Découvrez le Cap-Vert : Cesária Évora

Imaginez que l’on vous demande de citer un personnage célèbre cap-verdien : le premier nom qui viendrait spontanément à l’esprit serait celui de la chanteuse Cesária Évora, à n’en point douter. José Maria Neves, président de la République du Cap-Vert, a dit, en évoquant cette artiste emblématique, qu’elle était « l’étoile la plus brillante de la constellation de la culture du Cap-Vert ». En cela, on ne peut le contredire, car la chanteuse est pratiquement le seul talent à avoir porté la musique cap-verdienne au-delà des frontières et des territoires lusophones, du moins à une certaine époque. Qui n’a jamais été envoûté par la mélodie si mélancolique de Sodade, son titre phare qui a fait le tour du globe, et sa voix au timbre incomparable ? Au même titre qu’Amália, sa consœur portugaise, Cesária restera la grande dame nationale, irremplaçable dans le cœur des Cap-Verdiens, marquant le monde de la musique à jamais.

Entre enfance modeste et débuts difficiles

Rien pourtant ne prédestinait cette femme à devenir un jour « a rainha da morna », la reine de la morna. Issue d’une famille très modeste et d’une fratrie de 7 enfants, Cesária sera placée dans un orphelinat dès son plus jeune âge. C’est là qu’elle s’initie à la musique en chantant dans la chorale et qu’elle se familiarise avec les musiques traditionnelles de son pays.
Le père de Cize pour les intimes, était lui-même guitariste de morna, mélange plaintif de fado et de blues, qui porte la souffrance du peuple. C’est en 1958, à la mort du cousin de son père, le poète Francisco da Cruz surnommé B. Leza, qu’elle commence à développer sa sensibilité artistique si particulière et à se produire dans les bars où sa rémunération se réduit la plupart du temps à du tabac et quelques verres de grogue.
Une promenade dans les rues de Mindelo nous entraîne à la rencontre de la femme humble qui se cachait derrière la star. Son visage placardé sur les murs indique que nous sommes devant des lieux qui ont compté dans sa vie, comme le Café Royal. La scène, décorée d'une fresque à son effigie, nous ramène à sa jeunesse, lorsqu'elle croise son premier amour, João Chalino, qui devint son compagnon de sérénade. Sa voix était réclamée dans tous les bars, comme le Salão Gia ou le Piano Bar, et sur les bateaux du port.

Son talent enfin révélé au public

Dans les années 60, un découvreur de talents, Gregorio Gonçalves, dit Ti Goy, lui composera un répertoire original sur mesure, avec des mélodies qu’elle continuera de performer jusqu’à la fin. « Je les chante depuis si longtemps qu’elles font partie de moi, peut-être m’ont-elles porté bonheur ? », disait-elle. Dans les années 70, après un passage à la radio, sa notoriété se propagera jusqu’au Portugal et deux disques verront le jour. Mais elle n’en tirera pas grand bénéfice, et la désillusion et l'alcool la feront disparaître de la scène musicale pendant onze années, durant lesquelles elle se réfugie chez sa mère avec ses enfants.
À environ 45 ans, sa chance commence à tourner lorsque l'impresario musical Bana l'invite à se produire dans la capitale portugaise avec d’autres compatriotes. C’est là qu’elle rencontrera José da Silva, son futur manager, mentor et ami, qui sera conquis par son talent et son charisme. Il la sortira de la misère et de ses addictions et la conduira sur les chemins de la gloire.

Une reconnaissance internationale sur le tard

Ses débuts sur la scène internationale auront lieu en 1992, l’année où le public la découvre grâce à la parution de son troisième album, Miss Perfumado, et c’est à ce moment-là qu’elle entamera une vie itinérante et se verra enfin propulsée au rang de star mondiale.
En 2009, elle sort l’album Nha Sentimento qui reçoit des critiques dithyrambiques. À 67 ans, elle se verra octroyer la médaille de la Légion d’honneur par la ministre de la Culture qui lui tiendra ce discours : « Votre histoire est devenue une légende. Celle de la victoire du talent sur la fatalité. Conjurer le sort par la musique, c'est ce que vous avez fait toute votre vie. »
Mais entre les tournées, elle réintégrait toujours son cher petit pays. Sur la Plaça Estrela, où les femmes vendent des légumes, elle se rendait avec son tablier rempli d'escudos pour acheter des produits frais à donner aux nécessiteux qu'elle aidait sans relâche. Dans le petit Núcleo Museológico Cesária Évora, inauguré en 2015 et géré par sa petite-fille Janette, se trouve une collection d'objets personnels qui nous parlent des deux facettes de Cize : son côté plus humain, comme les vêtements qu'elle portait quand elle se promenait dans les rues de Mindelo, son cendrier, son verre à grogue préféré..., et les souvenirs de sa carrière professionnelle, comme ses passeports diplomatiques et des robes portées lors de ses spectacles. Le Palacio do Povo accueille également une exposition permanente d'objets ayant appartenu à l'artiste.

La diva aux pieds nus

Surnommée la « diva aux pieds nus », – à cause de son aversion pour les chaussures pour les uns, en geste de solidarité avec les pauvres pour les autres –, elle avait pour habitude de répondre aux journalistes qu’elle ne voyait rien d’anormal à cela. Désormais, le 27 août, jour de commémoration de son anniversaire, ses fans ont décidé de lui rendre hommage en passant la journée entière pieds nus.  
Malgré ses 5 millions d’albums vendus à travers le monde et l’admiration d’artistes comme Madonna qui l’invitera à chanter à son anniversaire, Cesária a toujours refusé de faire partie du star-system et du monde des paillettes, lui préférant la simplicité. Son immense popularité ne l’empêche pas de vivre à Mindelo, toujours fidèle à son île natale, loin du luxe, comme une personne lambda, proche de la population et aimant passer du temps dans les bars qu’elle n’a jamais cessé de fréquenter.

Une femme simple devenue une légende

Le 17 décembre 2011 a été un jour de deuil national au Cap-Vert. Cesária, la femme qui est née et morte dans l'humilité et qui repose aux côtés de sa mère dans une tombe sans ornement du cimetière de Mindelo, s'est éteinte à l’âge de 70 ans. À la place, on a allumé l'étoile d’un mythe, qui brille désormais dans tous les coins de cet archipel.
Cesária Évora s’est imposée comme la figure qui a contribué à populariser un style méconnu. Elle sera vite adulée par toutes les générations et continue d’inspirer les jeunes artistes. Le chanteur Stromae lui rend un généreux hommage en lui accordant toute une chanson « Ave Cesária ». Pour l’anecdote, ce sont les musiciens de la chanteuse qui accompagnent le chanteur belge.
Il est rare qu'un artiste en fasse davantage pour son peuple que la classe politique. C'est ce qui s'est passé avec Cesária Évora : depuis sa représentation dans un théâtre parisien, les gens ont appris à placer la nation-archipel sur une mappemonde. Elle a ouvert la route à d'autres générations de musiciens, qui, dans son sillage, bénéficient désormais d'un impact social et commercial au-delà des frontières.
Inextricablement liée à ses racines, Cize chantait de façon poignante, la mer, l’amour et les déchirures de l’exil, la mort et l’oubli, de sa voix chaloupée reconnaissable entre mille. Nul doute que toutes ses chansons continueront de célébrer le Cap-Vert à travers le monde, avec un air de sodade

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