de 500 000 soldats américains engagés au Viêt Nam. L’offensive du Têt, lancée le 30 janvier 1968, marque un tournant dans la guerre. Les forces combinées du FNL et de l’Armée populaire vietnamienne attaquent plus de 100 villes à travers le pays. Pour les forces communistes, l’offensive du Têt est une défaite militaire, mais une victoire politique. Sur les campus américains, la sale guerre est de plus en plus contestée. Initiée par les étudiants et les hippies, l’opposition pacifiste à la guerre du Viêt Nam devient un véritable mouvement social. Élu en novembre 1968, le nouveau président américain, R. Nixon, négocie la fin du conflit. Signés le 27 janvier 1973, les accords de Paris marquent officiellement la fin de la guerre du Viêt Nam, mais les hostilités entre le Sud et le Nord-Viêt Nam ne prendront fin qu’avec la prise de Saigon par les forces communistes le 30 avril 1975.
« Nous nous sommes trompés, nous nous sommes horriblement trompés. »
Officiellement, 58 220 soldats américains ont perdu la vie pendant le conflit. Du côté vietnamien, les chiffres sont beaucoup plus incertains du fait de la nature de la guerre, des armes et des méthodes de combat utilisées. En 2005, les autorités vietnamiennes indiquaient qu’un million de combattants et 4 millions de civils avaient été tués. La guerre du Viêt Nam ou, pour les adversaires des États-Unis, « la guerre contre l’agression américaine pour le salut national », fut d’autant plus tragique que l’engagement américain fut la conséquence d’une vision stratégique mal fondée. Selon la « théorie des dominos » qui faisait alors autorité, il s’agissait de stopper l’expansion communiste au Sud-Viêt Nam sous peine de voir l’ensemble de l’Asie du Sud-Est tomber dans l’orbite de Pékin. Des prémisses qui faisaient bon marché de l’histoire de la région et sous-estimaient le nationalisme vietnamien. Les tensions entre le Viêt Nam et la Chine apparaissent dès la réunification et en février 1979, Deng Xiaoping déclenche une guerre punitive contre le Viêt Nam. Secrétaire à la Défense de John Kennedy puis de Lyndon Johnson de 1961 à 1968, Robert McNamara fut « l’architecte » de la guerre du Viêt Nam. « Nous nous sommes trompés, nous nous sommes horriblement trompés », écrira-t-il dans ses mémoires publiées en 1995 (Avec le recul. La tragédie du Vietnam et ses leçons, Seuil, 1996). « Mes collègues et moi décidions du destin d’une région dont nous ignorions tout »…
La sale guerre
Les relations entre le Viêt Nam et les États-Unis sont désormais apaisées, mais les cicatrices de la guerre sont toujours à vif. La guerre du Viêt Nam fut une « sale guerre ». On dit que les États-Unis y ont employé toutes les armes à l’exception de la bombe atomique. Du napalm aux bombes à billes, des bombes à fléchettes à la bombe CBU-55, testée à plusieurs reprises, qui absorbe l’oxygène de l’air et asphyxie les soldats qui auraient survécu à l’intense chaleur et à la hausse brutale de la pression atmosphérique. La guerre du Viêt Nam fut également une guerre contre l’environnement. « Trees are our enemy » (« les arbres sont notre ennemi »)… Telle fut la justification de l’opération Ranch Hand conduite entre 1962 et 1971 et au cours de laquelle l’US Air Force a pulvérisé plus de 80 millions de litres d’herbicides sur ce qui était alors le Sud-Viêt Nam et la piste Hô Chi Minh afin d’éradiquer la forêt tropicale qui protégeait les combattants. L’Agent Orange représente à lui seul plus de 60 % du volume des défoliants déversés sur le Viêt Nam. L’Agent Orange contient de la dioxine, composé hautement toxique. Il a des effets cancérigènes et tératogènes (susceptibles de provoquer des malformations à la naissance). Selon la Croix-Rouge vietnamienne, aujourd’hui, anciens combattants vietnamiens, deuxième et troisième générations d’après-guerre comprises (la quatrième commence à arriver), le pays compte entre 3 et 4 millions de victimes de l’Agent Orange, atteints de lourdes malformations et multiples pathologies. Si les États-Unis ont reconnu et dédommagé « leurs » vétérans de la guerre du Viêt Nam, eux-mêmes atteints par l’Agent Orange, ils n’ont toujours pas admis leur responsabilité pour les conséquences de la guerre chimique conduite au Viêt Nam. Depuis 2012, les États-Unis sont néanmoins engagés dans la dépollution de certaines zones contaminées. Le nettoyage de l’aéroport de Danang a été achevé en 2018. Celui de la base aérienne de Bien Hoa (près de Hô Chi Minh-Ville), ancien lieu d’entreposage de l’Agent Orange, a débuté en 2019.
Films et livres
La guerre du Viêt Nam est à l’origine d’une abondante filmographie. C’est à partir de la fin des années 1970 que les grands studios d’Hollywood commencent à produire des films sur la guerre. Sorti en 1978, Voyage au bout de l’enfer (The Deer Hunter), de Michael Cimino, est un chef-d’œuvre qui raconte l’histoire d’une bande d’amis d’origine ukrainienne orthodoxe vivant à Clairton, petite ville de Pennsylvanie. Ces derniers, ouvriers sidérurgistes, apprennent un beau jour qu’ils sont mobilisés pour aller se battre au Viêt Nam. Apocalypse Now (1979) de F. F. Coppola, inspiré de la nouvelle de J. Conrad, Au cœur des ténèbres (1899), propose une vision psychédélique du conflit. Full Metal Jacket (1987) de Stanley Kubrick décrit le parcours des jeunes recrues du corps des Marines, depuis le camp d’entraînement de Parris Island en Caroline du Sud jusqu’à leur engagement sur le champ de bataille. À 21 ans, Oliver Stone a servi comme engagé volontaire au Viêt Nam et ce vécu aura un impact considérable sur sa carrière de réalisateur. Avec Platoon (1986), Né un 4 juillet (1989) et Entre ciel et terre (1993) il livre une trilogie qui explore trois facettes du confit. The Vietnam War (Netflix, 2017) de Ken Burns et Lynn Novick est une vaste fresque documentaire en dix épisodes qui retrace l’histoire de la guerre du Viêt Nam, depuis la défaite française à Diên Biên Phu en 1954 jusqu’à la débâcle américaine à Saigon, le 30 avril 1975. Elle a suscité des commentaires mitigés de la part des spécialistes, du fait de certaines approximations historiques. On évoquera enfin deux films français. Le premier, La section Anderson, est un documentaire de P. Schoendoerffer, diffusé début 1967 dans l’émission Cinq Colonnes à la une. Il a obtenu en 1968 l’Oscar du meilleur film documentaire. P. Schoendoerffer, vétéran de la guerre d’Indochine, filme pendant six semaines la progression d’une section de trente hommes commandée par le lieutenant Anderson, au sein de la 1st Cav’ (First Cavalry Division). Le second film, Les Âmes errantes (2005), réalisé par Boris Lojkine, traite de la quête douloureuse des corps des soldats nord-vietnamiens disparus et laissés sans sépulture (Les Films du Paradoxe, 2007).
Quant aux lectures, on retiendra L’innocence perdue. Un Américain au Viêt Nam (Seuil, 1990) du journaliste Neil Sheehan, un livre culte qui retrace le conflit à travers la biographie d’un homme exceptionnel, John Paul Vann, qui fut conseiller spécial au Sud-Viêt Nam de 1962 à 1972. Et s’il ne fallait retenir qu’un seul livre, ce serait sans doute Le chagrin de la guerre de Bao Ninh (Philippe Picquier), une œuvre superbe, qui fut le premier témoignage sur les combats du côté de l’armée du Nord-Viêt Nam. Bao Ninh est l’un des dix survivants de la 27e Brigade Glorieuse de la Jeunesse, sur cinq cents partis en 1969. « En commençant ce premier roman, avait-il l’intention d’écrire un roman d’après-guerre [...]. Mais, irrésistiblement, les pages du manuscrit se remplissaient de morts, s’enfonçaient lentement dans la jungle. »