Héritage guarani
Au cœur de la vieille ville de Montevideo, le Museo de arte precolombino indigena (MAPI) invite à découvrir l’art des natifs, en particulier la culture guarani. Les Guaranis constituent l’un des principaux groupes ethniques du pays. Garants des coutumes indigènes, ils pratiquent tous les arts et artisanats. La tradition de la sculpture sur bois, perpétuée depuis plusieurs siècles, s’est renouvelée à l’époque coloniale.
L’arrivée des Espagnols et des Portugais occasionne un métissage culturel sans précédent. Soucieux de protéger les Indiens guaranis, les pères jésuites leur enseignent les arts. Ils transmettent les canons européens, surtout en sculpture, à partir de modèles importés ou reproduits. C’est ainsi que naît un art baroque-guarani destiné à embellir les édifices catholiques. Les statues polychromes que l’on peut admirer de nos jours sont produites dans ces ateliers d’art jusqu’au milieu du XVIIIe siècle. Les indiens adaptent les modèles en créant un style épuré, non moins émouvant.
De l’académisme au modernisme
Juan Manuel Blanes (1830-1901) s’inspire de l’histoire de son pays pour peindre ses tableaux les plus emblématiques. Ce représentant du classicisme national voit le jour l’année où l’Uruguay devient officiellement un pays à part entière. Il commence très jeune à dessiner. Après avoir ouvert un atelier à Montevideo, il gagne sa vie en tant que portraitiste.
Peintre du réalisme, il part enrichir sa technique à Florence grâce à une bourse d’études. Il découvre là les possibilités offertes pour la peinture à l’huile. A son retour, il peint les grands événements historiques et se fait le portraitiste des figures de l’Indépendance. En 1879, il retourne en Italie avec sa famille pour développer ses talents de sculpteur. Mais les drames se succèdent : sa femme décède en 1889, puis il perd l’un de ses fils dans un accident en 1895, ainsi que son frère très proche. Il perd également toute trace de son fils Nicanor, resté en Italie et avec qui il était en conflit (il avait entretenu une relation avec la femme de celui-ci). L’artiste restera dix ans à Pise pour le chercher, jusqu’à son décès en 1901.
Les œuvres de cet artiste, acclamé en Amérique latine, sont conservées au Museo Nacional de Artes Visuales ou encore au Museo Juan Manuel Blanes comme le patriotique Treinta y tres Orientales.
Pedro Figari (1861-1938). Jugé comme le précurseur de l’art moderne dans cette partie du monde et dont les œuvres sont visibles dans ces mêmes deux musées ainsi qu’au Museo Figari, Pedro Figari est tout d’abord écrivain et politicien. En raison de sa carrière politique, il se lance tardivement en peinture. Il puise ses thèmes dans ses souvenirs d’enfance, ce qui confère une grande tendresse à ses œuvres. Il séjourne une dizaine d’années en France, d’où il rentre avec des centaines de peintures. Ses scènes champêtres ou ses scènes urbaines et colorées inspirées du candombe s’inscrivent dans la continuité des nabis. Son trait reste naïf mais ce sont sa sensibilité et son sens de la couleur qui rendent son style inclassable.
Constructivisme
Joaquín Torres García. Né à Montevideo en 1877, Joaquín Torres García part vivre à Barcelone avec sa famille à l’adolescence. Élève de l’École des Beaux-Arts de Barcelone, celui qui sera le père du constructivisme uruguayen s’attache à proposer une nouvelle vision de la vie moderne. A Paris, où il retrouve Picasso en 1920, son style s’oriente vers le cubisme.
Après un voyage à New York dans les années 1930, il s’intéresse aux arts anciens. La culture précolombienne mais aussi africaine et égyptiennes l’inspirent. Retourné en Espagne, il choisit Madrid pour rédiger Arte Constructivo. Le manifeste publié en 1935 est dédié à son ami Mondrian, pionnier de l’abstraction. Le constructivisme, né en Russie en 1913, est également un art non figuratif, mais basé sur la composition géométrique.
C’est à l’âge de 60 ans, en 1934, qu’il retourne pour la première fois à Montevideo. Il fonde l’équivalent du Bauhaus, et ouvre un atelier destiné à former ses élèves au constructivisme. Les plus grands artistes sortiront de l’Atelier Torres García. Citons le sculpteur sur pierre Gonzalo Fonseca (1922-1997) qui conçoit ses créations comme des microcosmes reliant le passé et l’avenir ; le peintre, céramiste et musicien né en Lituanie José Gurvich (1927-1974), autre figure majeure du constructivisme. Le Museo Torres Garcia rend hommage à l’artiste.
Carlos Páez Vilaró
Figure marquante du XXe siècle, le plasticien Carlos Páez Vilaró a été tout au long de sa carrière un créateur infatigable. Né en 1923 à Montevideo, il part à Buenos Aires exercer le métier de graphiste. A son retour en Uruguay dans les années 1940, il se met à peindre. Pour cela, il s’inspire de la culture afro-uruguayenne, dont la musique et les danses candombe, rythmées par les tambours.
Au fil des décennies, il explore toutes les formes d’expression. Sculpture, céramique, fresque, écriture et même cinéma comme le documentaire Batouk. Coécrit avec Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor, ce film a été diffusé au Festival de Cannes en 1967.
Les arts primitifs et les voyages renouvellent son style par la suite. Il expose sur tous les continents, aux côtés des plus grands maîtres du XXe siècle. Carlos Páez Vilaró s’éteint en 2014 à Casapueblo, sa maison-musée-hôtel de Punta Ballena qu’il considérait comme sa sculpture habitable. Cette construction tentaculaire de style méditerranéen, il l’a bâtie de ses propres mains avec l’aide de ses amis et des pêcheurs du village. Tous les soirs, à l’heure où le soleil se couche à Punta del Este, la voix de Carlos Páez Vilaró déclame l’un de ses poèmes. La Cérémonie du Soleil est un must !
Street-art
Dans la capitale de l’Uruguay, le street-art a éclos après la dictature, dans les années 1980. Les habitants ont gardé en mémoire l’œuvre peinte en 1984 en hommage à Victoria Diaz, enseignante qui s’est sacrifiée pendant la guerre civile espagnole. En légende, avant qu’elle ne soit effacée en 2017, on pouvait lire Ánimo compañeros que la vida pueda más : « Courage compagnons, la vie reprendra ».
Dans Ciudad Vieja, et aux environs du port, les styles les plus diversifiés reflètent l’énergie créatrice des habitants. Dans tous les quartiers, les œuvres de rue relatent des événements historiques ou sportifs, ou transmettent des messages d’amour et de paix… même si l’art urbain a été interdit en 2014.
Restons à l’extérieur pour suivre James Turrell, le maître du land art qui sculpte la lumière. Son installation Ta Khut, par ailleurs le premier observatoire indépendant d’Uruguay, se découvre dans la ville côtière de José Ignacio, sur la propriété de l’hôtel Posada Ayana. Un voyage astral sous le signe de l’art et du design.