Découvrez l'Argentine : Tango, une pensée triste qui se danse

Depuis 150 ans les artères de Buenos Aires pulsent aux rythmes du tango : né dans les faubourgs crasseux des bords du Río de la Plata, le tango s'écoute aujourd'hui dans les beaux salons bien ordonnés et est classé au patrimoine immatériel de l'UNESCO. Paradoxe d'une musique insolente et très expressive, le tango est le fruit d'inspirations métissées à l'image de la ville de Buenos Aires : au XIXe siècle, les immigrants mêlèrent toutes leurs influences musicales et leur mélancolie collective. Elle est caractérisée par le son du bandonéon, cet accordéon argentin d'origine allemande qui lui donne toute sa nostalgie, et elle est dansée avec un chaloupé canaille et sensuel qui fut d'abord condamné par l'Église catholique avant d'obtenir ses lettres de noblesse dans les salons parisiens. « Le tango est une pensée triste qui se danse » : ainsi est exprimé l'imaginaire du tango par le célèbre parolier Enrique Santos Discépolo.

Les origines du tango

Il faut savoir que le tango naquit d’abord dans les bistrots malfamés des bords du Río de la Plata, où la communauté noire, majoritairement déportée d’Afrique bantoue, se regroupait, isolée, au sein d’une cité qui ne rêvait que d’Europe et de modernité. Toutefois, leur musique joyeuse et tonitruante, issue des candombes (« danse avec les tambours » en langues bantoues), allait bientôt gagner tous les nouveaux venus de l’immigration, en proie aussi à la solitude et à la mélancolie. Son histoire se forge aux flux des métissages et des influences musicales (valses et mazurkas européennes, habanera cubaine, candomblé africain…), ce qui ne permet pas d’identifier l’origine exacte du tango. Toutefois, le genre naît à la fin du XIXe siècle, lorsque l’Argentine fait alors figure de terre promise. Esclaves africains, immigrés européens miséreux et autres grands rêveurs bercés par les promesses du Nouveau Monde débarquèrent par millions et s’entassèrent dans les conventillos, de simples cours entourées de chambres en étages, pouvant héberger jusqu’à 500 personnes. Dans tous les cabarets, on venait chercher l’oubli : tous les déracinés de Buenos Aires se retrouvaient pour jouer aux cartes, se réfugier dans la chaleur de l’alcool et évoquer avec mélancolie leur vie de quartier. C’est là que le tango prit vraiment forme entre 1860 et 1880. À l’origine, il s’agissait d’un genre purement instrumental : des musiciens amateurs improvisaient, sur une tonalité simple, des mélodies éphémères. Les premières formations étaient des trios composés d’une flûte, d’un violon et d’une guitare.

Dès la fin du XIXe siècle, les Allemands débarquent avec leur bandoneón, très vite, il devient l'emblème du tango. Dans ces lieux miséreux la population est essentiellement masculine, les hommes répètent les pas de danse entre eux puis les pratiquent avec les filles de joies, dans les bordels, qui fleurissent dans les faubourgs. Désapprouvé par la « bonne » société argentine, le tango était considéré comme « sale » et interdit dans les hautes sphères de la société. Le tango devient alors un symbole des brassages ethniques et une véritable philosophie de vie.

Les codes de la danse

Danse improvisée, le tango répond toutefois à un langage et des codes précis qui suggèrent d'être constamment à l'écoute de chaque proposition de son partenaire. Malgré les différentes formes qu'il a pu prendre au fil des années, les bases sont partout les mêmes : les pas de base du tango consistent à marcher à deux et à se synchroniser. Dans la tradition, l'homme mène la danse et conduit la partenaire, elle doit se laisser entièrement abandonner. L'homme guide le pas, mais la femme peut influencer la danse en la ralentissant et en l'agrémentant. Pas de guidage directif donc : l'homme propose et la femme dispose. L'autre règle d'or : danser de tout son corps et de tout son être ! Les latinos ont la réputation de vivre et d'exprimer très intensément les choses : que le tango en soit témoin ! Plus ou moins sensuel, expressif, fluide ou burlesque, le tango se veut intime et élégant. L'invitation se fait à distance, par l'homme ou par la femme, mais attention : il ne faut jamais se déplacer pour aller directement inviter la personne ! Pour signifier son intention, il suffit de la regarder. Si l'on a son accord, alors cette personne effectue un signe de tête… c'est seulement à ce moment-là que vous pourrez vous déplacer vers elle. Si le consentement n'est pas là alors la connexion ne se fera pas : la beauté de la danse est régie par un désir mutuel, non contraint, ni obligé.

Partir pour mieux revenir

Au frémissement du XXe siècle, les fils de bonne famille viennent s'encanailler avec les migrants au son de cette danse venue des bas-fonds. Certains font affaire en Europe et glissent dans leurs malles les premiers disques de tango. Mal perçu dans son propre pays, le tango fait fureur dans la capitale française et y gagne ses lettres de noblesse. Différents styles de tango se développent alors de l'Europe de l'Ouest à la Russie, en passant par la Finlande. L'un des premiers grands succès est l'œuvre d'Angel Villoldo, El Choclo (L'Épi de maïs), qui fut même jouée sur le front allemand en 1916 ! On doit à Rosendo Cayetano Mendizábal une autre composition mythique, El Entrerriano (L'Homme d'Entre Ríos). Le tango fait alors son entrée dans les salons de la bonne société de Buenos Aires où il devient un emblème de la nation. L'âge d'or du tango, durant les Années Folles, a été marqué par ses chanteurs, comme l'inimitable Carlos Gardel. Les salons et les confiterías sont pleins à craquer, les grands orchestres enregistrent disque sur disque. D'Arienzo, Di Sarli, Pugliese, Troilo, D'Agostino… deviennent des stars dont les tubes se dansent encore à la milonga de nos jours.

Carlos Gardel, la plus grande figure du tango – dont la France, l'Uruguay et l'Argentine se disputent la paternité – fit ses débuts en 1911, guitare à la main, dans les bars de son quartier, l'Abasto. Il fut l'un des artistes les plus adulés de son pays et participa grandement au développement du tango en Europe et aux États-Unis.

L'âge d'or s'achève dans les années 1930 avec la mort tragique de celui-ci. Tandis que le genre musical s'épuise, pour connaître son renouveau dans les années 1950 avec des artistes majeurs comme Anibal Troilo, Edmundo Rivero, puis 1960 avec le nuevo tango, engagé dans une voie délaissée, celle d'un genre purement musical. Anibal Troilo, dit Pichuco fut l'un des plus grands bandonéonistes de tous les temps. Tout au long de sa carrière, il fut, par son charisme et ses qualités humaines, un grand rassembleur de vocations et de créations. De fait, son œuvre se situe au confluent du tango dansé, du tango chanté et du tango instrumental. Souvent présentée comme un tango révolutionnaire, l'œuvre d'Astor Piazzola rénova littéralement le tango par des apports de musique classique et de jazz. Bandonéoniste de génie, il vécut à New York pendant son enfance ; c'est là qu'il rencontra Gardel. Le chanteur Roberto Goyeneche fit ses débuts dans l'orchestre d'Horacio Salgan, et sa voix prit son envolée dans la troupe de Troilo. Il choisit de nombreux collaborateurs parmi les plus prestigieux artistes de l'époque et se construisit une carrière en solo des plus admirables. Dans la mémoire argentine, il occupe pour l'instant la place du dernier des grands chanteurs de tango.

Aujourd'hui, le tango ne fait pas seulement partie des clichés glamours sur le pays, il s'apprend et se danse dans les milongas de la capitale jusqu'au petit matin.

Le renouveau

Tombé en désuétude pendant la dictature, le tango revient à la mode chez la jeune génération après un nouveau passage par Paris dans les années 1990. Aujourd'hui, même si le tango se danse et se chante beaucoup à l'adresse des touristes à la recherche du glorieux passé porteño, il reste un art toujours vigoureux et populaire. Une partie de la jeunesse fait glisser ses baskets sur le parquet des milongas et les accords de bandonéons résonnent encore. Le tango a même été inscrit en 2009 sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l'humanité par l'UNESCO. Des artistes comme Daniel Melingo ou Adriana Varela continuent de le chanter, tandis que d'autres courants musicaux se l'approprient et lui donnent une nouvelle vie. C'est le cas de la musique électronique avec des groupes comme Gotan Project, Narcotango, Tanghetto ou Bajofondo Tango Club. Il semble également que le tango accompagne la marche du monde : qualifiant cette danse de machiste, les femmes souhaitent se réapproprier le tango en cassant les stéréotypes et en guidant la danse. Cependant, cette vision égalitaire a tendance à révolter les plus conservateurs qui ne se fient qu'aux formes traditionnelles. Mais le tango continue de se démocratiser et évolue avec les mentalités : en 2008, la première édition du festival du tango queer de Buenos Aires a réuni des couples de même sexe sur la piste de danse.

Faire l'expérience du tango

Impossible de venir à Buenos Aires sans voir un spectacle de tango, que ce soit dans une salle de spectacle ou dans une milonga. Pour commencer, n'hésitez pas à vous balader dans les quartiers de Monserrat, Boedo, Almagro et San Telmo. C'est dans ce dernier que vous trouverez des tango shows spectaculaires : le Bar Sur et son ambiance hors du temps promettent un spectacle en toute intimité, tandis que la Cumparsita se distingue des adresses sur-fréquentées de la capitale. Pour en prendre plein les yeux et les papilles, rendez-vous au Viejo Almacén, l'un des must de la ville en termes de dîner-spectacle ! Si les tango shows valent le détour – que ce soit dans le légendaire Café Tortoni ou dans les rues de San Telmo ou La Boca –, l'âme de la danse argentine vit dans les milongas où tous les âges, styles et générations se retrouvent pour danser. Du bal le plus traditionnel régi par d'anciens codes à la soirée alternative de jeunes en baskets, le tango à Buenos Aires est à l'image de la ville : passionné et haut en couleur. Il est parfois difficile de s'y retrouver entre toutes les offres, misez sur les valeurs sûres ! Pour une ambiance détendue, direction le Club Fulgor ou rendez-vous à La Mandrilera : un théâtre punk où les stars montantes Bruno Tombari et Rocio Lequio ont fondé une communauté de tangueros. Pour une ambiance encore plus festive, optez pour La Viruta, le temple du tango. Sinon direction La Catedral, une adresse emblématique grâce à son ambiance éclectique et son décor de brocante. Si toutefois vous êtes davantage tournés vers des adresses plus traditionnelles, profitez de l'orchestre-live du Salón Canning : tenues habillées exigées. Et pour du tango pur tradition, rendez-vous à Los Zucca, aux Jueves de Cochabamba ou au légendaire Club Sunderland dans le quartier périphérique Villa Urquiza. Des cours de qualité sont proposés dans toutes les bonnes milongas, des premiers pas des débutants jusqu'aux séminaires pour danseurs avancés et professionnels. On y apprend avec entrain et bonne humeur, et on y rencontre facilement des partenaires pour continuer à danser pendant le bal. De nombreuses académies et studios de danse de qualité existent également. Las Malevas, El Motivo au Club Villa Malcolm ou La Viruta promettent des cours de haute exigence. Enfin l'indispensable Floreal Milonga est un bel exemple d'un tango historique et élégant dans une atmosphère peu guindée. Enfin, les férus de culture et d'histoire n'hésiteront pas à arpenter la feria de San Telmo, à la recherche d'un vinyle ou d'une peinture pittoresque, tandis que d'autres se dirigeront au Museo Casa Carlos Gardel. Cette maison, située au cœur du quartier de l'Abasto, hébergea un temps le chanteur mythique et rend aujourd'hui hommage à sa vie et son œuvre. Pour en savoir plus, rendez-vous sur https://hoy-milonga.com pour être incollable sur les activités liées au monde du tango.

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