Le Rwanda avant
Pour débuter, impossible de ne pas citer Alexis Kagame (1921-1982) qui est tout à la fois prêtre, poète, sociologue et philosophe. Il a par exemple écrit Assieds-toi que je te désennuie (1947), La Source du progrès (1949), Où tu as passé la journée point d’ennui (1949)… Il est le plus grand historien que le Rwanda ait connu. J. Saverio Naigiziki (1915-1984), quant à lui, a écrit un récit autobiographique, Escapade rwandaise, et un roman, L’Optimiste, qui raconte un mariage entre un Hutu et une Tutsi. Pour finir, il y a le poète Jean-Baptiste Mutabaruka qui a publié dans les années 1960 Feuilles de mai et Chants du tam-tam.
Écrire par devoir de mémoire
Dès 1998, les romanciers africains ont pris leur plume pour évoquer l’extermination des Tutsis. Tout comme la littérature de la Shoah, ce mode d’écriture est une sorte de devoir de mémoire, une catharsis. Ils ont été plusieurs à se retrouver autour d’un collectif panafricain. C’est le Tchadien Nocky Djedanoum (fondateur du festival Fest’Africa) qui a regroupé dix écrivains pour ce projet d’écriture nommé « Rwanda : écrire par devoir de mémoire » : Koulsy Lamjo, Boubacar Boris Diop, Meja Mwangi, Monique Ilboudo, Vénuste Kayimahé, Véronique Tadjo, Jean-Marie Vianney Rurangwa, Abdourahman Ali Waberi et Nocky Djedanoum. Trois romans, nés de ce projet, sont sortis du lot pour offrir au monde, à travers les mots, la résonance de cette ignominie. Pour commencer, il y a L’Aîné des orphelins de Tierno Monenembo (écrivain guinéen francophone né en 1947) qui a reçu le prix Tropiques, La Phalène des collines du Tchadien Koulsy Lamko, et Murambi, le livre des ossements de Boubacar Boris Diop, un Sénégalais né en 1946 qui a reçu le grand prix littéraire d’Afrique noire. Ils ont tous les trois su s’imprégner des témoignages des survivants pour créer une fiction glaçante de vérité chacun à leur manière, chacun avec leur écriture et leur sensibilité.
Les plumes rwandaises
À partir du milieu des années 2000, ce sont les écrivains rwandais qui ont décidé de prendre leur plume à leur tour pour raconter le génocide. S’ils étaient tous des héritiers de la tradition littéraire orale, certains ont décidé de passer à l’écrit cette abominable extermination pour que la mémoire perdure. Il faut tout d’abord évoquer Benjamin Sehene (né en 1959), qui est le premier à avoir évoquer le génocide sous forme de fiction. Le Feu sous la soutane (2005) s’inspire en effet de la véritable histoire d’un prêtre hutu qui a accueilli des réfugiés dans son église pour ensuite violer les femmes et participer au massacre.
Citons à présent Scholastique Mukasonga. Née en 1956 dans ce pays, elle est arrivée en France en 1992. De très nombreux membres de sa famille ont été exterminés pendant le génocide. En 2006, elle publie son autobiographie Inyenzi ou les Cafards. Depuis, d’autres romans ont vu le jour : La Femme aux pieds nus (Gallimard, 2008) qui est un hommage à sa mère, L’Iguifou (Gallimard, 2010), Notre-Dame du Nil (Gallimard, 2012), Ce que murmurent les collines (Gallimard, 2014)… Elle a été récompensée par de nombreux prix. Il y a également Beata Umibeyi Malresse, née en 1979 au Rwanda. Elle est une survivante du génocide et est arrivée en France en 1994 où elle a suivi de brillantes études. C’est en 2015 qu’elle publie son premier recueil de nouvelles, Ejo, dans lequel elle relate à travers des voix de femmes l’avant et l’après-génocide. Elle continue sur la même thématique avec Lézardes, son second recueil publié en 2017. Son premier roman voit le jour en 2019 : Tous tes enfants dispersés peint l’histoire d’une famille sur trois générations, entre le Rwanda et la France.
Esther Mujawayo (née en 1958), quant à elle, est la cofondatrice d’une association de veuves du génocide. À côté de ses différentes activités professionnelles, elle a écrit deux ouvrages dans un esprit de narration orale : Survivantes et La Fleur de Stéphanie. Le premier est une sorte d’autobiographie, car l’auteure y raconte son enfance et sa vie au Rwanda. Il est possible d’y lire un entretien entre elle et Simone Veil qui a elle aussi connu l’horreur du génocide.
Puis, il y a Annick Kayitesi (née en 1979) qui, elle aussi, a connu l’horreur : la mort de son père et de sa sœur dans un incendie, l’assassinat de sa mère, l’enlèvement de sa sœur et de son frère, et l’état d’esclave. Sa sœur retrouvée, elles sont réfugiées en France. Annick réussit brillamment ses études et fonde en 2004 l’association Études sans frontières qui a pour but d’envoyer à l’école les orphelins du génocide. C’est la même année qu’elle publie aux Éditions Michel Lafon Nous existons encore, un récit bouleversant d’une jeune fille à l’enfance heureuse qui voit sa vie basculer dans l’horreur. En 2017, elle publie Même Dieu ne veut pas s’en mêler, œuvre singulière mêlant drame collectif et écriture intimiste. Cette femme qui a vécu l’impensable et qui a fait preuve d’une très grande résilience est couronnée Femme en or internationale en 2004. Elle continue de se battre pour que ce drame ne tombe pas dans l’oubli.
Citons pour finir Génocidé (2006) de Révérien Rurangwa (né en 1978), ainsi que La mort ne veut pas de moi et N'aie pas peur de savoir de Yolande Mukagasana, tous les deux survivants du génocide.
Quelques auteurs français
Les auteurs français ont eux aussi pris la plume pour parler du Rwanda. Yoan Smadja est l’un d’entre eux. Il est l’auteur d’un ouvrage sorti pour le vingt-cinquième anniversaire du génocide : J’ai cru qu’ils enlevaient toute trace de toi. Il a construit le fil de son histoire grâce aux témoignages de rescapés. Étant juif, il a décidé de s’intéresser à un autre massacre, une « autre Shoah ». Il y a également Gaël Faye, né en 1982 d'un père français et d'une mère rwandaise, qui a publié en 2016 Petit pays (2016), récompensé par le prix Goncourt des lycéens. Finissons avec le journaliste et écrivain français Jean Hatzfeld (né en 1949). Après le génocide, il est reporter au Rwanda et travaille quelques années avec des rescapés. En 2003, il publie Une saison de machettes (couronné par le prix Femina essai), puis en 2007 La Stratégie des antilopes qui reçoit le prix Médicis. Ces deux ouvrages sont consacrés aux massacres des Tutsis et sont des classiques de la thématique.