La musique traditionnelle
Ciment de l’identité bulgare, les musiques traditionnelles et folkloriques sont de vrais trésors nationaux que chaque génération contribue à préserver. La musique traditionnelle bulgare n’est d’ailleurs pas une complète inconnue aux oreilles du monde entier puisqu’elle a été popularisée par « Le Mystère des voix bulgares » dans les années 1980 et 1990. Aussi connu en tant que « Chœur vocal féminin de la télévision d'État bulgare », cet ensemble d’état fondé en 1952 a connu un succès mondial en interprétant le répertoire traditionnel bulgare, remportant même un Grammy Award en 1989 et hissant certains de ses membres sur un album de Kate Bush.
Mais c’est d’abord le pianiste et compositeur Béla Bartók qui, au cours de ses collectes ethnomusicologiques des années 1930, va être frappé par la singularité rythmique de la musique locale. Caractérisés par leur asymétrie, on trouve l’écho de ces « rythmes bulgares » dans certaines des compositions du hongrois comme Mikrokosmos. Si ces caractéristiques rythmiques sont communes à tout le pays, la tradition musicale bulgare, elle, varie énormément selon les régions. La pratique la plus fameuse, le chant polyphonique, est essentiellement issue du Sud-Ouest, dans la région autour de la capitale Sofia et de celle de Pirin (en Macédoine bulgare).
Pour obtenir une vision plus claire sur les musiques bulgares, quelques artistes et albums constituent d’excellentes portes d’entrée, comme la compilation Musique de Bulgarie éditée chez Nonesuch en 1955, un petit trésor. Enregistré par Philip Koutev (fondateur du « Mystère des voix bulgares »), la légende veut que l’album ait influencé Frank Zappa, ainsi que Crosby, Stills, Nash & Young. Scission du « Mystère des voix bulgares », le trio Bulgarka a également produit un incontournable de la musique traditionnelle bulgare avec The Forest Is Crying (paru chez Hannibal en 1988). Citons également Valya Balkanska, célèbre pour sa chanson Izlelye Delyo Haydutin envoyée dans l’espace lors du programme Voyager en 1977 ou Ivo Papazov, clarinettiste virtuose à la vivacité spectaculaire et grand spécialiste du folklore bulgare. Des œuvres et artistes qui sont autant d’occasions d’entendre les instruments traditionnels bulgares tels que la gaïda (cornemuse traditionnelle en peau de chèvre), la kaval (flûte très proche du ney arabe), le doudouk (un pipeau), le tamboura (un luth à long manche, cousin du bouzouki grec), la gadoulka (sorte de viole) ou encore le tapan (un grand tambour porté sur l'épaule).
En 1965, le ministère de la Culture a fondé le festival national de musique de Koprivshtitsa, devenu un rendez-vous important pour la valorisation des musiques et danses bulgares. Il a lieu tous les cinq ans au mois d’août et réunit des milliers de Bulgares de toute génération. Parmi les autres festivals folkloriques notables du pays, citons le festival folklorique international de Plovdiv, dont une bonne partie se déroule dans le très bel amphithéâtre romain de la ville, ou encore le festival de Smolyan, plus modeste, idéalement situé dans la capitale des Rhodopes. Aussi, il est courant d’entendre de la musique folklorique dans les méhanas – tavernes bulgares traditionnelles.
Musique populaire
Une musique typiquement bulgare ? Si vous posez la question à un jeune ou un peu moins jeune, il y a de fortes chances que l’on vous réponde le chalga. Parente éloignée du turbofolk serbe, cette musique trépidante et endiablée marie folklore local, musique électronique et rythmes balkaniques ou turcs. Une formule assez simple où l’on se contente souvent d’additionner un beat électronique à une mélodie vaguement traditionnelle et de rehausser le tout d’une imagerie un peu bling et provoc. Le genre est tellement populaire sur place que le chalga y est presque devenu un style de vie, une sous-culture à part entière avec sa mode, ses marques et ses valeurs – souvent axées autour du corps (muscles proéminents, implants mammaires, etc.) et de la consommation à outrance.
La superstar de la chalga est aussi sa figure la plus controversée : Azis. Bisexuel et d’origine rom, affichant un faible pour les Perfecto cloutés, talons à strass et perruques rousses, l’énorme succès d’Azis dénote un brin dans un pays plutôt conservateur et homophobe. Habitué à multiplier les hits, son morceau Sen Trope (qui signifie Saint-Tropez) est sans conteste le plus grand d’entre eux, ainsi qu’une excellente porte d’entrée pour découvrir l’artiste. Moins iconiques mais tout aussi adorés des Bulgares, d’autres interprètes notables du genre sont Preslava, incontournable dans la musique bulgare, Anelia, qui caracole très souvent en haut des hit-parades, ou Fiki, une des références masculines du genre.
En Bulgarie, pas besoin de chercher le chalga, il vient à vous. On l’écoute sur les autoradios et dans les bars, on visionne ses clips déjantés sur les chaînes musicales. Cela dit, bon nombre d’endroits en Bulgarie dédient leur scène au genre comme le Folk Club Revue de Sofia et sa programmation 100 % chalga ou Molerite à Bansko, une mehana qui se transforme en club après 23h.
Musique classique
L’intérêt pour la musique autre que folklorique ou les chants religieux n’apparaît que vers la moitié du XIXe siècle dans la ville de Choumen. Favorisé par l’émigration hongroise et polonaise, ainsi que par les troupes françaises immobilisées pendant la guerre de Crimée, cet intérêt grandit dès lors sans faiblir. Le solfège est introduit pour la première fois à l’école, les chorales et orchestres d’élèves prolifèrent. C’est Dobri Voïnikov qui compose les premières pièces bulgares, suivi par de nombreux musiciens dont le plus célèbre est issu de l’école de Choumen : Pantcho Vladiguérov (1889-1978). Probablement le plus grand compositeur bulgare, son œuvre est extrêmement complexe, variée et empreinte du caractère national. Il est proche des traditions réalistes de la musique classique européenne avec une grande originalité inspirée du folklore bulgare. Sa fameuse rhapsodie, Vardar, la plus connue hors des frontières, est familière à chaque Bulgare. Grand pédagogue, il compte parmi ses élèves quelques grands noms de la composition du pays, tels que le très prolifique Stefan Remenkov, caractérisé par sa musique lumineuse, vivante et pétrie de folklore, ou Alexis Weissenberg, grand pianiste (naturalisé français) que Karajan considérait comme un des meilleurs de son temps.
Autre grand compositeur bulgare, Parachkev Hadjiev (1912-1992) figure parmi les plus prolifiques du XXe siècle avec ses vingt et un opéras, six opérettes, trois comédies musicales et de nombreuses œuvres symphoniques et de musique de chambre. Son contemporain Marin Goléminov (1908-2000) est également un des compositeurs les plus respectés grâce à des œuvres fortement imprégnées de rythmes traditionnels et de motifs mélodiques folkloriques. Dans le domaine contemporain, Georgi Tutev (1924-1994) reste comme l’un des principaux représentants du modernisme bulgare et, plus récemment, Dobrinka Tabakova s’est affirmée comme une des compositrices bulgares les plus en vue (elle a été nommé pour un Grammy Award en 2014).
La plupart des grands compositeurs bulgares sont joués par l’Orchestre philharmonique de Sofia, plus ancien ensemble symphonique de Bulgarie (1928) et résident de la splendide salle Bulgaria. Aujourd’hui placée sous la direction de Nayden Todorov, de grands chefs nationaux dirigèrent l’ensemble par le passé, comme Atanas Margaritov en 1945 (il fut aussi directeur de l’Opéra de Gand puis celui de Dijon) ou Dobrin Petkov, à sa tête dans les années 1960. Ils sont les grands noms de la direction bulgare aux côtés d’Emil Tchakarov (1948-1991), qui fut entre 1983 et 1986 chef de l’orchestre symphonique de Flandre, Rossen Milanov (1965), directeur du Columbus Symphony Orchestra, ou Rossen Gergov (1981), autrefois directeur du Bulgarian National Radio Symphony Orchestra (à l’origine de nombreux enregistrements).
S’il a de bons orchestres, le pays jouit également de très bons solistes reconnus à l’international tels qu’Anatoli Kratsev (1947), éminent violoncelliste, largement considéré comme un des musiciens bulgares les plus importants, Vasko Vassilev, violoniste star qui a travaillé aussi bien avec Placido Domingo que Sting ou les Rolling Stones, Svetlin Roussev (1976), autre violoniste remarquable, Plamena Mangova (1980), grande pianiste qui se produit régulièrement avec l’Orchestre philharmonique de Radio France, et parmi la jeune génération la violoniste virtuose Liya Petrova (1990) et Vassilena Serafimova (1985), percussionniste et marimbiste qui participe activement à la renommée du marimba à travers le monde.
Pays amoureux de la voix, la Bulgarie a sans surprise vu se multiplier les vedettes dans le domaine des arts lyriques depuis plus d’un siècle. Parmi elles, citons l’éminente Raïna Kabaivanska (1934), une des principales sopranos lirico-spinto de sa génération, particulièrement associée à Verdi et Puccini, Ghena Dimitrova, une des plus grandes sopranos verdiennes du XXᵉ siècle qui s’est beaucoup produite à Paris, à Milan ou New York, ainsi que les basses Boris Hristov, Nicolaï Ghiaurov et Nicolaï Ghiuselev. Le premier, Boris Hristov (1914-1993), est sans nul doute la plus fameuse basse bulgare, il chanta dans les plus grandes salles mondiales et reste éternellement associé à Boris Godounov, son rôle fétiche. Le deuxième, Nicolaï Ghiaurov (1929-2004), a mis sa voix puissante au service des plus beaux rôles de Moussorgski et de Verdi, et le troisième, Nicolaï Ghiuselev (1936-2014), a connu les plus grandes scènes mondiales, en officiant essentiellement dans les répertoires italien et russe. Plus récemment, ce sont les sopranos Alexandrina Pendatchanska (1970) et Sonya Yoncheva (1981) qui s’imposent sur les grandes scènes lyriques du monde entier.
À noter qu'en Bulgarie, plusieurs sites proposent une programmation d'opéra. Hormis l’Opéra national de Sofia – qui propose un répertoire de qualité –, on trouve à Plovdiv un Opéra national d’un prestige similaire (le célèbre Plovdiv Philharmonique s’y produit régulièrement). Quant à l’Opéra de Roussé, il est considéré comme l’une des meilleures salles de toute la Bulgarie tandis que l’Opéra de Varna propose lui aussi une bonne programmation dans un superbe bâtiment. Côté rendez-vous, le festival international de musique de Varna fut le premier festival de musique créé en Bulgarie, en 1926, et demeure aujourd’hui un événement de renommée internationale.
La danse
Naturellement, les spécificités rythmiques des musiques folkloriques – asymétries, combinaisons de temps courts et longs – se retrouvent dans les danses bulgares. La plus populaire d’entre elles est sans doute le horo, dans laquelle tout le monde se tient par la main ou les épaules, en ligne ou en cercle, à l’instar d’une bourrée auvergnate. Si elle trouve des variantes dans l’ensemble des Balkans, le horo s’exprime aussi différemment selon les régions bulgares. Beaucoup d’autres danses populaires s’exécutent en ligne comme le tropanka, qui se distingue par un style lourd et tellurique, ou la tritepati, qui enchaîne pas rapides et lents.
Citons également le rite Nestinarstvo, un des plus anciens en Bulgarie, qui voit traditionnellement des nestinars danser en transe, les pieds nus, sur les braises au son d’une grosse caisse ou d’une cornemuse. On peut assister dans certains restaurants traditionnels à des spectacles de danse sur braise, mais ils ne peuvent égaler le vrai rite. Ce dernier se tient généralement le 21 mai. Autrement la fête de la Rose, première semaine de juin, est une excellente occasion de voir des danses traditionnelles et des costumes et rites authentiques dans tout le pays.