La route des chefferies
Parcourant l’Ouest du pays des Hauts Plateaux aux abords du Massif du Mbam, la route des chefferies est un voyage à la rencontre des traditions ancestrales du Cameroun, des coutumes qui s’y attachent mais aussi des sites naturels, lieux sacrés et rites qui s’y pratiquent. Itinéraire complet à travers les sites incontournables de la région, la route des chefferies propose une immersion totale dans une culture de racine 100% africaine, tristement méconnue, et qui tendrait à disparaître si les populations locales, avec le soutien de l’Office Régional de Tourisme Ouest Cameroun (ORTOC), ne s’appliquaient pas à faire perdurer cet héritage culturel. C’est notamment à travers des subventions pour l’entretien des sites, la conservation des collections des musées des chefferies et la promotion de l’artisanat et des produits du terroir local que la Région fait exister cet héritage culturel. Plus qu’un itinéraire, la route des chefferies est surtout un programme engagé dans le développement du tourisme à travers toute la région. Il a également pour but de fédérer les chefferies autour de ce projet de développement, afin que tous les sites soient entretenus et aptes à accueillir touristes et visiteurs.
En séjournant trois jours dans la région, il est déjà possible de visiter les principaux sites naturels et les chefferies les plus connues du grand public. Un séjour de cinq à six jours sur place permet, en restant basé à Bafoussam par exemple, de visiter l’ensemble des 14 chefferies ouvertes au public ainsi que de profiter de la plupart des sites naturels et balades à pied à faire dans les environs. En chemin, vous rencontrerez chutes d’eau, lacs de cratères, jardins luxuriants, grottes et plantations de thé, de café et de cacao qui dérouleront devant vous des paysages uniques et qui s’accompagnent tous de connaissances à partager et de légendes populaires, formant ainsi le patrimoine naturel de la Région.
Les chutes d’Ekom Nkam et la route de Dschang
Situées aux porte de la Région Ouest, les chutes d’Ekom Nkam marquent très souvent le début de la découverte de l’Ouest, surtout pour ceux qui partent de Douala (167 km). Commencer par les chutes d’Ekom, c’est en quelque sorte marquer le début du voyage et l’immersion dans une culture où les rites et les croyances tiennent une place importante. Loin du fourmillement des grandes villes, c’est le moment d’opérer un retour à l’essentiel et de se laisser gagner par l’atmosphère particulière de la région et par tout l’imaginaire qui entoure ses sites et découvertes.
Après une halte aux chutes d’Ekom, il est conseillé de poser son baluchon à Dschang, où il est facile de trouver le gîte et le couvert. Sur place, le musée des civilisations ouvre ses portes aux visiteurs. Situé aux abords du lac de Dschang, cet édifice à l’architecture contemporaine marquée de symboles africains (araignée, buffle, éléphant et masques ornent sa devanture), propose cinq espaces thématiques axés sur l’Histoire du Cameroun, ses peuples bâtisseurs, leur relation avec la nature et le rôle des chefferies traditionnelles. C’est une excellente entrée en matière dans la découverte de ces dernières.
La chute de Mamy Wata et les grottes de Ndemvo'h
Au départ de Dschang, il est facile de se rendre à Fongo-Tongo. Sur la route, à 25 km de la ville se trouve la chute de Mamy Wata, au cœur de la forêt de la chefferie de Fongo-Tongo. D’une hauteur de 80 mètres, la chute se jette dans une rivière sinueuse, et pour ceux qui l’ignorent encore, elle est (comme son nom l’indique) emprunte de la légende de la sirène qui y a élu domicile. Il est possible de traverser la forêt sacrée pour admirer une vue magnifique sur la chute en aval. Puis la visite continue, et une petite randonnée en pleine nature en direction de Lethiop vous conduira vers les grottes de Ndemvo'h. Ces deux formations rocheuses, l’une dite femelle et l’autre mâle, sont sacrées et forment à elles deux ce que l’on appelle le repère des Dieux. De retour à Dschang, une balade dans les jardins du centre climatique et la visite des galeries d’artisanat de la ville s’imposent. Avec ses trois toits coniques typiques de l’architecture traditionnelle Bamiléké, cet édifice s’inscrit lui aussi dans la tradition des chefferies locales. Vous y trouverez des répliques de bon nombre des objets sacrés entreposés dans les musées des chefferies : trônes de bois, bijoux, masques et accessoires de cérémonies.
Sur la route de Bafoussam
La prochaine étape du voyage sera la ville de Bafoussam. Mais avant, direction Djuttitsa et ses plantations de thé. Sur place, 500 hectares de plantation déroulent un tapis verdoyant et dévoilent toutes les étapes de traitement du thé, de la cueillette à l’ensachage. Si le laboratoire est ouvert, une dégustation de thé est possible sur place. En quittant les plantations de thé, vous pourrez faire halte à la chefferie de Bafou, qui vous ouvre ses portes et vous initie au « Totémisme », autrement dit le culte des totems, ces animaux sacrés dont l’existence est liée à celle d’un être humain, qui devient alors animal la nuit et homme le jour, vivant ainsi une double vie entre réalité et occultisme. Non loin de là, la grotte de Méboukem est un site sacré, connu pour être un lieu de culte traditionnel lié à ces croyances. Depuis Bafou, il est aisé de se rendre à la chefferie de Bamendjinda.
Créée vers la fin du XVIIe siècle par le chef Mbougong, la chefferie abrite un musée dont la collection est conçue autour des thèmes de l’art, des traditions mais aussi de l’esclavage. C’est d’ailleurs le tout premier musée traitant de l’esclavage au Cameroun.
Non loin de Bamendjinda se trouve également la chefferie de Bamesso. Ici, l’exposition proposée plonge le visiteur au cœur des rites effectués autour du deuil, des funérailles, de la perte d’un être cher et de son passage au rang d’ancêtre. Objets de culte et danses traditionnelles, toute la symbolique des funérailles et leur valeur en tant qu’évènement culturel et festif (célébration rituelle du passage entre la vie et la mort) est explicitée et permet de comprendre beaucoup de choses sur le rapport à la mort au Cameroun, et plus généralement en Afrique subsaharienne.
Bafoussam et ses environs
A 40 km au sud de Bafoussam se trouve la chefferie de Bangwa. « Arts, Chasse et Traditions » : telle est la thématique de cette chefferie dont l’ancêtre bâtisseur Leukemegne était connu pour ses talents de chasseur, et qui mit cette activité au cœur de la vie de la chefferie.
Puis c’est la chefferie de Batoufam qui vous ouvre ses portes. Considérée comme l’une des plus grandes chefferies de la région, le royaume de Batoufam est un site dont l’histoire se lit sur les façades de son musée en plein air. Le site de Batoufam exhibe fièrement une architecture d’identité africaine ainsi que des traditions anciennes qui puisent leurs origines dans les coutumes du royaume. Autre particularité de cette chefferie : elle propose en son sein quatre chambres d’hôtes ainsi qu’un restaurant donnant sur l’étang royal. La thématique de la chefferie de Batoufam : « Architecture, pouvoir et cohésion sociale ».
La chefferie de Baham se situe quant à elle à exactement 22 km au sud de Bafoussam. On y retrouve les toits coniques typiques de la région, ainsi que l’aménagement qui consiste en une allée principale bordée de cases, au bout de laquelle siège le palais, aujourd’hui musée de la chefferie. Ce dernier a été fondé en 2003, avec le soutien d’une ONG italienne. L’exposition permanente s’est construite autour de la thématique « Art, mémoire et pouvoir ». Ici, on propose des ateliers d’artisanat et le trésor de Baham, c’est la fabrication du Ndop, ce tissu traditionnel typique de l’Ouest, aux motifs bleus teintés sur une toile blanche de coton épais que vous rencontrerez partout dans la région.
A une quinzaine de kilomètres de la chefferie Baham se trouve la chefferie Bapa. Mais sur la route, vous pouvez d’abord faire une halte à la grotte de Fovu, un champ de rochers improbables qui s’étend sur 15 km.
Une fois à la chefferie de Bapa, on retrouve les toits pointus qui rappellent les nombreuses chefferies de la région, mais à une particularité près : ici les toits sont d’un vert qui fait clairement écho à celui de la nature alentour. En effet, le musée s’articule autour de sept espaces thématiques qui évoquent aussi bien l’histoire et l’organisation de la chefferie que la perception de la nature chez les Bapa, les savoir-faire traditionnels, les arts culinaires, la pharmacopée traditionnelle, les bienfaits des plantes et la préservation de l’environnement. Fondée autour de la thématique de la nature, la visite de la chefferie de Bapa est un retour aux pouvoirs qu’elle recèle.
A l’Ouest de Bafoussam, à environ 30 km de la ville, se situe la chefferie de Bamendjou. Mais d’abord, à mi-chemin exactement de Bamendjou (c’est-à-dire à environ 15 km ouest de Bafoussam) se trouve aussi la chefferie de Bamougoum. Ici, la spécialité sont les calebasses, ces grands fruits verts que l’on fait sécher afin d’en faire des instruments de musique, objets divers et surtout des récipients de toutes tailles. Vous l’avez compris, il y a une part de symbolique dans cette thématique et la calebasse représente aussi l’hospitalité, la paix et la joie. La chefferie de Bamendjou est considérée comme l’un des principaux centres de production de calebasses dans la région des Grassfields. Vous l’aurez alors deviné, une exposition de calebasses de tous usages et de toutes tailles est aménagée dans la case patrimoniale de la chefferie.
Une fois arrivé à la chefferie de Bamendjou, vous serez à nouveau accueilli par les toits pointus et une grande allée qui inspire protocole et décorum. Cette chefferie est connue pour être celle des créateurs. D’ailleurs, les chefs successifs de la chefferie représentent tous une discipline et ont été tisserands, forgerons ou artisans textiles. Tous ces arts sont représentés au sein du musée de la chefferie.
La chefferie de Bandjoun, quant à elle, se situe à une vingtaine de km à peine de Bafoussam, en direction du sud de la ville. Fondée par le prince Notchwegom de Baleng, elle est située dans le département du Koung-Khi. Située en contrebas d’une allée bordée de cases plus modestes, la grande case, appelée case Nemo, inspire le respect de par sa circonférence importante, mais aussi et surtout la hauteur de son toit en ogive, habillé de paille et dont le poids paraît être soutenu par les nombreuses colonnes sculptées qui se dressent tout autour du bâtiment. Sans entrer dans les détails, cette structure impressionne à elle seule et s’érige en prouesse architecturale. Le toit, victime d’un incendie, a été réhabilité courant 2023 : ici pas de grue ni d’échafaudage, juste une échelle de plus de 15 mètres de haut, de quoi donner le vertige aux plus téméraires.
Hormis son architecture impressionnante, la chefferie de Bandjoun constitue l’un des principaux foyers de la création et de la tradition artistique de la région, avec pour thématique « Forge, art et pouvoir ». En effet, l’art de la forge est placé au cœur de la société et y tient un rôle essentiel.
D’abord considéré comme une technique de création, puis comme un élément clé dans le rayonnement et le développement du royaume, la forge à permis de consolider la dynastie en place à travers la production d’outils, d’armes, mais aussi d’objets de culte. Accolé à la case Nemo, le musée de la chefferie, fort bien entretenu, vous propose un circuit au cœur de l’histoire des souverains de la chefferie mais aussi de l’art de la forge et de son évolution au fil du temps, à travers ses fresques illustrées, ses objets anciens, ses objets d’art et ses instruments sacrés.
Enfin, point culminant de la route des chefferies, situé à 70 km de Bafoussam en direction de l’Adamaoua (Nord du pays) se trouve la ville de Foumban.
Foumban est le chef lieu du sultanat Bamoun, qui a été particulièrement marqué par trois sultans : Ncharéyen, qui créa le royaume en 1394, puis Mbouombouo, connu pour ses 2,06 m de taille et son talent pour la guerre, et qui a étendu les frontières du royaume. Enfin, il y a le sultan Njoya, le 17e roi qui succéda à son père dès l’âge de 4 ans. Son règne s’est étendu de 1889 à 1933 et a marqué la culture Bamoun par ses prises de position avant-gardistes et son goût pour les lettres. En effet, c’est lui qui est à l’origine du « shumom », sorte d’alphabet bamoun composé de plus de 510 pictogrammes.
Il est également le créateur de sa propre religion, inspirée de l’Islam, du christianisme et des croyances animistes. Cette religion disparut avec lui, mais les guides du musée partagent volontiers leur expertise sur le sujet avec les visiteurs du palais royal.
Ce dernier, construit par le roi Njoya entre 1918 et 1922, est un des lieux incontournables dans la découverte de l’Ouest et de ses chefferies. Les plans, dessinés par le roi Njoya lui-même, sont fortement inspirés par les constructions allemandes de l’époque et donnent à la bâtisse une allure originale, tantôt bâtiment colonial, tantôt palais oriental.
Dès l’entrée dans la cour du palais, les visiteurs sont accueillis par la statue du roi guerrier Mbouombouo, montant un cheval cabré, brandissant un sabre et lançant un regard qui impose le respect.