Aventuriers et missionnaires
Terre de toutes les convoitises, l’Afrique a également été marquée par le désir d’aventure des explorateurs, à l’image du Britannique Henry Morton Stanley (1841-1904) qui a forgé sa légende en s’élançant en 1870 à la recherche de David Linvingstone (1813-1873) qui n’avait alors plus donné signe de vie depuis quatre longues années. Stanley ne quittera pas le continent une fois sa mission accomplie, il continuera au contraire de le parcourir en tous sens, empruntant notamment le fleuve mythique de RDC et y installant, pour le compte du roi des Belges Léopold II, des comptoirs commerciaux. Cette période, où il acquerra une réputation bien plus que mitigée, lui inspirera Cinq années au Congo (1879-1884) : Voyages, explorations, fondation de l’état libre du Congo, à parcourir sur le site internet de la Bibliothèque Nationale de France, Gallica.
Les coups d’éclat des Européens ne sauraient pas faire oublier que le territoire était peuplé de longue date, qu’il possédait une culture riche et forte, ce que tentera de faire comprendre Stefano Kaozé qui, toute sa vie luttera contre l’acculturation. Né dans le massif de Marungu aux alentours de 1890, il devra quitter la région avec les siens à l’adolescence pour une raison inconnue, trouvant refuge dans une mission établie par les Pères Blancs à Mpala. C’est là qu’il sera baptisé, changera de prénom, et impressionnera par son intelligence précoce qui lui ouvrira les portes du séminaire. À Kirungu (alors Baudoinville), il lui sera demandé un essai sur La Psychologie des Bantu, ce dont il s’acquittera en français, un texte qui sera repris en 1910 par La Revue congolaise et qui bénéficiera d’un énorme écho en Europe, où s’imposera l’idée d’un « Christianisme africain » qui unirait foi catholique et croyances endémiques. Après avoir été le premier Africain à écrire en français, Kaozé deviendra le premier Congolais (alors Belge) à être ordonné prêtre en 1917. Jusqu’à sa mort en 1951, il sera guidé par sa volonté de fixer à l’écrit le patrimoine du peuple Tabwa, dont il se sentait particulièrement proche, rédigeant un dictionnaire et une grammaire, récoltant des éléments du folklore et leur donnant traduction, établissant ainsi un incroyable corpus qui, en grande part, reste encore aujourd’hui inédit. Jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale, d’autres – principalement des missionnaires – vont se glisser dans ses pas qui en collectant mythes et légendes, qui en rédigeant des études à portée ethnologique, mais l’année 1945 va marquer un tournant.
À l’aube de l’indépendance
C’est en effet en 1945 que commença à paraître La Voix du Congolais, une revue certes initiée par le gouvernement colonial mais dont le comité de rédaction était animé par des Congolais. Si, d’un point de vue politique, la ligne éditoriale s’en tenait plutôt à une certaine modération, d’un point de vue littéraire elle sera véritablement révolutionnaire puisqu’elle ouvrira ses colonnes aux aspirants écrivains et à la fiction, parfois issue de la tradition orale. Parmi les membres de l’équipe de cette publication, au moins deux noms sont à retenir : celui d’Antoine-Roger Bolamba (1913-2002) qui la dirigea, et celui de Paul Lomami Tshibamba (1914-1985) qui y contribua avec une plume si critique qu’elle égratigna souvent le consensus de rigueur. Tous deux entameront une belle carrière littéraire. Le premier est généralement reconnu comme le premier poète kino-congolais, une reconnaissance qui sera tardive – ses débuts n’avaient guère eu de retentissements – mais inaliénable quand, après sa rencontre avec Léon-Gontran Damas, il donnera à lire Esanzo, chants pour mon pays, sa grand-œuvre. Il délaissera l’écriture pour la politique après 1956, année durant laquelle il participera à Paris au Congrès des écrivains et artistes noirs, en compagnie de Paul Lomami Tshibamba. À cette époque, ce dernier n’était déjà plus un inconnu puisque son roman Ngando, le crocodile avait été primé en 1948 au concours littéraire de la Foire Coloniale, et avait reçu le soutien de Gaston-Denys Périer, haut fonctionnaire du Ministère des Colonies qui contribua avec passion à promouvoir les auteurs africains. Pourtant, polémiste acharné qui s’en prenait tout autant aux uns qu’aux autres, au gouvernement comme aux traditions, Tshibamba se fera plus d’ennemis que d’amis : il oscillera toute sa vie durant entre les deux rives du fleuve Congo, au rythme de ses inimités, et verra surtout la majeure partie de ses écrits censurée. Ce n’est ainsi qu’après sa mort, survenue à Bruxelles, que paraîtra son roman, pourtant fondamental, Ah ! Mbongo. Dans un étrange paradoxe, il est plus facile aujourd’hui de se procurer (aux éditions L’Harmattan) les textes de Tshibamba que ceux de Bolamba dont seuls les Carnets de voyage : Congo Belgique (1945-1959) sont encore disponibles.
À la suite de ces deux illustres, la littérature kino-congolaise semble s’éveiller. Ainsi, Albert Mongita, né en 1916 à Irebu mais élevé à Kinshasa, se passionne pour le théâtre après une expérience radiophonique prometteuse. Il participera à plusieurs tournées puis créera sa propre troupe, La Ligue folklorique congolaise, pour laquelle il écrira plusieurs pièces en français, dont Soko Stanley qui sera jouée à Léopoldville pour le cinquantième anniversaire de la mort de l’aventurier susnommé. Après un détour sur les plateaux de cinéma, il s’adonnera à la bande-dessinée avec la série Mukwapamba (1958) qu’il scénarisera et dessinera, rendant populaire le 9e Art dans son pays natal. Dans un tout autre genre, bien moins ludique, difficile de ne pas penser à Patrice Lumumba dont le discours, prononcé à Ibadan (Nigéria) le 22 mars 1959 est proposé aux éditions Points sous le titre Africains, levons-nous ! Comme le suggère cette injonction, Patrice Lumumba sera l’une des figures marquantes de l’indépendance. Il sera assassiné au lendemain de celle-ci.
Post-indépendance et exil
Hélas, l’indépendance et le mouvement de zaïrisation entrepris par Mobutu Sese Seko ne scelleront pas la promesse d’une paix durable : le pays, déjà fort éprouvé pendant la colonisation, connaîtra à la fin du XXe siècle deux périodes de guerre. Cela ne dissuadera pas les écrivains de continuer à travailler, bien que certains feront leur vie sur l’autre rive, tel Henri Lopes qui deviendra Ministre des Affaires étrangères puis Premier Ministre à Brazzaville, ou devront se plier à un exil plus lointain, à l’instar du journaliste Joseph-Albert Kompany wa Kompany (1930-2013) ou de Valentin-Yves (ou Vumbi-Yoka) Mudimbe, éminente personnalité des lettres kino-congolaises. Né en 1941 à Likasi, ce dernier se destina d’abord à la prêtrise puis opta pour l’Université où il suivit les cours du philosophe belge Franz Crahay. Lui-même devenu enseignant, il publiera dans plusieurs revues, s’investira dans la maison d’édition du Mont-Noir (Kinshasa) et poursuivra deux objectifs : réfléchir à la question postcoloniale dans une œuvre écrite en anglais (L’Invention de l’Afrique a été traduit dans notre langue par Présence Africaine en 2021), se faire romancier mais cette fois en français (il est notamment possible de se procurer, chez le même éditeur, Entre les eaux qui campe un prêtre en pleine crise existentielle). Du côté de la poésie, Tshiakatumba Matala Mukadi subira lui aussi bien des déracinements après la publication de son recueil Réveil dans un nid de flammes aux éditions Seghers en 1969. Son autobiographie, intitulée Dans la tourmente de la dictature, est au catalogue des éditions L’Harmattan.
Par contrainte ou par choix, les auteurs Congolais s’envolent ainsi vers d’autres horizons. Clémentine Nzuji s’est par exemple investie au sein de l’Université Catholique de Louvain après avoir dirigé le Cercle culturel de la Pléiade à l’Université Lovanium, elle a de même remporté le premier prix du concours de poésie Léopold Sédar Senghor en 1969 au festival de Dakar mais c’est en Belgique qu’elle a publié son premier roman, Anya, en 2006. Son frère, Mukala Kadima Nzuji, également poète, s’est pour sa part installé au Congo-Brazzaville. Achille Ngoye a lui choisi la France où il est devenu le premier écrivain d’Afrique subsaharienne à publier dans la Série Noire de Gallimard. Ces titres (Agence Black Bafoussa, Sorcellerie à bout portant, Ballet noir à Château Rouge) sont malheureusement épuisés, il est néanmoins possible de découvrir sa vision de sa ville natale, Kinshasa, dans Kin-la-Joie, Kin-la-Folie (L’Harmattan). Quant à Pius Ngandu Nkashama, Pie Tshibanda et Kama Syword Kamanda, ils se sont respectivement expatriés aux États-Unis, en Belgique et au Luxembourg. Auteur prolixe (à retrouver chez L’Harmattan), le premier se fera professeur de Langues et Littératures françaises et francophones à l’Université d’État de Louisiane ; dramaturge aguerri, le second connaîtra le succès jusqu’au Québec. Enfin, Kamanda recevra de nombreux prix – dont trois de l’Académie française – pour son œuvre polymorphe, qui se décline tout autant en contes, pièces, romans ou nouvelles.
Une reconnaissance croissante
Entre les lignes de ce panorama se dessine le fait qu’une grande partie des auteurs Congolais sont publiés aux éditions L’Harmattan, un catalogue où figurent également José Tshisungu wa Tshisungu, Bona Mangangu, Bestine Kazadi, pour n’en citer que quelques-uns. Cependant, les éditeurs français ayant pignon sur rue de longue date commencent à s’intéresser aux écrivains congolais, et cela est peut-être d’autant plus vrai depuis que In Koli Jean Bofane, né en 1954 à Mbandaka, a coup sur coup remporté tous les suffrages avec Mathématiques congolaises (2008) et Congo Inc. (Grand Prix du Roman métis en 2014) parus chez Actes Sud, après avoir publié Pourquoi le lion n’est plus le roi des animaux chez Gallimard en 1996. Nous pourrions également mentionner Bolya (1957-2010) qui avait ses entrées dans la regrettée maison d’édition si qualitative Le Serpent à plumes (Cannibale, La Polyandre, Les Cocus posthumes…), Dominique Mwankumi qui a longuement publié à L’École des Loisirs (de La Pêche à la marmite en 2000 à Prince de la rue en 2010) ou Victor Kathémo qui est un habitué des éditions bordelaises Myriapode. Dans la nouvelle génération, Blaise Ndala s’est fait repérer des deux côtés de l’Atlantique : Dans le ventre du Congo – initialement chez Mémoire d’encrier (Montréal) – a ainsi été repris par Seuil en 2021. Marie-Louise Mumbu a reçu un bel accueil pour Samantha à Kinshasa au Cri, tandis que Fiston Mwanza Mujila, né en 1981, a rejoint Métailié avec Tram 83 (2014) et La Danse du vilain (2014). La cadette, Annie Lulu, dont la mère est Roumaine et le père Congolais, promet d’ores et déjà de faire une belle carrière : La Mer Noire dans les Grands Lacs (Julliard, 2021) a en effet reçu le Prix Senghor. Son second roman, Peine des Faunes (Julliard, 2022) était dès lors très attendu.