Naissance de Rolihlahla
Le 18 juillet 1918, une future légende pointe son nez dans le petit village de Mvezo, situé à l'est de Port Elizabeth. Rolihlahla Mandela est né. Il fait partie de l’ethnie xhosa, un peuple fier, pour qui l’héritage est transmis par le père, un peuple attaché à la loi, à la politesse et à l’éducation. Du sang royal Thembu coule dans ses veines. Son père fut dépossédé et, face à ces difficultés, sa mère et lui partirent s’installer à Qunu, plus au nord. C’est dans ce petit village, à travers vallées, ruisseaux et vertes collines, que Rolihlahla Mandela passa ses plus belles années d’enfance. « Les garçons étaient pratiquement livrés à eux-mêmes », raconte-t-il. Il n’a pas encore dix ans quand il perd son père, Galda Henry Mphakanyiswa, né chef selon la coutume. Il souffrait d’une maladie pulmonaire et mourra la pipe encore allumée à la bouche, entouré de la mère de Mandela et sa plus jeune femme. Un homme « fier et révolté, avec un sens obstiné de la justice, que je retrouve en moi », écrira Mandela dans sa biographie.
Une adolescence politisée
À la mort de son père, le régent du peuple Thembu, Jongintaba Dalindyebo devint son tuteur. Il allait manquer à sa mère, mais elle ne put refuser une proposition pareille, elle savait qu’il aurait une bonne éducation. Mandela se sent alors comme un poisson dans l’eau dans cette nouvelle maison royale et commence son éducation politique, observant le régent et sa cour, ainsi que le déroulement de grandes réunions où le peuple était invité à s’exprimer. « C’était la démocratie sous sa forme la plus pure. » Dans la tradition xhosa, Mandela ne devient un homme qu’en 1934, année de sa circoncision, de son passage de l’enfance à l’âge adulte. Écolier à Clarkebury, puis lycéen à Healdtown, adolescent, Mandela a déjà un caractère bien trempé. Le jeune révolutionnaire dans l’âme entame ensuite ses études à l’université de Fort Hare. C’est la seule université du pays réservée aux « non-Blancs ». Il étudie l’anthropologie, l’anglais, la politique, l’administration et le droit néerlandais. Si sa campagne lui manque régulièrement, il découvre ici un monde totalement nouveau. Il fait du sport, c’est d’ailleurs lors d’une partie de football qu’il rencontre Olivier Tambo. Le jeune Mandela fait partie de la troupe théâtrale, est membre de le l’Association chrétienne des étudiants et se passionne pour la danse.
Un parcours universitaire agité
Très vite impliqué dans les conditions de vie universitaire, il est désigné pour siéger au Conseil représentatif des étudiants (CRE). Les étudiants de Fort Hare élisaient les six membres du CRE. Lors d’une assemblée générale, les étudiants soulèvent deux problèmes : ils sont insatisfaits de la nourriture et demandent de renforcer les pouvoirs du CRE. Mandela est d’accord avec ces deux points. Alors quand la majorité des étudiants vote le boycott des élections si la direction n’accepte pas ces revendications, lui aussi. Cependant, le directeur, Kerr, lui signale que s’il démissionne du CRE, il devra quitter l’université et éventuellement revenir en septembre en réintégrant le bureau du CRE. Respecter son principe moral ou ne pas ruiner ses études ? La vie en décida autrement pour lui. De retour à Mqhekezweni, l’oncle de Mandela organise son mariage. Rusé, Mandela lui dit qu’il accepte à condition de terminer ses études et s’enfuit à Johannesburg où il découvre la grande ville et y passe quelques années. Après avoir obtenu son examen à l’UNISA, il retourne à l’université de Fort Hare pour la remise de diplôme vêtu d’un nouveau costume.
Naissance d’un combattant de la liberté
Toutes ces années forgent en Nelson Mandela un futur combattant de la liberté. Il écrit : « Être africain en Afrique du Sud signifie qu’on est politisé à l’instant de sa naissance, qu’on le sache ou non. » Celui qui rêvait alors d’une carrière de fonctionnaire participe dès 1944 à la fondation d’une Ligue de la jeunesse dans l’ANC, l’organisation pacifiste dirigée par le docteur Xuma. « Il n’y a pas eu de jour particulier où j’aurais dit : à partir de maintenant je vais me consacrer à la libération de mon peuple ; à la place je me suis simplement retrouvé en train de le faire sans pouvoir m’en empêcher », racontera plus tard Nelson Mandela dans sa biographie. Entouré de Walter Sisulu, il lui porte un profond respect et une admiration sans faille. L’ANC s’inspire de Roosevelt et Churchill pour rédiger sa charte : « Les revendications des Africains ». Début 1946, Mandela emménage à Orlando East avec sa compagne, Evelyn, sans électricité, toit de tôle, sol en ciment, kitchenette et seau au fond d’une pièce en guise de toilettes. C’est dans cette première maison que naît leur premier enfant : Madiba Thembekile. Il porte le nom de clan de son père, Madiba, un héritage important chez les Xhosa. La période qui suit est marquée par le militantisme des populations noires, métis et indiennes.
Lutte pour l’égalité
La Ligue de la jeunesse rêve d’égalité. Quelques années et événements, grèves et autres manifestations plus tard, en 1952, en parallèle de toutes les luttes qu’il conduit, Mandela ouvre le premier cabinet d’avocats noirs d’Afrique du Sud avec son ami Olivier Tambo, le « Mandela et Tambo ». « Les Africains recherchaient désespérément une aide légale : c’était un crime de franchir une porte réservée aux Blancs, de monter dans un bus réservé aux Blancs, de boire à une fontaine réservée aux Blancs, de marcher sur une plage réservée aux Blancs, d’être dans une rue après 11 heures du soir, de ne pas avoir de pass et de ne pas y avoir la bonne signature, de ne pas avoir de travail et d’en avoir dans un mauvais quartier, de vivre dans certains endroits et de ne pas avoir d’endroit où vivre… », relate-t-il.
L’incontournable prise des armes
Inspiré par le combat de Gandhi qui a vécu au Natal en Afrique du Sud, Mandela est profondément pacifique. En 1955, l’ANC empêche les jeunes de s’insurger contre la police, ce qui selon l’ANC aurait conduit à un désastreux suicide collectif sans une organisation minutieuse et préparée. Mais l’apartheid creuse un fossé de plus en plus profond, la violence grandit et les négociations pacifiques s’effondrent. Il faut prendre les armes. Le massacre de Sharpeville en 1960 donne le la. L’organisation se rallie à la lutte armée et Nelson Mandela créé le MK, Umkhonto we Siswe. S'ensuit une véritable guerre de libération. Sabotages, guérilla, terrorisme… La révolution est ouverte. Nelson Mandela va jusqu’à se former à Oujda, à la frontière entre le Maroc et l’Algérie, en Afrique du Nord. D’ici, l’ANC observe l’évolution militaire des troupes du FLN.
Une première arrestation
Au petit matin du 5 décembre 1956, la police frappe à la porte de Mandela. Devant ses enfants, il est arrêté pour « haute trahison », comme pratiquement l’intégralité de la direction nationale de l’ANC, soit 156 personnes. Le procès les laisse libres dans un premier temps et reprend en janvier, à condition de se présenter chaque semaine au commissariat et avec interdiction d’assister à toute réunion publique. Mais la liberté retrouvée, c’est sa femme Evelyn qui part. Mandela garde beaucoup de respect pour elle, mais dit simplement avoir raté son couple qui avait des « différences inconciliables ». Par le plus beau hasard des choses, il rencontre rapidement Nomzamo Winnifred Madikizela, alias Winnie, dont il tombe amoureux au premier regard. Ils se marient le 14 juin 1958. En 1960, quand Mandela sort de prison après cinq mois de détention, l'état d’urgence est levé. Déjà il pensait : « Quand on est allé en prison, ce qu’on apprécie le plus, ce sont les petites choses : être capable d’aller se promener quand on veut, entrer dans une boutique, acheter un journal, parler ou choisir de rester silencieux. Le simple fait d’être maître de ses actes. »
Le massacre de Sharpeville
Pendant un demi-siècle, l’ANC a prôné la non-violence. Mais le 21 mars 1960, le massacre de Sharpeville change la donne. Ce jour-là, 69 manifestants noirs sont morts face à la répression policière et plus de 150 sont blessés. Peu après les événements, après de longues et houleuses discussions, le Congrès autorise Mandela à former une organisation militaire indépendante de l’ANC qui reste non-violente. « Moi qui n’avais pas été soldat, qui n'avais jamais combattu, qui n’avais jamais tiré un coup de feu sur un ennemi, on m’avait confié la tâche d’organiser une armée », raconte-t-il. Cette nouvelle organisation porte le nom d’Umkhonto we Siswe ou MK, traduit par « La lance de la nation », arme avec laquelle le peuple africain avait toujours résisté aux Blancs. Mandela vit et lutte dans la clandestinité. Winnie et les enfants viennent lui rendre visite à Riviona, où il vit dans une ferme.
Montée de la violence
Le 16 décembre 1961, jour symbolique de la fête de Dingane, commence la lutte de libération : Umkhonto we Siswe organise des sabotages. Quinze jours plus tard, pour le nouvel an, une autre série d’attentats retentit. Mais la contre-offensive du gouvernement ne tarde pas. Son but : capturer tous les membres du MK. Il faut raconter. Il faut alerter. Il faut que cela cesse. Le 11 janvier 1962, Mandela quitte clandestinement l’Afrique du Sud pour participer au congrès du Mouvement panafricain de libération de l’Afrique orientale, centrale et australe à Addis-Abeba, en Éthiopie. Ambitieux, il cherche des soutiens politiques, financiers et des lieux d'entraînement pour les combattants. Il parcourt l’Afrique jusqu’au Maghreb, puis va jusqu’en Angleterre. « Je me sentais transformé en soldat et je commençais à penser en soldat », dit-il. Mais le combat n’est pas simplement militaire, il est aussi politique. Mandela passe du soldat à l’avocat, de l’avocat au soldat. Mais quelques mois plus tard, de retour de Johannesburg, Mandela et Cecil Williams viennent de passer Howick quand ils sont arrêtés par la police. Nous sommes le 5 août 1962, Mandela a tout juste le temps de glisser son pistolet chargé et son carnet entre les deux sièges. Heureusement pour beaucoup de gens, le carnet ne sera jamais retrouvé. La peine tombe. Il est condamné à cinq ans de prison. S’ensuivra un an plus tard, le 11 juillet 1963, une descente de policiers dans la ferme de Liliesleaf, le quartier général de MK. Le haut commandement est capturé à son tour.
Le procès de Rivonia
Démarre alors le procès de Rivonia. Sentence ? La peine de mort. Si la résolution de « bienveillance » est réclamée par l’ONU, les États-Unis, l’Angleterre et la France s’abstiennent. Nous sommes en pleine guerre froide. Le 12 juin 1964, le verdict tombe : il sont condamnés à perpétuité. Mandela est envoyé au large du Cap. La prison de Robben Island deviendra l'emblème du prisonnier et aujourd’hui encore le « mémorial » de toute une nation, voire de tous. Il y restera vingt-sept ans. Ici, les conditions de vie sont très difficiles. Mandela passe vingt-sept ans à écrire des lettres à sa famille, à ses amis, au directeur de la prison. Ces lettres n’arriveront jamais jusqu’à leurs destinataires ; heureusement, il les avait copiées dans son carnet. Aussi, il apprend l’afrikaans, simplement pour savoir comment pense l’ennemi. Les crises s’enchaînent à partir de 1968, l’effondrement du camp soviétique perturbe la géopolitique et le gouvernement américain demande des changements dans la politique du gouvernement sud-africain. Mandela est transféré près de Paarl, dans la prison de Victor-Verster. Les panneaux « Free Mandela » recouvrent les murs du monde. Le plus vieux prisonnier du monde sera bientôt transformé en icône de la liberté.
Le 11 février 1990 : la liberté retrouvée
Le 11 février 1990 est une date ancrée dans les mémoires et dans l’histoire. À 72 ans, Mandela est libéré. Frederik de Klerk est au pouvoir depuis moins d’un an et Mandela n’a qu’une chose en tête : réconcilier son pays. Libre le jour même, il scande son célèbre discours face à la foule, depuis le balcon de l’hôtel de ville. Comme une ellipse, il enclenche son discours par la dernière phrase prononcée au procès Rivonia en 1964. Dans la foulée, le Parti communiste et l’ANC sont légalisés. Mandela devient alors président de l’ANC. Son combat pour la liberté continue. En bonne entente avec le président Frederik de Klerk, avec qui il reçoit le prix Nobel de la paix en 1993. L’année suivante, les premières élections pluralistes et multiraciales ont lieu. Nelson Mandela est élu président de l’Afrique du Sud en 1994 et publie alors son autobiographie, Long Walk for Freedom, qu’il dédie à ses six enfants, vingt et un petits-enfants, trois arrière-petits-enfants, et à ses camarades sud-africains. L’homme prodémocratie ne briguera qu’un seul mandat dans la lignée de ses convictions. En 1999, malgré son immense popularité, Mandela cède sa place à Thabo Mbeki. C’est aussi ça, la démocratie. Au sortir de son mandat, Mandela fête ses 80 ans. Combattant, prisonnier, premier président noir de la nation « arc-en-ciel », grand-père de toute une nation et même arrière-grand-père, il entame sa troisième vie. En 2005, la mort de son fils l’incite à une dernière lutte. « Mon fils est mort du sida, une maladie normale dont il faut parler ouvertement », lance-t-il comme une dernière bouteille à la mer avant de se retrancher de la politique. Mandela vieillit et pose les « armes » pour profiter de son épouse Graça Machel, avec laquelle il se marie le jour de ses 80 ans. En juillet 2010, un grand sourire fend son visage dans les gradins du stade à l’occasion de la finale de la Coupe du monde de football.
Puis en 2013, s'éteint avec lui la lueur d’espoir de la liberté retrouvée. L’ANC est de moins en moins populaire et gérer l’Afrique du Sud sans Mandela, parmi les héros du XXe siècle, n’est pas une mince affaire.