Découvrez Oman : Les Tortues Marines

Véritable pouponnière à tortues, le sultanat offre toute l’année un ballet lent et somptueux. À Ras al-Jinz, sur les îles Daymaniyat ou sur l’île de Masirah, les reptiles font parade, reproduisant leur trek millénaire de la ponte. Cinq des sept espèces marines, toutes menacées d’extinction, fréquentent les sables omanais : la tortue verte (Chelonia mydas), la caouanne (Caretta), la tortue imbriquée (Eretmochelys imbricata), la tortue de Kemp (Lepidochelys kempii) et la tortue olivâtre (Lepidochelys olivacea). Pour toutes les espèces de cet ordre reptilien, le grand ancêtre est un petit lézard aux côtes larges, l’Eunotosaure, qui vivait au Permien il y a 250 millions d’années. Aux yeux des tortues, après une longue navigation transocéanique calée sur les champs magnétiques, les plages omanaises sont d’excellentes maternités. Très encadrée, l’observation demande un peu de patience sous les étoiles. C’est une garantie d’émotion.

Menacées à grande échelle

Mercure inventa une lyre d’écaille de tortue, les Chinois décoraient des boîtes et des cannes dès le VIIIe siècle, les Japonais ouvrirent un atelier à Nagasaki fin XVIe siècle, époque à laquelle Ferdinand Cortez faisait découvrir cette matière en Europe. Quant à Henri IV, son berceau était façonné dans une carapace entière, exposée au Musée national du château de Pau. Viendront le maître-ébéniste Charles André Boulle, les écaillistes, les lunettiers et les savants fabricants de peignes sculptés pour les mantilles. Depuis bien des siècles, partout dans le monde, l’homme est un redoutable prédateur pour les tortues marines. Bien que signataire de toutes les conventions internationales, le Japon poursuit l’importation de centaines de milliers de carapaces chaque année. Parallèlement, des centaines de milliers de tortues meurent tous les ans, piégées dans les filets droits, les palangres, les filets dérivants ou les chaluts utilisés pour pêcher la crevette. Respirant grâce à des poumons, les reptiles se noient quand ils ne peuvent pas remonter à la surface pour prendre de l’air. Autre danger, plus sournois encore, le réchauffement climatique qui pourrait favoriser, avec des eaux et sables toujours plus chauds, la naissance de trop de femelles, sachant que c’est la température d’incubation qui détermine le sexe de ces reptiles – 28° et ce seront des mâles, entre 28° et 29° une portée mixte, au-dessus de 29° des femelles. N’oublions pas non plus qu’ils sont chassés dans certaines parties du globe pour leur saveur particulière. Ainsi des préparations à base de calipee, cette graisse cartilagineuse recouvrant les os du plastron dont on fait une soupe…

Protégées à Oman

Protégées selon les meilleurs standards internationaux, observées avec sagacité et respect, les Ninja sultaniennes ont au moins la certitude, sur place, de ne pas finir dans un fond de casserole. En mer, sur la plage, de nuit et parfois même de jour, le ballet naturel venu du fond des âges est donné chaque année en Oman par plus de 20 000 tortues.

Avec son centre de recherches et son hôtel, Ras al-Jinz est l’endroit de ponte le plus réputé et le plus facile d’accès. Les non-résidents inscrits à l’excursion doivent se présenter sur place à 4h30 ou à 20h30, occasion de visiter le petit musée exposant les différentes espèces ainsi que les explorations archéologiques entreprises dans la région depuis 1982. On peut également observer des tortues en plongée à « Turtle City » (des imbriquées surtout), un récif de trois jardins de coraux du parc marin des îles Daymaniyat au large de Barka (côte nord-orientale) ; et aussi sur l’île de Masirah connue comme un hot spot mondial des caouannes, ainsi que dans la région du Dhofar au sud du sultanat. Le spectacle de la ponte et/ou de l’éclosion est également à découvrir à Barr Al Jissah, l’un des quartiers éloignés de Mascate, sur la plage de l’hôtel Shangri-La. Administré par le resort, ce site de ponte des vertes et des imbriquées est accessible aux résidents.

Globalement, les reptiles sont présents toute l’année, mais la meilleure période pour les observer court de juin à septembre (avec des pics de fréquentation au plus fort de l’été en juillet-août), saison pendant laquelle ils se rassemblent sur les plages par centaines.

Le processus de ponte et la naissance

La tortue verte, celle qu’il est le plus facile d’observer à Oman, atteint sa maturité sexuelle à l’âge de 49 ans et pond principalement la nuit. Elle utilise ses pattes avant et arrière pour creuser ce qui lui servira de nid : une cuvette un peu plus large que son corps. Une fois les œufs pondus, une centaine en moyenne, elle rebouche le nid. Puis, à l’aide de ses nageoires, elle couvre ses traces de sable afin de protéger le nid des prédateurs. Au bout d’une cinquantaine de jours, des bébés de 5 cm éclosent et émergent dans un effort groupé qui leur demande 3 à 5 jours de labeur. À la faveur de la nuit, ils brisent la coquille grâce à leur bec pour mettre fin à un séjour de près de deux mois sous le sable. Sur le principe de l’ascenseur, ils font tomber le sable des parois du nid vers le fond, le faisant progressivement remonter vers la surface. Première goulée d’air libre. Par petits groupes, encore malhabiles, ils se dirigent droit vers la mer salvatrice – une scène craquante à laquelle il est fréquent d’assister sur la plage de Ras al Jinz. Les bébés ne reverront pas leur mère et nageront sans s’arrêter vers les eaux profondes pendant 24 ou 48h, puisant pour s’alimenter dans les réserves de leur sac vitellin. Sur un millier, le seul qui survivra aura échappé aux crabes de la plage, aux oiseaux en piqué, aux poissons voraces.

Le code Tortue

Afin de ne pas nuire au processus de ponte, l’observation de ce cycle ancestral obéit à un code strict, que ce soit sur les plages sauvages désertes ou dans la réserve privée de Raz Al-Jinz où les reptiles sont soumis à une présence humaine importante. Pour ne pas entraîner un retour prématuré des tortues à la mer, il est très fortement conseillé d’appliquer quelques règles simples : ne pas utiliser de source lumineuse autre que des lampes à infrarouges, car cela effraie les adultes et désoriente les petits (ni torche ni flash) ; ne pas former un cercle autour de l’animal, car c’est une situation très stressante, préférer se placer derrière et à distance ; penser à se reculer immédiatement lorsque la tortue a fini de pondre de façon à ne pas l’oppresser en barrant son accès à la mer ; ne pas parler, ne pas s’agiter, s’asseoir et rester calme ; ne pas toucher les reptiles ou monter sur eux ; ne pas manipuler les œufs, creuser le sable, enfouir des corps étrangers dans les nids, car cela introduirait des bactéries et endommagerait les œufs ; ne pas prendre les bébés tortues dans les mains ni les aider à rejoindre la mer ; ne pas effacer ou modifier les traces laissées sur le sable par les tortues, les chercheurs les utilisant pour identifier le type de l’animal, ainsi que pour localiser et marquer son nid ; ne pas jeter ses poubelles dans la nature, les tortues confondent le plastique avec de la nourriture, et s’intoxiquent ou s’étouffent en l’avalant.

Les espèces observables à Oman

La grande verte

Avec son museau court et arrondi, sa tête non rétractable, ses pattes en forme de nageoire, la plus grande des tortues de mer à carapace rigide peut mesurer jusqu’à 1,4 mètre, peser plus de 200 kg, nager à 35 km/h et vivre 150 ans. Omnivore avant l’âge adulte, elle devient ensuite strictement herbivore – ce qui verdit sa graisse – et s’alimente principalement d’algues. La tortue verte, dont la dossière est plutôt bleu sombre, remonte régulièrement à la surface pour respirer à l’air libre. Elle est en âge de se reproduire vers 18 ans et peut montrer une grande agressivité envers les mâles qui se montrent trop entreprenants, allant jusqu’à les blesser au cou par des morsures. Grâce à sa spermathèque, la tortue verte peut féconder ses œufs toute une saison à la suite d’un seul et unique rapport.

La caouanne ‘grosse tête’

Cou trapu et « grosse tête » comme l’appellent les Calédoniens, la caouanne vit dans toutes les mers du globe, tempérées et tropicales entre le 40° parallèle sud et le 60° parallèle nord. Sa taille moyenne est de 92 cm pour un poids moyen de 100 kg. Sa carapace est décrite comme étant en forme de cœur, son dos est brun orangé, peu bombé. Elle possède une grosse tête large à bec corné (jusqu’à 25 cm) entièrement recouverte de fines écailles cernées de jaune pâle, au bout d’un cou partiellement rétractile. Les pattes avant servent de propulseurs, les pattes arrière de gouvernail et de stabilisateur : cela lui permet la nage en haute mer. Comme la tortue imbriquée, ses pattes sont chacune armées de deux grosses griffes. Gourmande carnivore, elle mange les méduses, les poissons et les crustacés. Contrairement aux autres tortues, elle ne pond pas forcément exactement sur la plage où elle est née, la localisation pouvant varier jusqu’à 300 km. Il faut attendre l’âge adulte pour distinguer le mâle de la femelle, celle-ci ayant une queue et des griffes plus courtes. Grâce à ses glandes lacrymales situées derrière l’œil, la caouanne élimine les excès de sel liés à l’absorption d’eau de mer. Si vous avez la chance de l’observer sur le sable, vous la croirez triste, elle ne fait que pleurer du chlorure de sodium.

La belle imbriquée

Seule tortue à avoir une carapace en dents de scie sur la partie terminale, elle possède un bec pointu et mesure environ 100 cm pour 70 kg. Ses écailles, de couleur brun sombre et jaunâtre, sont particulièrement belles et se chevauchent à la manière des tuiles d’un toit. Omnivore pendant sa jeunesse, l’imbriquée se spécialise dans la consommation d’éponges et de mollusques en grandissant. Elle est fidèle à sa zone géographique de naissance, celle-ci devenant ensuite sa zone de ponte. L’accouplement se fait en pleine eau, le mâle chevauchant la femelle en s’agrippant à elle du mieux qu’il peut. Une tortue femelle revient souvent pondre, presque toujours au même endroit et systématiquement la nuit, 15 jours environ après une première séance de ponte. Comme chez les oiseaux migrateurs, la navigation sur de grandes distances se fait par la perception des champs magnétiques. Pour déterminer les secteurs de ponte avec précision, « l’odorat » intervient : l’eau de mer n’ayant pas le même goût partout, sans doute les tortues arrivent-elles à percevoir avec précision, grâce à une mémoire des goûts, quel est leur secteur d’origine. Pour son malheur, l’imbriquée amoureuse des récifs coralliens a les plus belles écailles et son destin s’est souvent terminé en boîte à bijoux ou en fume-cigarette. Elle est « en danger critique d’extinction » selon l’UICN.

Les petites Kemp et Olivâtre

Identifiée par le Floridien Kemp, la « bâtarde » comme on l’appelle aussi, est légère et courte, 40 kg pour 60 cm, dossière vert-gris moins bossue que l’olivâtre, bec corné souvent finalement denticulé. Adulte, elle sait briser la carapace des crustacés pour les dévorer, sans exclure le poisson et les coquillages. Comme pour les autres tortues, le sexe des futurs petits dépend de la température à un certain niveau de maturation : à moins de 29,5°, ce seront des mâles, à plus des femelles. La Kemp se distingue des autres espèces par son goût pour la ponte de jour.

L’olivâtre à dossière bombée, quant à elle, est la plus petite des tortues marines, avec une moyenne de 36 kg pour 70 cm. Sa peau jaunâtre et sa carapace beige grisâtre ne l’aident pas à passer les sélections de Miss Ninja. Sexuellement mature dès 7 ans, elle est la seule espèce à aimer pondre toute seule dans son coin.

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