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Grandeur Maya

Les grandes cités-Etats mayas illustrent un sens aigu de l’architecture monumentale, du décor et d’un urbanisme qui se fait miroir des hiérarchies sociales. Les classes populaires vivent à l’écart des centres urbains, dans des huttes en matériaux périssables (bois, palmier, chaume). Prêtres et hauts dignitaires, eux, vivent au cœur de la cité. C’est là que se trouvent les bâtiments phares qui reposent sur d’importantes plateformes de pierre et s’organisent autour de grandes places ou agoras. Pour la construction, les Mayas utilisent le calcaire facilement taillable avec leurs outils en obsidienne et un mortier qui reproduit les propriétés du ciment. Par souci d’homogénéité, les surfaces étaient recouvertes de plâtre avant d’être peintes avec des pigments minéraux et organiques, surtout en rouge et bleu. Sculpture, bas-relief, céramique, peinture, toutes les formes d’expression artistique sont utilisées pour sublimer leur style épique et monumental. Les Mayas ont repris la tradition des grandes pyramides olmèques, en y ajoutant de la hauteur et du volume, et surtout en travaillant les façades qui, en plus d’être peintes, étaient taillées et décorées de frises, fresques, masques en stucs ou panneaux de pierre et surtout d’impressionnants glyphes. Au sommet de ces pyramides se trouve le temple. La pyramide représente la montagne sacrée et le temple, la caverne pour y pénétrer. Le seuil du temple est souvent matérialisé par la gueule d’une créature zoomorphe, tandis que son sommet est décoré d’une crête faîtière stylisée. A l’intérieur des édifices, les plafonds sont lourds, les murs épais et les espaces exigus. On y repère cependant une technique étonnante consistant en un encorbellement de deux murs opposés qui finissent par se rejoindre formant ainsi la fameuse « fausse voûte maya ». Les Mayas construisent et reconstruisent leurs bâtiments sur les mêmes lieux, créant des sortes de pyramides gigognes, dans une étonnante contraction de l’espace et du temps. A côté des temples-pyramides, se trouvent également des palais s’articulant autour de patios reliés entre eux par des passages et des corridors ; des stèles-autels ; mais aussi des jeux de balles en forme de « i » et aux murs inclinés, et des observatoires. Ces derniers illustrent l’importance donnée à l’astronomie. Chaque édifice est orienté selon la direction des astres, afin notamment d’être éclairé par le soleil au moment des solstices et équinoxes. A cela s’ajoute une science de l’ingénierie hors du commun. Les cités-Etats mayas étaient ainsi reliées entre elles par des sakbe, voies de circulation rectilignes, construites en calcaire et légèrement surélevées. Dans certaines cités, les Mayas ont également mis en place d’étonnants systèmes de barrages et de réservoirs (souvent des ravins dont ils avaient enduit les parois avec une couche de latex imperméabilisante). Ils ont également développé le premier exemple de filtration de l’eau, grâce à l’emploi de la zéolite, minéral volcanique poreux capable d’emprisonner les contaminants. Cette architecture de l’eau est particulièrement présente à Tikal. « La cité des échos » se compose de milliers d’édifices dont les plus impressionnants sont le grand Temple du Jaguar et le Temple des Masques, s’élevant tous deux à plus de 40 m. Le Guatemala regorge de bien d’autres sites d’exception : Aguateca, qui possède un exemple unique de pont maya ; Pedras Negras qui abrite les seuls bains mayas connus au monde ; Quirigua, aux stèles d’une splendeur inégalée et taillées non pas dans le calcaire mais dans le gré plus souple, permettant un extrême raffinement ; El Mirador avec son étonnant complexe de céramiques ; ou bien encore la cité perdue d’Iximché aux impressionnants sanctuaires et sculptures polychromes. Une petite escapade au Honduras vous permettra de découvrir l’incroyable Parque Arqueológico Copán avec ses escaliers-livres ornés de milliers de glyphes, ses stèles faisant l’objet d’un véritable culte (chaque stèle porte un nom et possède sa personnalité), et ses autels zoomorphiques. Et ce ne sont là que quelques exemples de cette civilisation de légende qui est loin d’avoir révélé tous ses secrets !

Héritage colonial

En matière architecturale, la colonisation revêt différents visages. Défensif d’abord, comme le montre le Castillo de San Felipe avec ses imposantes tours en pierre et sa silhouette qui dévoile toutes les transformations liées aux évolutions de l’artillerie : structures bastionnées à la Vauban, batteries, casemates… Religieux ensuite. Les ordres Dominicains et Franciscains ont imaginé de véritables routes de l’évangélisation peuplées d’églises, chapelles et oratoires, faisant la part belle à un style devant tout à la fois édifier et éduquer les Indiens. Les Dominicains ont également mis en place le système des confréries, confradias, qui rassemblent, autour de l’église, les communautés dispersées, créant un système villageois où rites chrétiens et mayas se mêlent dans un étonnant syncrétisme. Chichicastenango en est l’exemple parfait avec sa Plaza Mayor reliant architecture vernaculaire et églises, dont l’Iglesia de Santo Tomás, bâtie sur un ancien sanctuaire maya. Le dernier visage de la colonisation se fait urbain, comme le prouve Flores, célèbre pour ses rues pavées étroites, ses maisons d’adobe aux toits de tuiles rouges et surtout pour le double dôme de sa cathédrale. Mais le chef-d’œuvre incontesté de l’architecture coloniale est bien sûr la ville d’Antigua. La Couronne espagnole souhaitait en faire un exemple de sa puissance, ce qui explique cette planification urbaine directement inspirée des plans en damier chère à la Renaissance. Le premier style de la ville est directement inspiré de la Renaissance plateresque et emploie à foison de superbes détails stylisés en plâtre et stuc mêlant entrelacs et volutes. Mais le style qui a le plus marqué la ville est la « baroque antiguayen ». Si ce dernier reprend les caractéristiques du baroque européen, notamment celui que l’on a baptisé churrigueresque pour sa débauche de stucs, gravures, dorures, colonnes torses, ferronneries ouvragées et coupoles, il s’adapte également aux colères de la terre qui menacent sans cesse la ville. Murs épais en moellons liés au mortier, tours d’églises et édifices de plus en plus bas, façades décorées de franges verticales lisses pour compenser la massivité par une sensation d’élancement, tout est pensé pour résister aux séismes… ce qui n’empêchera pas la ville d’être dévastée par celui de 1773. Mais Antigua a toujours su renaître de ses cendres et conserver ce panache qui la caractérise. Voyez ses élégantes maisons aux façades colorées, organisées autour de patios avec fontaines et dont on admire à chaque coin de rue les superbes fenêtres aux formes géométriques variées et aux « grillages » aux fines colonnettes de bois savamment sculptées ; voyez les arcades commerçantes ou portales de sa Plaza Mayor avec leurs charpentes de bois créant un treillis que de beaux azulejos ou des tuiles vernissées viennent compléter ; voyez les détails en pierre, plâtre, brique, adobe ou terra-cotta qui partout ornent portails, voûtes, colonnes et chapiteaux. Parmi les plus beaux édifices d’Antigua, ne manquez pas : l’Iglesia y convento de La Merced et le Santuario de San Francisco el Grande aux façades peuplées de colonnes torses et de dizaines de niches ; le Palacio de Los Capitanes avec la grande arche double rythmant sa façade et ses multiples patios ; l’Arco de Santa Catalina dominant la Calle de Arco (« rue des arches ») de sa silhouette jaune surmontée d’un lanternon ; le Convento Las Capuchinas avec son étonnant édifice rond sculpté de niches où s’ordonnent les 19 cellules des nonnes ; ou bien encore la très belle Casa Popenoe avec sa porte en bois blasonnée et ornée de clous en fer forgé, son beau porche couvrant une petite allée pavée menant au patio principal, et ses superbes ornements de plinthes, colonnes et linteaux mêlant travail du bois et de la pierre.

XIXe-début XXe

Les styles néo sont particulièrement en vogue chez les Ladinos (métis « hispanisés ») nouvellement enrichis qui se font construire des demeures aux inspirations antiques et classiques. C’est le cas à Quezaltenango, où l’on peut, par exemple, découvrir le temple néo-hellénique de Minerve et l’église néogothique Saint-Nicolas. La ville possède également d’intéressants exemples d’architecture métallique, à l’image du très beau Pasaje Enriquez dont la verrière, portée par une élégante structure métallique, est directement inspirée des galeries commerçantes parisiennes. Le développement du chemin de fer s’accompagne d’une architecture éclectique d’inspiration victorienne que l’on retrouve dans les gares, bureaux et hôtels. A Guatemala City, les grands représentants de cette période sont la néobaroque Catedral de San José avec ses grandes arches et autels colorés ; El Portal de Comercio, de style néoclassique ; et la néobaroque Iglesia de La Merced avec ses arcs stylisés et dorures à foison. A cette époque, les Allemands sont présents en nombre au Guatemala, et ce sont eux qui vont importer l’Art Déco, dans la capitale notamment. De très beaux exemples sont à voir autour de l’Avenida Sexta. L’Immeuble La Perla avec ses colonnes trapézoïdales et ses lettres stylisées ; le Cinéma Lux tout en courbes et lignes droites et aux décors de mosaïques ; l’Imprimerie Hispania avec sa façade bleue, ses décors tourbillonnants et ses lettrages verticaux et horizontaux ; ou bien encore les immeubles aux balcons arrondis rappelant ceux des paquebots… tous sont de beaux exemples de ce style tout en géométrique sobriété. Ces années 30 sont également marquées par l’édification de deux inclassables de la capitale : le Palais National d’un style ampoulé empruntant à la tradition coloniale ; et la Torre del Reformador, dont les 71,85 m de métal rappellent la Tour Eiffel. Entre historicisme et modernité, le Guatemala se cherche encore…

Guatemala contemporain

C’est dans les années 50-60 que Guatemala City entre pleinement dans la modernité, faisant rimer fonctionnalisme et tradition. Le nouveau bâtiment de la Bibliothèque Nationale du Guatemala, avec la sobriété des lignes de ses volumes géométriques, en est un très bel exemple. L’élément phare du bâtiment est la fresque sculptée par Efrain Recino, qui réinvente les liens entre sculpture et architecture, puisant notamment son inspiration dans les motifs géométriques mayas. C’est à lui également que l’on doit le Centro Cultural Miguel Angel Asturias, parfait exemple de modernisme expressionniste avec ce béton dont les formes et volumes évoquent autant des créatures oniriques que les cimes des volcans environnants. Jorge Montes, lui, a réalisé le bâtiment moderniste de l’Université de San Carlos de Guatemala, que l’on reconnaît à ses volumes de béton blanc sur pilotis et à ses motifs triangulaires ; ainsi que la Banco de Guatemala, au cœur du Civic Center, dont les motifs sculptés de la façade rappellent l’art pictural indien. En 1976, un terrible séisme ravage le pays, provoquant un exode rural massif et une croissance urbaine difficile à juguler. En parallèle, la population indienne subit une terrible répression et se voit contrainte de travailler dans des « villages modèles », tandis que les terres sont confisquées pour permettre la construction d’autoroutes ou de complexes hôteliers. Une construction à outrance qui se poursuit dans certaines zones, telles les rives du Rio Dulce avec ses marinas et villas de milliardaires. Autre folie des grandeurs : Paseo Cayala, à la périphérie de Guatemala City. Cette gated community, à laquelle on accède par une arche monumentale, tente de recréer l’illusion d’un centre historique à grands renforts de styles néoclassique et néocolonial… mais parvient seulement à souligner l’aspect profondément inégalitaire de la société guatémaltèque. Fort heureusement, de nombreux créateurs contemporains font le choix d’une architecture plus respectueuse de l’héritage culturel et naturel du pays. Après l’éruption dévastatrice du Volcan de Fuego en 2018, le projet Plan B Guatemala a été mis en place, et c’est dans ce cadre que l’agence DEOC Arquitectos a imaginé de nouveaux abris faciles à construire et à entretenir, et dont les parpaings sont disposés de façon à créer un treillis protecteur, tout en assurant aération et ventilation. A Santa Catarina Palopo, un grand projet prévoit de peindre près de 800 maisons, en célébration de la culture maya Kaqchicel, dont on reprend notamment les motifs géométriques du huipil, vêtement traditionnel. Soucieux de mettre un terme à l’insalubrité et la précarité qui règnent dans les bidonvilles des ravins entourant Guatemala City, les architectes du collectif Barranco Invertido (« ravin inversé ») désirent les réhabiliter en « ceintures écologiques », en imaginant notamment des ponts, escaliers, et transports en communs verticaux afin de relier ces profondeurs oubliées au centre de la ville, tout en créant des parcs écologiques et des maisons flottantes pour améliorer les conditions de vie des habitants. En parallèle, nombreux sont les créateurs contemporains à tenter de lier geste architectural fort et respect des traditions. Cela se ressent dans les très élégantes villas de l’agence Paz Arquitectura dont les structures de bois, verre et acier s’adaptent parfaitement aux différentes topographies ; ou bien encore dans les bibliothèques de Solis Colomer (Bibliothèque Koica et Bibliothèque Villa de los Niños) qui mêlent volumes simples, espaces végétalisés et motifs géométriques en verre ou en faïence vernissée.

Architecture vernaculaire

Si le béton et la tôle sont un peu partout présents, les matériaux naturels continuent à faire de la résistance ! Les Garifunas utilisent ainsi le palmier pour la charpente, les feuilles de palmier pour le toit, la canne sauvage pour créer le treillis de l’armature comblé par un mélange d’argile, et des plantes grimpantes pour relier l’ensemble. Les Mayas, eux, privilégient le sapotillier pour les poutres et poteaux, l’acajou et le cèdre pour les portes, fenêtres et encadrements et un mélange de guano et de corozo (« ivoire végétale » tiré du palmier) pour le chaume des toits. Dans les régions rurales, comme dans les régions montagneuses, les habitants privilégient là aussi des constructions naturelles, avec d’un côté les constructions en adobe, faites de blocs de terre crue séchés au soleil ; et de l’autre, les constructions bajareque, faites d’une structure végétale composée de bois ou de bambou formant une sorte de colombage rempli avec de la terre et de la paille. Les nombreux séismes ont prouvé que ces structures étaient très résistantes, les premières du fait de leur masse, les secondes du fait de leur flexibilité. Voilà pourquoi de nombreux architectes s’intéressent aujourd’hui à cette architecture vernaculaire, y puisant l’inspiration pour élaborer les innovations architectoniques de demain.