Un patchwork de plus de 60 ethnies
« Patchwork », « mosaïque », « kaléidoscope » d'ethnies et de peuples différents : les dénominations ne manquent pas pour mettre en avant la diversité du tissu socio-culturel ivoirien. Bien que l'on parle généralement de soixante ethnies, aucun chiffre officiel ne peut donner un ratio précis et les effectifs hésitent toujours entre cinquante et quatre-vingts, en incluant les sous-groupes des diverses familles ethniques. Néanmoins, derrière l'apparente complexité de cette géographie humaine, on peut distinguer quatre grands ensembles ethniques et linguistiques qui forment une trame simplifiant la lecture des différents peuplements de la Côte d'Ivoire : il s'agit des Akans, des Gours, des Mandés et des Krous.
La grande famille des Akan
Concentrés dans le quart sud-est du pays, les Akans constituent le groupe ethnique majoritaire de Côte d'Ivoire puisqu'ils représentent à eux seuls 38 % de la population, selon l'Institut national de la statistique de Côte d'Ivoire. Ils ont émigré sur l'actuel territoire ivoirien par vagues successives depuis le royaume des Ashantis dans l'actuel Ghana, entre la fin du XVIIe siècle et le milieu du XVIIIe siècle, lorsque celui-ci était à son apogée.
On distingue trois grands groupes au sein des Akans.
Les Akans dits frontaliers, qui rassemblent les Abrons et les Agnis-Bafrés, qui fondèrent le royaume du Sanwi à la fin du XVIIe siècle, sont les premiers à s'installer.
Les Akans du centre (ou Baoulés), guidés par la reine Pokou au XVIIIe siècle, viennent du Ghana en franchissant le fleuve Comoé pour fuir les guerres de succession du royaume Ashanti.
Les Akans lagunaires, rassemblant plusieurs petites ethnies majoritairement originaires de l'est, elles aussi, bien que d'origines plus diverses et à des époques variées. Leur présence est donc plus fragmentée. Parmi elles, on retrouve notamment les Adioukrous et les Abidjis (venus de l'ouest), les Attiés, les Abbeys, les Alladians, les Ébriés, les Abourés, les Éhotilés et les N'Zimas (aussi appelés Apolloniens).
Modèle sociétal. Chez les Akans, il est organisé en lignages matrilinéaires répartis en plusieurs clans, constitués en royaumes dont l'influence s'étend aux villages et provinces environnants. Le système des classes d'âge, garant de paix, de stabilité politique et de respect des valeurs, régit le fonctionnement social des Akans lagunaires. Ce système permet l'exercice d'une démocratie villageoise et tribale par l'instauration de l'égalité politique et le renouvellement périodique du corps politique, avec un pouvoir assumé par rotation sur une durée de temps limitée.
Le Roi exerce un pouvoir collégial, puisqu'il règne conjointement avec la reine mère et est assisté dans l'exercice de son pouvoir par un conseil privé constitué des chefs de famille de son clan, et un conseil de gouvernement, formé des chefs des grandes provinces du royaume. Les attributs du pouvoir sont le tabouret, ou bia, qui symbolise l'autorité politique et religieuse du roi ; le paquet contenant les poids à peser l'or, ou dja (symbole du pouvoir économique du souverain régnant) ; et le sabre d'apparat, un cimeterre, symbole de la force militaire. C'est en se soumettant à ce sabre que les peuples vaincus et leurs chefs prêtaient serment de fidélité et d'allégeance.
L'agriculture des Akans est essentiellement vivrière, basée sur l'igname, la banane plantain, le manioc et autres cultures secondaires. Chez les lagunaires, la pêche reste l'activité dominante. Au niveau de l'artisanat, les Akans se distinguent par le travail de la sculpture sur bois, le tissage avec les grands pagnes à damiers baoulés ou bassamois (venus aussi du royaume Ashanti), et des traditions musicales et chorégraphiques très élaborées (tambours parleurs, danses d'initiation). La religion, enfin, comme dans beaucoup d'ethnies, est fondée sur la croyance en un dieu unique, force immanente au vouloir et au pouvoir des divinités secondaires et des hommes.
Les Gours ou Voltaïques venus du Nord
Les Gours ou Voltaïques (dérivé de l'ancien nom colonial du Burkina Faso, la « Haute Volta »), que l'on retrouve principalement dans le nord-est du pays, constituent l'un des plus anciens peuples de Côte d'Ivoire. Ils représentent 21 % de la population selon l'INS. Parmi eux, on distingue trois sous-groupes : les Sénoufos, Lorhons-Koulangos et les Lobis. Mais le patchwork des ethnies est vaste : Gbin, Niarafolo, Ténéwéré, Nafana, Tiembara, Degha, Lohon, Tagouana, Djamala, Djimini, Birifor, Samassogo, Djafolo, Camara…
Les Sénoufos occupent la partie centrale du Nord ivoirien, débordant sur le Mali et le Burkina Faso voisins. Principalement les villes de Korhogo, Ferkessédougou, Boundiali, Madiani, Séguélon, Katiola… Les Sénoufos furent les premiers à s'installer dans le pays. Leurs ancêtres étaient les Pallaka (ou Falafala) et les Myoro qui vivaient de la chasse et de la cueillette. Ils étaient semi-nomades et partirent du Mali pour s'orienter vers le sud au XIe ou au XIIe siècle, où le gibier était plus abondant, avant de se retrouver bloqués par la forêt tropicale. L'arrivée précoce des Mandés dans le nord du pays à la chute de l'Empire du Mali a fait que les deux familles ethniques se sont influencées et ont cohabité au fil des siècles.
Les Lorhons-Koulangos (« ceux qui n'ont pas peur de la mort »), proches parents des Sénoufos, sont principalement répartis dans l'angle nord-est à la jonction des trois frontières Côte d'Ivoire Burkina et Mali, et présents à Bondoukou. Les Lorhons, ancêtres des Koulangos, feraient partie des premiers occupants de la région, depuis plus de 2000 ans. Selon la tradition orale, le guerrier Bounkani, né d'une mère lorhon et d'un père dagomba (ethnie de l'actuel nord du Ghana), a fondé au début du XVIIe siècle le royaume koulango de Bouna. Les Koulangos, à l'origine animistes, ont opéré, sous la pression de la culture mandé-dioula, une conversion massive à l'islam, sans pour autant renoncer au culte des esprits de la nature qu'ils perpétuent à travers des sociétés secrètes chargées de l'initiation et dont les masques sont la principale émanation et expression artistique.
Les Lobis. Originaires de l'actuel nord du Ghana, ils sont majoritairement concentrés dans la région de Bouna. On trouve notamment plusieurs villages lobis dans le Parc national de la Comoé. Peuple nomade par excellence, ils se répartissent entre la Côte d'Ivoire et le Burkina Faso voisin. Ils auraient pénétré en Côte d'Ivoire par vagues successives depuis le XVIIIe siècle. Farouches guerriers réputés pour être d'excellents cultivateurs et tout naturellement de redoutables chasseurs, ces paysans sans chef ont vite fait de submerger les Koulangos autochtones et de les réduire en esclavage.
Modèle sociétal. Chez les Gours, il est organisé en groupes de filiation matrilinéaire unis par des mariages patrilocaux, bien que ce trait commun à de nombreux peuples voltaïques ait été masqué chez les Koulangos par la dynastie d'origine dagomba qui a importé un système de succession patrilinéaire à l'établissement du royaume de Bouna. Les lignages sont soudés par le culte des ancêtres et surtout celui, prégnant, des esprits de la nature, pérennisé par de grandes sociétés secrètes chargées des initiations, comme le poro des Sénoufos et le dyoro des Lobis. Les Gours ont développé d'égales compétences dans les domaines de l'agriculture et de l'artisanat, qui sous-tendent toute la vie villageoise.
Les Mandés au nord et nord-ouest
Ils représentent 28 % de la population selon l'INS. Principalement localisés dans le nord-ouest et le nord-est du pays, leur présence en Côte d'Ivoire correspond à quelques avancées extrêmes du monde mandingue, essentiellement centré sur le Mali, la Haute-Guinée et le Haut-Niger. On distingue les Mandés du nord (ethnies Malinké, Bamana, Dioula, Bambara, Koyaka, Mahouka...) et les Mandés du sud (Dan aussi appelés Yacouba, Toura, Gouro, Gagou...).
Les Malinkés, occupant tout le Nord-Ouest, sont les plus nombreux. On distingue les Malinkés « orientaux », concentrés dans les régions de Kong, Bouna et Bondoukou, et les Malinkés « occidentaux » (les plus nombreux), principalement présents à Séguéla, Touba et Odienné.
Les Dioulas, eux, sont historiquement localisés à Kong, mais aussi du côté de Bouna et de Bondoukou, cités marchandes au sein desquelles ils fondèrent d'importantes colonies dans le passé. De par leur activité marchande, on les retrouve dans tout le nord (autour de Korhogo) et l'ouest (autour de Man).
Les Koyakas. Ils sont concentrés à l'origine dans la région du Worodougou, autour des villes de Mankono et Séguéla, parfois jusqu'à Touba. La danse sacrée des koyaka est Doh, cette danse se fait pendant la période du ramadan (le mois de jeûne des musulmans).
Modèle sociétal. La société mandingue est organisée en lignages patrilinéaires regroupés en différents clans, eux-mêmes constitués en villages agglomérés en cantons. La stratification sociale différencie traditionnellement les nobles des castes artisanes (griots, forgerons, cordonniers) et des esclaves, mais la hiérarchisation en apparence très stricte de ce système est rendue ambivalente par tout un jeu de relations verticales court-circuitant les catégorisations socio-professionnelles. Les Dioulas, spécialisés dans le commerce, forment avec les chasseurs des associations professionnelles qui ont un rôle très important au sein de la société. Dans le domaine des arts, les Mandingues pratiquent la sculpture sur bois, mais excellent surtout dans le travail du fer et le tissage. Leur religion traditionnelle est fondée sur le culte des ancêtres et les sociétés d'initiation, pratiques qu'ils ont su préserver tout en adhérant à l'islam dans un syncrétisme harmonieux. Les Mandés du sud, eux, occupent les zones forestières du Centre sud-ouest : parmi eux, on retient surtout les Dans (ou Yacoubas) et les Touras, localisés dans les régions montagneuses de l'Ouest. À l'instar des Krous, ils se caractérisent par une civilisation essentiellement forestière et une absence de pouvoir central. Leur organisation sociale repose sur des structures lignagères en principe toutes égales entre elles. Le village constitue la principale entité politique et les différentes fonctions rituelles et/ou politiques se répartissent entre les lignages, la primauté allant souvent au lignage des fondateurs du village. Leur activité économique repose principalement sur la cueillette, ainsi que sur la culture du riz et des tubercules. Leur religion est fondée sur la croyance en un dieu tout-puissant s'exprimant par le biais des esprits de la nature et des ancêtres, incarnés par les nombreux masques, tous de superbe facture.
Les Krous au centre-sud et centre-ouest
Ils représentent 11 % de la population selon l'INS. On peut diviser l'ethnie Krou, en deux grands ensembles, composés de 21 tribus de langues apparentées, dont 6 ethnies en territoire libérien et 15 sur le sol ivoirien. En Côte d'Ivoire, on les trouve dans le Centre-Sud et le Sud-Ouest, de part et d'autre du fleuve Cavally, des montagnes guinéo-ivoiriennes jusqu'à l'océan. Leur implantation s'est effectuée sous la pression conjuguée de la « poussée mandingue » venue du Mali entre le XIIIe et le XIVe siècle. On peut citer les plus importantes : les ethnies Bété, Wé (eux-mêmes divisés en Guéré, Wobé, Gnamboa), Aïzi, Bakwé, Wane, Kuya, Godié, Dida, Kodia, Nyabwa. Les langues krou, issues d'un sous-groupe des langues nigéro-congolaises, sont comptées parmi les systèmes toniques les plus complexes d'Afrique.
Les Bétés constituent la principale population de cet ensemble ethnique. Localisés principalement autour des grandes régions de Gagnoa, Daloa et Soubré à l'origine, mais aussi beaucoup à Abidjan désormais, ils entretiennent d'étroits rapports sociaux et culturels avec les autres ethnies de ce groupe, les ethnies Dida, Wé et Kroumen, sont les plus connues des ethnies Krou.
Modèle sociétal. Ils se caractérisent par une civilisation essentiellement forestière et une société organisée en lignages patrilinéaires qui contrôlent les activités économiques, politiques et sociales. Conséquence du relief de cette partie du pays et de l'« acéphalisme » caractérisant leur organisation sociale (absence de pouvoir central, de machinerie administrative et d'organisation judiciaire), leur habitat est souvent dispersé et, à de rares exceptions près, la formation d'unités politiques dépasse rarement le cadre du village, constitué en communauté souveraine. Hormis les côtiers et certains septentrionaux touchés par les routes commerciales de la cola, les Krous ont longtemps été isolés et méconnus du monde. La vie économique repose sur la chasse, l'agriculture (riz, manioc, maïs, etc.) et la culture itinérante sur brûlis, tandis qu'au niveau de l'artisanat, les Krous, particulièrement les Wés, entretiennent une remarquable tradition de sculpture sur bois (masques). Ce groupe ethnique se distingue également par sa grande maîtrise de la musique et de la danse. Quant à ses croyances religieuses, elles se fondent sur l'existence d'un être suprême lointain, relayé par une foule de divinités secondaires, génies et autres esprits.
Une grande richesse linguistique
Reflet de sa diversité ethnique, le pays offre aussi une grande variété linguistique, et l'on y dénombrerait quelque 70 langues, dont seules 17 dépassent les frontières du village et/ou de l'ethnie. Par son statut de langue véhiculaire commerciale, le dioula occupe une position privilégiée et serait parlé comme seconde langue par plus de sept millions de locuteurs, bien que ne constituant la langue maternelle que de 15 % de la population. La majorité des petits Ivoiriens parleraient au moins deux langues locales parmi lesquelles le dioula, le baoulé, le bété et l'agni. Quant au français, il s'agit de la langue officielle adoptée par l'État, enseignée dans les écoles et utilisée dans les administrations. On estime qu'environ deux tiers de la population âgée de six ans et plus pratique « une forme de français », près d'un million de locuteurs n'utilisant qu'une variété « pidginisée » du français. En raison de nombreux étrangers sur le sol ivoirien, les langues burkinabées, maliennes, guinéennes sont aussi très parlées.
Les étrangers, un quart de la population ivoirienne
Les étrangers sont très nombreux en Côte d'Ivoire, 6 millions sur une population totale de 24 millions, soit 25 % de la population. Ils sont musulmans à 75 %, faisant ainsi renverser la balance chrétiens/musulmans ivoirienne, ces derniers étant désormais majoritaires. Les plus nombreux : les Burkinabè, présents sur le sol ivoirien depuis les années 1920-1930, lorsque des Mossis, Bobos et Sénoufos en provenance de la Haute-Volta (Burkina actuel) furent amenés de force en Côte d'Ivoire pour construire le chemin de fer et travailler sur les plantations agro-industrielles nationales. Leur population est aujourd'hui estimée à plus de 2 millions de personnes. Les Maliens et Guinéens sont également très nombreux. L'immigration de ces voisins s'accélère dans les années 1960-1970, lorsque Félix Houphouët-Boigny fait appel à une main d'œuvre étrangère corvéable pour travailler dans des conditions difficiles dans les plantations de cacao en pleine expansion. Le « miracle ivoirien » a attiré une population considérable d'étrangers au fil des décennies. Population cristallisée par des crispations nationales lorsque la grande crise du cacao est arrivée dans les années 1980. Le concept même d'« ivoirité » fait débat dans une nation en proie à la crise économique des années 1990 jusqu'à aujourd'hui, alors même que ces étrangers vivent en Côte d'Ivoire depuis des décennies. On observe dans le pays une population cosmopolite de Ghanéens, Libériens, Peuls, Touaregs, Sénégalais, Béninois, Togolais, Nigérians (notamment des Yorubas), Camerounais, Congolais de Brazzaville et de Kinshasa, et plus spécialement à Abidjan des Libanais, Européens, Américains, Chinois, Indo-Pakistanais...
La communauté libanaise
La diaspora libanaise de Côte d'Ivoire est aujourd'hui la plus importante d'Afrique. On estime cette communauté à une population de 80 à 100 000 individus, dont 90 % résidant à Abidjan, et la plupart possédant la nationalité ivoirienne. En 2017, les quelque 3 000 entreprises libanaises implantées localement ont contribué à hauteur de 8 % au PIB national. Les autochtones les appellent à l'époque « demi-Blancs » en raison de leur chaleur humaine et de leur mode de vie bien plus proche des Africains que celui des Européens. Se spécialisant dans un premier temps dans le commerce de proximité, ils vendront leurs marchandises en faisant du colportage de village en village, puis ouvriront boutiques et épiceries et prospéreront rapidement, s'adjugeant le monopole du petit commerce de détail. L'arrivée massive d'immigrants – essentiellement des chrétiens maronites originaires du nord du Liban (1880-1914) suivis de chiites en provenance du Liban du Sud (1918-1960) – qui se poursuit jusqu'à l'indépendance de la Côte d'Ivoire en 1960. Une nouvelle vague d'immigration essentiellement due aux affres de la guerre civile au Liban (1975-1990) et à l'occupation du sud du pays par l'armée israélienne à partir de 1982, précipite bon nombre de ressortissants libanais sur les chemins de l'exil. Majoritairement chiites et moins instruits que leurs prédécesseurs, ils multiplient les commerces, se spécialisent dans l'immobilier, l'exploitation forestière, la petite industrie, la distribution. Souvent dépeinte comme corrompue, raciste et repliée sur elle-même, cette communauté levantine restera pourtant toujours présente dans les moments difficiles et s'accommodera tant bien que mal de ce « je t'aime moi non plus » avec les Ivoiriens. Depuis un peu plus d'une décennie, on assiste à une nouvelle génération de Libanais à la fois plus « ivoirisés » et plus « occidentalisés » que leurs parents. En effet, le départ massif des Occidentaux suite aux événements de 2004 a laissé le champ libre à la communauté pour étendre ses activités commerciales. Cette nouvelle génération, née en Côte d'Ivoire et ayant étudié à l'étranger, est plus ouverte au monde que les précédentes et entretient souvent un lien moins fort avec le Liban. Elle favorise un rapprochement entre les communautés par les mariages mixtes, la maîtrise de la langue française et l'adoption des coutumes locales.