La musique traditionnelle géorgienne
Spectaculaire et splendide, le folklore a toujours été la première carte de visite que la Géorgie offre aux étrangers. Redécouvert au XIXe siècle par les intellectuels de Tbilissi puis développé par l’idéologie soviétique, il irrigue depuis la musique géorgienne dans son ensemble – du classique au jazz en passant par la variété. Ancestrale (elle est certainement antérieure à l'introduction du christianisme dans le pays) et principalement vocale, la tradition musicale géorgienne est célèbre pour sa variété de polyphonies. Caractérisées dans l’ensemble par leurs changements singuliers de tonalité, les polyphonies varient énormément selon les régions. Les polyphonies religieuses sont les plus fines et les plus complexes. Aussi anciennes et sophistiquées, on trouve en Svanétie des polyphonies aux rythmes similaires. Plus répandues, en Kakhétie et en Kartlie, les polyphonies incluent une ou deux voix qui s’élèvent au-dessus d’une basse qui se prolonge. Ces mélopées au son très oriental sont sans doute les plus prenantes et les plus majestueuses, même si elles sont les plus simples. Enfin, la Géorgie occidentale possède un type virtuose qui se compose de chants à deux voix au-dessus d’une basse bourdonnante. C’est en Gourie que les polyphonies sont les plus complexes, augmentant ce type de phrasé jusqu’à sept voix. Certains chants sont accompagnés de percussions. Essentiellement interprétés par les hommes, les chants mixtes sont rares et les chants féminins abordent la plupart du temps des thèmes triviaux. Un dernier type de chant géorgien, celui de Tbilissi, n’est pas polyphonique. On appelle cette musique kalakouri, « urbaine », qui cultive des sonorités plus orientales, se rapprochant beaucoup des musiques arméniennes ou turco-persanes. Il s’agit souvent d’un chant (homme ou femme) unique, accompagné de percussions et de doudoukis (flûtes nasillardes).
Depuis les années 1970, beaucoup de très bons artistes se sont distingués dans l’interprétation de la musique folklorique géorgienne – et plus particulièrement des polyphonies. Si des ensembles comme Kelaptari, Sukhichvili (le Ballet national géorgien) ou Basiani ont connu un grand succès en Géorgie, Rustavi et plus tard Georgian Voices ont réussi à se creuser une place sur les scènes internationales. D’ailleurs, il y a de fortes chances que vous les ayez déjà entendus. Georgian Voices s'est produit aux côtés de Billy Joel et l’ensemble Rustavi, le plus réputé de tous, figure sur la bande-son du film des frères Cohen The Big Lebowski. Souvent a cappella, la musique folklorique s’accompagne selon les styles et régions d’instruments traditionnels géorgiens comme le zourna (clarinette de type oriental), le stivi (proche d’une cornemuse), le doudouki (flûte nasillarde aussi présente dans la musique turque et arménienne), le tchongouri, très bel objet à quatre cordes, similaire au pandouri qui lui n’en compte que trois. On entend aussi pas mal de percussions comme le doli (tambour), le daïra (tambour de plus grande dimension) et le diplipito (formé de deux tambours fixés sur une planche).
Si la moindre célébration est l’occasion d’entendre de la musique traditionnelle, elle est souvent mise en scène au sein de spectacles que l’on peut voir par exemple au théâtre Nabadi (du nom d’un costume folklorique) sur l’avenue Roustaveli à Tbilissi. L’endroit étant particulièrement orienté vers le tourisme, on préférera sans doute éplucher la programmation du Tbilisi Paliashvili National Opera House qui accueille occasionnellement de très bons groupes folkloriques.
La musique classique
Historiquement, les deux grands noms de la musique classique en Géorgie sont Zakaria Paliashvili (1871-1933) et Gia Khantcheli (1935-2019). Le premier est le plus célèbre compositeur classique du pays, considéré comme le fondateur de la musique nationale et auteur de l'opéra Daissi (1923) dont est tiré l'hymne géorgien. Il est particulièrement intéressant à écouter car il marie musiques folkloriques et savantes. Gia Khantcheli, quant à lui, est le plus célèbre compositeur contemporain en Géorgie. Auteur de sept symphonies, il s'est également illustré en composant pour le cinéma et le théâtre. Il est le compositeur géorgien le plus exporté, notamment aux États-Unis. Sa musique est inspirée de la liturgie religieuse et de la musique folklorique, dans une structure clairement postmoderne.
Cela dit, dès que l'on prononce « musique classique » et « Géorgie » dans la même phrase, impossible de ne pas penser à Khatia Buniatichvili. Surnommée par ses détracteurs « la Betty Boop du piano » à cause de son vestiaire, cette pianiste prodigieuse est admirée autant qu'elle agace. Pourtant, auteure d'interprétations renversantes, Khatia Buniatichvili s'inscrit dans la descendance directe d'une Martha Argerich. Sans aucun doute l'une des toutes meilleures pianistes actuelles. Autre soliste adorée des Français, la violoniste Lisa Batiachvili partage avec sa compatriote le fait d'être l'une des références actuelles de son domaine et de son instrument. Pays amoureux de la voix, la Géorgie compte évidemment quelques très bons artistes lyriques. Parmi eux, citons les mezzo-sopranos Anita Rachvelichvili et Nino Surguladze, la soprano colorature Nino Machaidze ou la basse George Andguladze.
Contrairement à ce que le nom laisse entendre, la Philharmonie – aussi appelée Tbilissi Concert Hall – ne programme pas de musique classique. Une bonne partie de la vie musicale classique géorgienne se produit dans les églises. À l'heure de la messe, les chœurs polyphoniques accompagnent le rituel ; ils sont souvent magnifiques. Autrement, la meilleure scène est celle du Conservatoire national Vano Saradjichvili. Cette école de musique – la plus haute de Géorgie –, nichée dans un superbe bâtiment néoclassique, abrite la salle de concert de musique classique la plus réputée du pays. On y voit régulièrement de très bons artistes en devenir. Autrement, après plusieurs années de rénovation, le Tbilisi Paliashvili National Opera House a rouvert ses portes en 2016. Si le bâtiment est magnifique, l'intérieur est tout aussi grandiose avec sa déco orientalisante réalisée par un architecte allemand en 1896. On y va pour voir des classiques de l'opéra, du ballet européen et quelques très beaux opéras géorgiens.
La musique électronique
Régulièrement, une nouvelle capitale émergente d'Europe de l'Est devient « le nouveau Berlin ». Pourquoi ? Dès que la ville voit sa scène de musique électronique s'enrichir ainsi que sa vie nocturne s'éveiller avec plein d'adresses cachées à s'échanger sous le manteau, elle évoque le Berlin du début des années 2000, paradis des clubbers. Après Varsovie puis Kiev (et une dizaine d'autres dont on vous épargne la liste), c'est au tour de Tbilissi d'incarner « nouveau Berlin ». Il faut bien admettre qu'effectivement, la scène underground est en pleine ébullition et que la capitale se densifie en lieux de qualité. Parmi eux, l'iconique Club Bassiani, installé dans une ancienne piscine désaffectée, est un passage obligatoire pour les amateurs, et le Khidi, caché sous un pont, est l'une des nouvelles perles en ville.
La danse
Au côté du ballet classique qui domine la scène de l’opéra, les ensembles de danses folkloriques font l’objet d’une grande admiration. Et pour cause : en dehors de l’aspect folklorique proprement dit, les danseurs sont d’une épatante virtuosité́ physique. Ils dansent sur le dessus des pieds, sautent de toutes leurs forces sur leurs genoux, lancent une pluie de poignards sur le sol à une vitesse frénétique, escriment, tournent sur les genoux, etc. C’est un spectacle fort impressionnant. Face à la parade de groupe masculine, le rôle des femmes est principalement de porter élégamment leur costume, d’incarner la grâce en se déplaçant rapidement sur la pointe des pieds – comme si elles glissaient. Les chorégraphies des grands ensembles sont avant tout des ballets de groupe, millimétrés au possible – aucune place pour l’improvisation.
Le Ballet national Soukhichvili est pour ainsi dire le père de ce type d’ensemble professionnel, fondé à l’époque où cette formule allait être établie dans toutes les républiques soviétiques. Créée en 1945 par le couple de danseurs et chorégraphes Nina Ramichvili et Iliko Soukhichvili, la compagnie a vu trois générations de Soukhichvili se succéder à sa tête et demeure aujourd’hui encore l’ensemble le plus renommé et le plus populaire en Géorgie.
Beaucoup de danses folkloriques sont programmées au théâtre Nabadi ainsi qu’au Tbilisi Paliashvili National Opera House (l’Opéra), mais on peut aussi en voir dans des restaurants de luxe comme Maidan qui en propose pour alimenter le prestige du lieu.
Le théâtre
La Géorgie, et Tbilissi plus particulièrement, a une scène de théâtre particulièrement dynamique. Il y a énormément de salles – le nombre de théâtres par habitant à Tbilissi est sans doute l'un des plus élevés du monde – et les Géorgiens adorent y aller. La barrière de la langue arrêtera sans doute le voyageur ; mais une soirée au théâtre peut s'avérer extrêmement intéressante pour observer la vie nocturne de la capitale, et certains spectacles communiquent au-delà du langage.
À Tbilissi, les grandes structures postsoviétiques (théâtres Roustaveli, Mardjanichvili, Toumanichvili, l'opéra Paliachvili…) cohabitent avec une nouvelle génération de théâtres privés (Sardapi, du District royal, Tavisupali).
Certaines initiatives sont très originales (comme le théâtre de marionnettes de la famille Gabriadzé, ou le théâtre de doigts d'un artiste de Batoumi), mais comparé au postmodernisme occidental, on peut qualifier le théâtre géorgien dans son ensemble de classique. Deux monuments de la dramaturgie géorgienne sont à connaître : Robert Sturua (1938) et Revaz Gabriadzé (1936-2021). Le premier est le principal metteur en scène de théâtre à Tbilissi depuis les années 1970 et il a aussi été le directeur du théâtre dramatique Chota Roustaveli, le plus prestigieux du pays. Il a acquis une reconnaissance internationale pour sa manière personnelle d'interpréter les œuvres de Shakespeare et Brecht et son style singulier, très physique et surréaliste. Revaz Gabriadzé était quant à lui un incontournable du cinéma géorgien, très présent au théâtre également. Il était le scénariste d'une trentaine de films, parmi lesquels les plus grands classiques du cinéma national. Artiste multifacettes, il excellait aussi dans la sculpture, le dessin ou la peinture. Sa pièce la plus célèbre reste La Bataille de Stalingrad où la narration se fait depuis la perspective des chevaux tués sur le champ de bataille ou d'un jeune soldat amoureux. Son fils Leo Gabriadzé perpétue l'héritage en étant le directeur artistique du Théâtre Gabriadzé.