Découvrez le Nord : Religions

Le Viêt Nam est un pays où se pratiquent des cultes extrêmement divers que les années de communisme n’ont pu étouffer. Importés de Chine, le confucianisme, le taoïsme et le bouddhisme mahayana (« Grand véhicule ») ont été adoptés et adaptés pour former les « trois religions fondamentales » (tam giao) du Viêt Nam traditionnel. Mais ces grandes doctrines n’ont pas éradiqué un fonds endogène plus ancien où se mêlent des pratiques animistes, le culte des ancêtres et celui des génies (thân) qui hantent le ciel et la terre. Le pays a ensuite évolué dans un véritable syncrétisme religieux : les Vietnamiens, sans y voir de contradiction, se référent au confucianisme, intègrent religions, pratiques superstitieuses et marxisme-léninisme, honorent leurs ancêtres, les souffles vitaux, l’Oncle Hô (Chi Minh), la Vierge, l’Empereur de Jade, Victor Hugo, Bouddha, Jésus et les héros nationaux qui ont lutté pour l’indépendance du pays.

L’État et les religions

Le bouddhisme regroupe environ 10 % de la population ; le catholicisme, environ 8 % de la population ; le protestantisme, environ 0,5 % de la population ; l’islam, moins de 100 000 fidèles. Du côté des sectes, essentiellement présentes dans le delta du Mékong, le caodaïsme représente environ 2 % de la population et le bouddhisme Hoa Hao, 1,5 %. À noter que les données statistiques concernant les appartenances religieuses au Viêt Nam varient en fonction des sources. Ainsi, selon certaines sources gouvernementales, plus de 80 % des citoyens vietnamiens se déclarent « sans religion ». Les enquêtes sociologiques relatives à la pratique religieuse au Viêt Nam se heurtent le plus souvent à la censure des autorités. Il ne faut pas non plus exclure les appartenances multiples : certains athées déclarés fréquentent volontiers l’église et (ou) la pagode et pratiquent le culte des ancêtres.

La vie religieuse au Viêt Nam demeure sous haute surveillance. La nouvelle loi sur les croyances et la religion, adoptée par l’Assemblée nationale en novembre 2016, est entrée en application le 1er janvier 2018. Désormais, les organisations religieuses disposent d’un statut légal les dispensant de s’enregistrer auprès du gouvernement. La loi précise également que « sont (...) interdites les activités religieuses portant atteinte à la défense nationale, à l’ordre et à la sécurité publique, à l’environnement, à la morale ainsi que les activités pouvant nuire à la société, à la santé ou mettant en péril la vie humaine ». Les communautés religieuses et de nombreuses associations ont exprimé des jugements très critiques sur cette loi accusée de constituer un écran de fumée pour la répression. Certaines expressions comme « sécurité publique » ne recouvrent aucune signification particulière et permettent d’utiliser cette loi contre les opposants politiques. Dans les faits, la situation en matière de liberté religieuse dépend beaucoup des autorités locales. Dans les hauts plateaux du Tây Nguyên, la progression du protestantisme évangélique au sein des minorités ethniques est particulièrement surveillée. Les forces de sécurité – souvent en civil – n’hésitent pas à intervenir violemment contre certaines personnalités religieuses jugées hostiles à l’État et au Parti communiste ou alors dans le cas des disputes foncières qui opposent l’État et les communautés religieuses dépossédées arbitrairement de leurs propriétés.

Le culte des ancêtres

La vie spirituelle quotidienne des Vietnamiens est liée au culte des ancêtres, à l’adoration des génies et au respect du calendrier lunaire qui rythme les cycles, les fêtes et les saisons. Souvent associé à tort au bouddhisme ou aux valeurs du confucianisme, le culte des ancêtres tel qu’il est pratiqué au Viêt Nam est en fait antérieur à l’implantation de ces préceptes religieux et moraux. Il représente la croyance fondamentale des Vietnamiens et repose sur la conviction que l’âme du défunt survit après la mort et protège sa descendance. L’âme, après la disparition du corps, entreprend un long voyage vers le domaine des cieux, séjour des immortels, d’où elle pourra occasionnellement redescendre pour porter secours à la famille. Les âmes errantes ont besoin des hommages, des prières et des offrandes des vivants pour sortir triomphantes de ces migrations et déjouer les pièges que leur tendent les esprits malfaisants. Chaque foyer dispose d’un autel des ancêtres (ban tho). On y trouve les photographies des défunts, des tablettes funéraires où siège l’âme des disparus, des chandeliers, des offrandes, fruits et fleurs, et quelques baguettes d’encens.

Le culte des génies

La croyance aux esprits repose quant à elle sur la conception d’un monde bipolaire constitué d’un monde visible, « l’ici-bas », et d’un monde invisible, peuplé d’êtres surnaturels de diverses origines. Chaque village en possède un ou plusieurs, logés dans des espaces consacrés ou dans des temples qui leur sont dédiés. Il y a le génie du vent, celui des moissons, du mariage, de la fertilité, et tous les génies malfaisants… Dans les maisons, l’autel de « la triade domestique » (à ne pas confondre avec l’autel des ancêtres), chargé d’offrandes, honore le génie du foyer, le génie du sol et la déesse de la terre. Les génies ne demeurent pas dans les maisons ou temples en permanence, leur effigie n’y est présente qu’au moment des fêtes et des cérémonies importantes. Le reste du temps, ils vivent en solitaires dans des sortes de petites niches de pierre, à l’extérieur de la maison ou à la sortie des villages. Les jours de fête, on les porte en cortège jusqu’au village, parés de leurs plus beaux atours.

Bouddhisme

Le bouddhisme est apparu au Viêt Nam vers le IIe siècle de notre ère. Il emprunta les voies terrestres et maritimes suivies par les marchands indiens au sud, et au nord par les moines itinérants chinois se rendant de Canton en Inde ou au Tibet via le Tonkin. Le bouddhisme s’imposa lentement dans la population vietnamienne, longtemps restée fidèle à ses traditions animistes. Il ne devint vraiment populaire que vers le Xe siècle, époque où il devint religion officielle, en particulier sous la dynastie des Ly (1009-1225). Le XIIe siècle vit la construction de nombreux temples (den) et pagodes (chua). Vers le XVe siècle, l’influence bouddhique déclina au profit de celle du confucianisme qui devint l’idéologie dominante.

Aujourd’hui, près de 80 % de la population vietnamienne se dit bouddhiste (environ 10 millions d’adeptes). La doctrine originelle reste cependant réservée à une minorité qui pratique la méditation (environ 10 %). Les classes populaires prient Bouddha en brûlant des bâtons d’encens et en n’oubliant pas d’y adjoindre le culte des ancêtres et des esprits. Parallèlement à Gautama, les dévotions s’adressent à plusieurs bouddhas et particulièrement à Amitâbha (Quân Am), déesse de la Miséricorde, donneuse d’enfants.

Le contrôle des autorités s’exerce de façon étroite sur le bouddhisme, qui reste la principale religion du pays. Une église dissidente, l’Église bouddhiste unifiée du Viêt Nam (EBUV), dont le dissident Thich Quang Do est l’un des responsables, prend fréquemment position sur les droits de l’homme, et certains de ses membres sont souvent jugés et emprisonnés pour « atteintes aux intérêts de l’État ». L’EBUV a été interdite au Viêt Nam en 1981, après la mise en place de l’Église bouddhiste du Viêt Nam (EBV), seule organisation bouddhiste autorisée par les autorités communistes.

Catholicisme

En vietnamien, Thiên chua giao (la religion du Maître du Ciel), Ki tô giao (de Christos ou Christ, prononcé Ki tô en vietnamien) ou Công giao (religion commune pour traduire le sens originel de catholique : universel), le catholicisme représente environ 7 millions de fidèles. Grâce à un édit proscrivant le christianisme et visant un « homme de l’Océan du nom de I-ni-Khu », on sait que le premier prêtre qui pénétra au Viêt Nam le fit avant 1533, qu’il s’appelait Ignace, qu’il était probablement portugais et vraisemblablement arrivé via Malacca conquise par Albuquerque en 1511. C’est au XVIIe siècle, et à travers les jésuites portugais venus de Macao que le catholicisme vietnamien prit vraiment son essor. C’est dans ce cadre que s’inscrit la haute figure d’Alexandre de Rhodes, qui inspira en 1664 la fondation des Missions étrangères de Paris (MEP) auxquelles fut confiée l’évangélisation du pays.

Sous la dynastie des Nguyên, l’empereur Minh Mang sera à l’origine d’une longue période de persécutions envers les communautés catholiques vietnamiennes. Dans la logique confucéenne, en refusant le culte des ancêtres, les catholiques vietnamiens touchaient au fondement de la légitimité royale. Agents subversifs, ils furent également accusés d’être les fourriers de l’agression française. Les persécutions et les massacres se poursuivirent jusque dans les années 1885-1886. En 1988, le pape Jean-Paul II procéda à la canonisation de 117 martyrs vietnamiens morts dans les supplices entre 1745 et 1862. Le gouvernement vietnamien a refusé de reconnaître ces canonisations, car elles concernaient « les valets des colonialistes français […] condamnés à mort pour haute trahison envers la Patrie ». Ces circonstances historiques marqueront durablement la nature des relations entre l’Église vietnamienne et le pouvoir politique. En 1954, à la suite des accords de Genève, la très grande majorité des catholiques préféra quitter le Nord communiste et s’exiler dans le Sud tenu par le régime de Saigon. Après la complicité avec le colonialisme français, le pouvoir communiste dénoncera la collusion avec l’impérialisme américain. Les relations entre l’État communiste et les catholiques vietnamiens se sont améliorées même si elles connaissent des périodes de tensions, du fait notamment des contentieux liés à la confiscation des propriétés de l’Église par l’État. Le 25 janvier 2007, le Premier ministre Nguyên Tân Dung effectuait une visite officielle au Vatican, où il était le premier représentant du régime communiste de Hanoi reçu par un souverain pontife. Cette rencontre marquait une étape importante dans le possible établissement de relations diplomatiques entre le Viêt Nam et le Saint-Siège. Lors du consistoire du 14 février 2015, Mgr Pierre Nguyên Van Nhon (76 ans), archevêque de Hanoi, a été promu à la dignité cardinalice par le pape François.

Protestantisme

Introduit au Viêt Nam en 1911, à Da Nang, avec le début des activités missionnaires de la Christian and Missionary Alliance (CMA), une mission protestante évangélique américaine, toujours active aujourd’hui. La communauté des chrétiens évangélistes au Viêt Nam s’est considérablement développée au cours des dernières décennies et représente plus d’un million de fidèles. Les progrès les plus remarquables ont eu lieu au sein de la minorité Hmông. Chez certaines ethnies (Hmông, Dao, ethnies des hauts plateaux du Tây Nguyên), le protestantisme va de pair avec des revendications d’indépendance soutenues par les diasporas réfugiées aux États-Unis. Elles pratiquent un lobbying intensif auprès du Congrès, et les relations entre les Églises évangéliques et le gouvernement vietnamien sont marquées par l’intervention de l’ambassade des États-Unis, constituant souvent un point de friction entre les deux pays. Le gouvernement veille à contrôler strictement le mouvement par la destruction systématique des lieux de culte jugés illégaux et par la reconnaissance juridique (en fait, mise sous tutelle) de l’Église évangélique vietnamienne du Sud depuis 2001.

Islam

Voisin du plus grand pays musulman du monde, l’Indonésie, le Viêt Nam ne compte qu’une communauté musulmane restreinte de moins de 100 000 fidèles. L’islam aurait été introduit dans les royaumes du Champa dès la fin du Xe siècle, mais ne se serait véritablement développé qu’au XVe, à l’époque du déclin de ces royaumes. Nombre de Cham, dont la religion originelle est le brahmanisme, avaient alors émigré dans le royaume khmer (le Cambodge) où ils auraient été convertis à l’islam par des Malais musulmans. De retour dans leur pays, ils furent à l’origine d’une première petite communauté de musulmans au sein de royaumes restés majoritairement fidèles au brahmanisme. Au XVIIIe siècle, conséquence des conflits entre royaumes khmer et vietnamien, une autre communauté d’importance trouva refuge autour de ce qui est aujourd’hui la ville vietnamienne de Châu Dôc.

Cham Ba ni et Cham islam. Ces différentes circonstances historiques expliquent la formation de deux blocs de Cham musulmans au Viêt Nam : les Cham Ba ni dans le Centre (Ninh Thuân et Binh Thuân) et les Cham islam dans le Sud, autour de Châu Dôc et de Hô Chi Minh-Ville. Les premiers pratiquent un islam très hétérodoxe, influencé par le brahmanisme et les traditions autochtones. Les rites musulmans sont déformés et la communauté vit en marge du monde islamique, ne connaissant pas l’arabe et n’effectuant pas de pèlerinage. Les femmes vont à la mosquée et choisissent leur mari qui doit vivre dans la maison de la famille de sa femme. Les Cham islam, en revanche, très influencés par la Malaisie, observent strictement les rites islamiques. Selon les sources gouvernementales, Hô Chi Minh-Ville compte aujourd’hui 14 mosquées ; la communauté musulmane vietnamienne comprend une centaine de milliers de fidèles, lesquels se répartissent pour moitié entre Cham islam et Cham Ba ni.

Caodaïsme

Religion syncrétique et millénariste fondée en Cochinchine (sud du Viêt Nam actuel) en 1925, par Ngô Minh Chiêu, fonctionnaire de l’administration coloniale, qui aurait eu plusieurs apparitions et serait entré en contact avec un esprit nommé Cao Dai qui demandait à être représenté sous la forme d’un œil symbolique. D’inspiration bouddhiste, le caodaïsme est un syncrétisme religieux qui place toutes les religions pratiquées au Viêt Nam sous l’autorité suprême de Cao Dai. Le caodaïsme, religion commune à tous, représente la dernière révélation divine. La doctrine s’inspire également de systèmes de croyances occidentaux, tels que le christianisme et la franc-maçonnerie et on retrouve sur le même plan les prophètes, Jésus, Mahomet et Confucius, les saints, Victor Hugo, Sun Yat Sen, Jeanne d’Arc, Pasteur, Lénine et Winston Churchill… Le caodaïsme subit plusieurs schismes à partir d’avril 1926. La branche de Tây Ninh, dont le Saint-Siège est installé dans la province éponyme (delta du Mékong), réussit toutefois à imposer son hégémonie sur ses rivales. Outre son aspect religieux, cette communauté joua un rôle politique important. Pendant l’occupation japonaise, la secte, qui a fondé une milice, était hostile aux Français. Durant la première guerre d’Indochine, elle se rangea plus ou moins à leurs côtés en échange d’une autonomie de fait pour la région de Tây Ninh. En 1955, la reprise en main des sectes par Ngô Dinh Diem aboutit à la dissolution de la milice, qui fut rétablie après l’assassinat de Diem et conduisit des actions anticommunistes. Cette communauté, qui fut persécutée après 1975, retrouve actuellement une certaine liberté et compte environ 2 millions d’adeptes.

Hoa Hao

S’inspirant du bouddhisme, cette secte à caractère nationaliste fut fondée en 1937 par Huynh Phu Sô (1920-1947), dit « le bonze fou », originaire du village de Hoa Hao, province de Châu Dôc, dans le delta du Mékong. Après avoir collaboré avec les Japonais pendant la Seconde Guerre mondiale, Huynh Phu Sô, hostile aux Français, fonda en juin 1946 le Parti national-socialiste vietnamien (Dân Xa) qui s’appuyait sur une milice armée de 50 000 hommes. En 1947, Huynh Phu Sô fut assassiné par le Viêt-minh qui voyait en lui un rival dangereux. Son successeur, Nam Lua (Cinq Feux), se ralliera aux Français qui le nommèrent général.

La doctrine des Hoa Hao se fonde sur les prophéties commentées de Huynh Phu Sô. Celui-ci prêche un bouddhisme purifié et préconise l’abandon de toute superstition, la simplicité des rites et des cérémonies religieuses. Les 1,5 million d’adeptes (dans le delta du Mékong principalement) prient deux fois par jour. En signe de respect envers les ancêtres, les hommes ne doivent se couper ni la barbe ni les cheveux.

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