Découvrez l'Albanie : Société (vie sociale)

À chaque départ en Albanie, c’est la même litanie de conseils qui nous accable : « fais attention à ton argent », « ne prends pas de risque » sans oublier le plus récent « avec tous ces attentats… ». Pourtant, à chaque fois, on est revenu de ce pays non seulement avec notre portefeuille, mais avec le sourire, sans avoir été kidnappé par des bandits de grand chemin. Alors, oui, la criminalité organisée est bien présente ici. Mais celle-ci ne vise pas les touristes. La majorité des habitants sont musulmans et plus tolérants que bien des chrétiens des Balkans. L’Albanie n’est pas pour autant un pays européen comme les autres. Elle est culturellement orientale, économiquement pauvre et profondément accueillante. Pour l’apprécier, il faut en connaître ses travers et oublier certains clichés.

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Division Nord-Sud

Les Albanais sont en général plus tolérants et plus accueillants dans la partie sud. Celle-ci est davantage mixte culturellement, peuplée aussi bien de Tosques et de Labs (sous-groupes ethniques albanais) que de Grecs et d’Aroumains. Ces populations partagent des traditions plus souples influencées par le christianisme orthodoxe et l’islam soufi. Au nord, l’ethnie guègue domine et se distingue par un attachement au christianisme catholique et à l’islam sunnite. Les paysages plus rudes des Alpes albanaises ont favorisé l’isolement des populations et la préservation de traditions claniques. Les Guègues sont aussi marqués par le souvenir de la répression communiste qui stigmatisa davantage la partie nord, en particulier les catholiques.

Kanun et Besa

Associés à la terrible « reprise de sang », ces deux particularismes locaux contribuent à donner une image sauvage et exotique de l’Albanie. En partie grâce à Ismaël Kadaré, dont le Kanun a inspiré le magnifique roman Avril brisé (1980). Le Kanun (prononcez « kanoune ») est un recueil de codes de droit coutumier d’origine médiévale toujours suivi par certaines populations nord-albanaises, aussi bien en Albanie que dans les pays voisins. Le mot vient du grec kanon (« la règle ») qui a notamment donné le « droit canon » de l’Église catholique. Parmi les différentes variantes du Kanun, la plus répandue est celle de Leka III Dukagjini (1410-1481), noble albanais catholique du Kosovo. Ce personnage mal connu, peut-être d’origine française – son nom serait la déformation de « duc Jean » –, aurait édicté le premier Kanun afin d’organiser son fief dans un XVe siècle marqué par la disparition des empires serbe et byzantin et une domination ottomane encore fragile. Inspiré du Code Dušan (1349) de l’empereur serbe Stefan Dušan, le Kanun repose sur l’honneur, l’hospitalité, la rectitude et la loyauté. Il régit tous les aspects de la vie en 12 livres et 1 262 articles : de l’Église à la famille en passant par la propriété. Le livre 8 développe l’idée de la besa (prononcez « baissa »), l’honneur personnel. Beaucoup d’Albanais du nord au sud y sont très attachés avec, en particulier un sens très développé de l’hospitalité envers l’étranger, proche de la philoxenia grecque. Ainsi, on attribue à la besa l’énorme élan de solidarité des montagnards albanais qui permit de sauver tant de réfugiés juifs au cours de l’occupation nazie. Mais la besa prend un sens plus strict dans le Nord avec notamment la gjakmarrja, la « reprise de sang » : face à une grave enfreinte de la besa (meurtre d’un étranger protégé, viol d’une femme, etc.), celui qui est bafoué a l’obligation de se venger, y compris par la mort. Cette vengeance peut s’exercer contre tout homme de la famille du fautif sur plusieurs générations, mais la famille du coupable est intouchable tant qu’elle reste cloîtrée, comme dans la célèbre tour d’isolement de la vallée de Theth. Combattu par les autorités communistes, le Kanun avait presque disparu d’Albanie. Il a refait surface lorsque le nouvel État démocratique s’est montré incapable de faire respecter l’ordre. Plusieurs milliers d’habitants sont morts victimes de la reprise de sang depuis les années 1990. On estime aujourd’hui qu’environ 600 familles vivent sous le coup de cette vendetta dans les six provinces du Nord, dont celle de Tirana.

Inégalités hommes-femmes

Si le régime communiste albanais a été l’un des plus durs d’Europe, il a aussi permis des avancées pour les femmes. Autrefois recluses, illettrées (à 85 % en 1946) et soumises au patriarcat, celles-ci se sont émancipées : elles représentaient 50 % des effectifs dans les universités et un tiers des cadres politiques à la chute du régime. En revanche, l’objectif d’une forte natalité les a souvent freinées dans leur évolution professionnelle, l’Albanie possédant dans les années 1980 le taux de fécondité le plus élevé d’Europe avec 2,3 enfants par femme. Aujourd’hui, le système patriarcal domine toujours. Tandis que les femmes sont davantage touchées par le chômage, les hommes ont reconquis les postes hiérarchiques. Toutefois, certaines traditions comme le mariage forcé ou le port du voile ont quasi disparu dans les villes. Depuis les années 1990, la législation garantit les droits à la propriété, à l’avortement et au divorce. Dans les faits, seuls 19 % des biens immobiliers sont détenus par des femmes. Si le nombre de divorces a doublé récemment, les violences conjugales sont aussi à la hausse. Face à la pauvreté et à l’inégalité entre les sexes, les Albanaises tentent de se faire une place tout d’abord grâce aux études (65 % des étudiants sont des étudiantes), mais aussi en remettant en cause le modèle familial traditionnel. Elles se marient plus tard (près de 30 ans en moyenne) et ont nettement moins d’enfants. Le taux de fécondité est tombé à 1,5 enfant par femme. L’un des plus bas en Europe.

Mercedes ou BMW ?

Avec une moyenne de 13 morts pour 100 000 habitants chaque année sur les routes (contre 5 en France ou 9 en Grèce), l’Albanie est un des pays d’Europe les moins sûrs au niveau de la conduite. Cela tient au fait que ce fut l’un des derniers pays au monde à découvrir la voiture individuelle. Avant la chute du régime communiste, le parc auto se résumait à 2 000 unités réservées à la nomenklatura. Puis, à partir de 1992, le miniréseau routier a été inondé de véhicules d’occasion et de conducteurs sans permis. C’est alors le constructeur allemand Mercedes qui a dominé le marché pendant vingt ans. Ses robustes Type 123 (1975-1986) et Type 124 (1984-1997) sont encore visibles à travers tout le pays. Depuis les années 2010, les choses ont évolué. L’état des routes s’est amélioré, des écoles de conduite ont vu le jour et les Albanais les plus fortunés optent pour de gros SUV ou des coupés sportifs avec une prédilection pour une autre marque allemande, BMW. Le parc auto est désormais bien plus diversifié, avec désormais des véhicules récents des grandes marques européennes et japonaises. Toutefois, à la campagne ou en montagne, les vielles « Merco » sont toujours les reines de la route.

Tourisme et pauvreté

Si vous déboursez 80 € pour une nuit d’hôtel à Tirana ou à Saranda, sachez que cela correspond au budget moyen d’une famille albanaise pour se nourrir, se vêtir et sortir pendant un mois. Le salaire moyen net mensuel est ici l’un des plus bas d’Europe : 458 €. Mais ce chiffre reste théorique, puisque la majorité des actifs du pays ne sont pas salariés. En fait, un Albanais vit le plus souvent avec entre 150 et 300 € par mois. Près de la moitié de la population travaille dans l’agriculture : une activité de subsistance avec de petites propriétés permettant de nourrir la famille et d’empocher un peu d’argent en vendant une partie de la production. À Tirana, si les revenus sont plus importants, une fois payés le loyer et les charges, la plupart des familles ne peuvent dépenser que quelques euros par jour. C’est tout cela qu’il faut avoir à l’esprit lorsque l’on visite le pays. Certes, la diaspora et l’émergence d’un tourisme moderne font grimper les prix en été. Mais avant de vous plaindre auprès du patron d’un petit hôtel parce qu’il n’y a qu’une lampe de chevet dans votre chambre, sachez que beaucoup de familles albanaises vivent encore dans une pièce commune avec une seule ampoule au plafond.

Tabous et sexualité

Les mœurs peuvent paraître bien libres dans les bars branchés de Blloku et de la « Riviera albanaise ». Elles sont en fait très codifiées. Et les tabous ne manquent pas. Premier exemple : la pratique très en vogue chez les jeunes femmes de l’hyménoplastie, une opération chirurgicale permettant de reconstituer l’hymen afin d’apparaître vierge pour le mariage. D’une manière générale, et pour les filles en particulier, il est mal vu d’évoquer sa vie sexuelle. Comme la religion, cela reste une affaire privée. Pour autant, les relations extraconjugales et les amours de jeunesse existent. La tarification à l’heure de certaines chambres d’hôtel en témoigne. Autre tabou : l’homosexualité. Elle est dépénalisée depuis 1995, mais elle reste très mal vue. Selon certaines études, les Albanais sont même les moins tolérants sur ce sujet en Europe. Tous les projets de loi d’union civile et de mariage entre personnes du même sexe ont été repoussés. Toutefois, une loi votée en 2010 réprime les discriminations à l’égard des membres de la communauté LGBTQ+. Si plusieurs ONG tentent de défendre les victimes d’actes homophobes, les plaintes déposées sont très rares. On conseille donc une certaine discrétion dans les lieux publics, même si certains bars et boîtes de nuit gay friendly existent. En revanche, pas de souci pour obtenir une chambre avec lit double pour un couple homosexuel dans un hôtel. Concernant la prostitution et tout ce qui s'y apparente, cette pratique est très répandue mais est surtout exercée par des femmes étrangères exploitées par des réseaux mafieux. Dans le cadre d’un contrat avec un entrepreneur local, il n’est pas rare qu’un investisseur étranger se voie proposer un « cadeau en nature ». Voilà un excellent moyen d’enfreindre la Convention pour la protection des droits humains et, du même coup, de se retrouver en prison ou victime de chantage. Enfin, dernier tabou notable : la sœur. Sur ce sujet, attention à ne pas se fâcher avec un frère ou un père, qui sont très protecteurs. Même si l’on assiste à un léger relâchement des contraintes sociales, il faut savoir qu’ici les liaisons des jeunes femmes sont l’affaire de toute la famille (certains mariages sont encore arrangés).

Armes à feu et drogues

D’une manière générale, vous serez plus en sécurité ici que dans bien des villes d’Europe occidentale. Cela étant dit, l’Albanie est un des pays au monde comptant le plus d’armes à feu en circulation. Cela remonte à la « crise des pyramides », en 1997, quand l’Albanie sombra dans le chaos et que les dépôts de l’armée furent vidés. Environ 200 000 kalachnikovs sont encore détenues par des familles. Ainsi depuis 1991, 12 000 personnes sont mortes par arme à feu, dont trois touristes en 2015 et 2016. Mais comme la mafia n’aime pas trop la mauvaise publicité, la violence est depuis à la baisse. La seule région qui peut présenter un risque est la zone frontalière avec le Kosovo, zone de non-droit réputée pour ses trafics en tous genres. C’est aussi là, dans certaines hautes vallées, qu’a été déplacée la plus grande partie de la production de cannabis depuis le démantèlement du fief de Lazarat, dans le Sud, en 2014. En Europe, l’Albanie demeure non seulement le premier pays producteur de cannabis, elle est aussi devenue la principale plaque tournante pour l’héroïne et la cocaïne. Acheter de la drogue au coin de la rue est assez facile dans tout le pays. Mais sachez que la législation prévoit de lourdes sanctions pour la possession, l’usage et le trafic de stupéfiants.

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