Des débuts aux années 1970
En juillet 1896, les émissaires des frères Lumière arrivent à Buenos Aires pour les premières projections argentines. Le premier réalisateur à mettre l’Argentine sur pellicule est en fait un Français, Eugène Py, qui réalise un court-métrage nommé La Bandera argentina, en 1897. La première réalisation à inclure des acteurs professionnels est La Revolución de Mayo en 1910. Le premier grand succès est Nobleza gaucha en 1915. Le parlant permet à l’industrie cinématographique de développer les films chantés et dansés, qui s’appuient d’ailleurs sur la vague du tango et la popularité de musiciens et de chanteurs comme le légendaire Carlos Gardel. Dans cet esprit, en 1933 sortent les succès Tango et Los Tres Berretines. On doit l’essor du cinéma argentin aux trois grands réalisateurs de cet âge d’or : Romero, Soffici et Torres Ríos, qui s’écartent d’une production trop conventionnelle pour adapter des œuvres littéraires à l’écran. Après la Deuxième Guerre mondiale, le cinéma argentin entame son déclin face à l’expansionnisme du concurrent nord-américain et aux aléas de la politique argentine, s’exprimant sous les gouvernements les plus libéraux, mais restant muselé sous les dictatures militaires. Dans cette période difficile, notons cependant qu’en 1954, le pays se dote du festival international du film de Mar del Plata, qui au fil des ans acquiert un prestige toujours plus grand en recevant les plus grandes stars internationales. En 1968 est créé l'Instituto Nacional de Cine y Artes Audiovisuales (INCAA), établissement public dépendant du ministère de la Culture destiné à subventionner la production cinématographique argentine. Le gouvernement militaire des années 1970 n’encourage pas la production argentine, et il est difficile d’évoquer de bons films. Certaines réalisations expérimentales comme La Hora de los hornos de Pino Solanas et Octavio Getino (en réalité un essai politique provocateur non autorisé en salles et qui doit être vu en clandestinité) franchissent parfois les tristes années qui passent.
De 1980 à l’aube des années 2000
En 1984, le cinéma argentin connaît enfin un triomphe international grâce à L’Histoire officielle de Luis Puenzo, qui reçoit l’Oscar du meilleur film étranger. Le film dresse un terrible constat des méfaits du pouvoir militaire. L’année suivante confirme ce renouveau avec Tangos, l’exil de Gardel de Fernando Solanas, primé par la Palme de la réalisation du Festival de Cannes. En 1986, Héctor Olivera suit les traces de Puenzo en replongeant lui aussi dans les années de dictature, pour en aborder le thème de la répression étudiante dans son film bouleversant La Noche de los lápices. En 1988, Fernando Solanas, à nouveau, signe un film hanté et sombre, Sur (Le Sud). On découvre enfin ces réalisateurs qui dépeignent leur pays tout en créant un univers personnel. Mais la crise économique de 1989 met de nouveau à mal l’industrie du cinéma en Argentine. Les productions étrangères font leur apparition en masse. La coproduction devient un mot d’ordre dans la profession. Cependant dès le milieu des années 1990, on parle d’un « nouveau cinéma argentin », appellation fréquemment utilisée pour parler d’une génération de cinéastes qui s’évertue à représenter son pays tout en adoptant un langage cinématographique universel, éloigné des considérations commerciales. La première œuvre à lancer cette mode est peut-être Rapado de Martin Rejtman, en 1996. Quand Pizza, birra, faso d’Adrian Caetano et Bruno Stagnaro sort sur les écrans en 1998, la tendance se confirme. L’une des belles réussites de ces années de renouveau est Garage Olimpo (1998, Marco Bechis), qui traite de la dictature militaire en contant l’histoire d’une de ses disparues. La même année, Mala Epoca met en scène des immigrants paraguayens, boliviens et péruviens : tout un monde absent des écrans argentins jusqu’alors. En 1999, Martin Rejtman réalise Silvia Preto, confirmant l’embellie cinématographique argentine. La même année, l'Argentine crée un festival du film indépendant qui remporte un franc succès : le Buenos Aires Festival Internacional de Cine Independiente (BAFICI).
La Nouvelle Vague du XXIe siècle
Les années 2000 amènent un lot d’œuvres centrées sur l’histoire compliquée de l’Argentine. Les réalisateurs se penchent sur des thèmes douloureux comme la crise économique (Memorias del Saqueo de Fernando Solanas, 2003) et de son impact sur les classes moyennes (Los Guantes Mágicos de Martin Rejtman, Tan de repente de Diego Lerman, Bolivia d'Adrian Caetano), la guerre des Malouines et ses vétérans (Iluminados por el Fuego, de Tristan Bauer) et toujours la dictature (Buenos Aires 1977, d'Adrián Caetano). On distingue chez certains cinéastes une envie de tourner des films plutôt minimalistes, voire contemplatifs, comme le réalisateur Lisandro Alonso et ses œuvres La Libertad (2001), Los Muertos (2004), Jauja (2014) ainsi que Carlos Sorín qui réalise Historias mínimas (2002), Bombón el perro (2004), El Camino de San Diego (2006) ou encore La Ventana (2009). Mais on aurait tort d'essayer de réduire les œuvres de la « Nouvelle Vague » argentine à quelques critères précis tant il fourmille de visions personnelles. C'est le cas de Lucrecia Martel qui, avec La Ciénaga (2001), La Niña santa (2003) et La Femme sans tête (2008), développe une subtilité et une maîtrise que la critique internationale salue très tôt. Citons également Lucía Puenzo et les œuvres XXY (2007) et El Niño Pez (2009) qui abordent le thème de la recherche de la sexualité. En 2013, la réalisatrice revient avec le remarqué Wakolda. N’oublions pas Rodrigo Moreno et El Custodio remarqué à Berlin en 2006 ou encore Lucía Cedrón et son œuvre Agnus Dei (2008). Dans un autre registre, Pablo Trapero confirme son statut de figure emblématique du cinéma argentin et vient régulièrement bousculer les écrans de grands festivals internationaux, comme Cannes. Trapero ne cesse de se réinventer et sort des œuvres très différentes comme El Bonaerense (2002), pamphlet rondement mené contre la police de la capitale argentine, Voyage en famille (2004), comédie plus légère, Nacido y Criado (2006), fuite amnésique dans un rude hiver patagonique ou encore La Leonera (2008), film émouvant sur la maternité en prison.
De 2010 à nos jours
Dès 2010, les cinéastes argentins marquent leur place dans les plus grands festivals du monde. À commencer par Juan José Campanella, déjà célèbre pour des œuvres comme El Mismo Amor, la Misma Lluvia (1999), Le Fils de la mariée (2001) ou Luna de Avellaneda (2004), qui remporte l'Oscar du meilleur film étranger en 2010 avec El Secreto de sus ojos (Dans ses yeux). À l’instar de L’Histoire officielle de Luis Puenzo, l’œuvre aborde la période de la dictature militaire, cependant plus indirectement, en dénonçant le déni de justice et l'impunité totale dont jouissait n'importe quel indicateur du régime. La même année le film Carancho de Pablo Trapero est sélectionné au festival de Cannes dans la section Un Certain Regard. En 2012, Trapero revient à Cannes dans la même catégorie avec Elefante Blanco. En 2016, son film El Clan est sélectionné dans la course aux Oscars. L'année précédente, c'est l'excellent film à sketches Relatos salvajes (Les nouveaux sauvages) de Damián Szifrón, qui est nommé aux Oscars. En 2017, Lucrecia Martel revient avec Zama présenté à la Mostra de Venise (en hors-compétition) et Santiago Mitre sort le thriller politique El Presidente, sélectionné dans la section Un certain regard au festival de Cannes. En 2018, Cannes sélectionne L’Ange de Luis Ortega (également dans la catégorie Un certain regard), produit par les frères Almodóvar. L’œuvre traite du jeune tueur en série argentin Carlos Robledo Puch « L’ange noir », responsable de la mort de onze personnes dans les années 1970 à Buenos Aires. L’année 2018 marque aussi la sortie de La Flor de Mariano Llinás. L’œuvre remporte le titre du plus long film de l’histoire du 7e art argentin, puisqu’il dure 814 minutes. Tourné en 10 ans, La Flor se divise en six épisodes (dispersés en quatre parties) qui exploitent chacun un genre cinématographique différent. En 2020, on remarque la sortie de The Intruder (El Prófugo) de Natalia Meta, sélectionné en compétition officielle au festival de Berlin et Mamá, mamá, mamá de Sol Berruezo Pichon-Rivière également sélectionné à la Berlinale dans la catégorie Generation Kplus.
À l’international
Grâce à un climat toujours favorable (même en hiver) et des villes comme Buenos Aires dont l’atout majeur est sa ressemblance avec des villes européennes, l’Argentine s’inscrit dans la lignée des pays privilégiés pour les tournages de films étrangers. On remarque plusieurs films à succès passés par les terres argentines, comme Moonraker en 1979 où le célèbre James Bond affronte le Requin dans le cadre des Chutes d’Iguazú, situées entre l’Argentine, le Brésil et le Paraguay. On retrouvera les Chutes d’Iguazú dans le drame À cœur ouvert (2012) de Marion Laine, avec Juliette Binoche ou encore le blockbuster Black Panther (2018) de Ryan Coogler. En 1986, le tournage (campé en Argentine) du deuxième opus de la saga Higlander (Highlander – le retour, Russel Mulcahy) connaît des difficultés de budget : L’Argentine est dans une période économique très sombre et la construction des décors du film est très onéreuse. En 2004, le Buenos Aires des années 1970 est à l’honneur dans Disparitions de Christopher Hampton. Dans les films tournés en Argentine, on remarque plus récemment Diversions (2015, Glenn Ficarra) ou encore le thriller historique Operation Finale (2018, Chris Weitz), sur la traque du nazi Adolf Eichmann par des agents du Mossad à Buenos Aires dans les années 1960. En 2019, sort le très remarqué Les Deux Papes de Fernando Meirelles, avec Anthony Hopkins et Jonathan Pryce. Cette œuvre britannique en co-production avec l’Italie, les États-Unis et l’Argentine reçoit plusieurs nominations aux Oscars (meilleur acteur, meilleur second rôle et meilleur scénario) ainsi qu’aux Golden Globes (dont meilleur film dramatique) de 2020.