Une histoire très ancienne
En « odeur de sainteté », le mouvement hypnotique de l’encensoir ou le rituel du brûle-parfum ouvrent la voie d’une histoire d’abord mésopotamienne puis pharaonique, qui passe par Ras Al-Jinz, à la pointe la plus orientale du sultanat dans la région de la Sharqiya. Là, des fouilles ont mis en évidence l’usage de l’encens au IIIe millénaire av. J.-C. Quelque 500 siècles plus tard, les chercheurs de l’Institut de chimie de Nice ont réussi à caractériser les substances odorantes de l’oléo-gomme en isolant un échantillon purifié par une série de distillations. À l’aide de la résonnance magnétique nucléaire, Nicolas Baldovini, chercheur spécialisé dans les parfums, a pu déterminer la structure moléculaire de cette odeur « vieille église ». Ce coup de génie pour l’industrie des fragrances a permis et catalysé la création de magnifiques essences orientales. Un voyage en terre d’Oman permet de découvrir l’arbre originel, son habitat rugueux et d’approcher la note naturelle qui n’est jamais la même selon la saison.
L’encens blanc du Dhofar
Bien enraciné dans le calcaire du lit alluvial du Wadi Dawkah, cuit par le soleil aux marges désertiques du Rub al-Khali, le géniteur fait partie de la famille des Burséracées. C’est un petit arbre tortueux à feuilles caduques haut de trois mètres, idéalement scarifié en été pour verser ses dix kilos de larmes de 2 cm chacune à l’automne. Quand c’est un mâle et qu’il atteint les dix ans, son écorce est incisée en lambeaux étroits, puis vigoureusement raclée. Deux à trois semaines plus tard, la saignée produit des concrétions de gomme-résine que l’on fait tomber dans un récipient. Voici l’encens du Nedjd, blanc automnal – le plus précieux – et roux printanier, celui qui était historiquement acheminé par caravanes nomades de l’intérieur des terres via l’oasis de Shisr (ou Ubar) vers les ports de la région de Salalah. À partir de là, la précieuse gomme se trouvait embarquée à destination de la mer Rouge, de la Méditerranée et des Indes. En échange, accostaient des navires chargés de produits en provenance d’Asie. Les vestiges des deux principaux ports antiques, tous deux sous label Unesco, se visitent : la cité fortifiée de Sumhuram fondée au IIIe siècle av. J.-C. au bord du Khor Rori ; et la cité d’Al-Balid, identifiée par Marco Polo et visitée par Ibn Battuta, site actuel de l’incontournable Musée de l’Encens où se dévoilent bien des secrets comme ceux de l’exceptionnelle résine Royal Hojari.
Entre rite de passage et vertus médicales
Grand voyageur, l’encens a pris au fil des pérégrinations commerciales des appellations différentes : il est donc frankincence en anglais, le vrai, celui que les Croisés Francs rapportaient en Europe ; il est l’oliban, de l’arabe al-Luban, la résine blanche laiteuse ; il est encens, du latin incensum : matière brûlée en sacrifice, pour parfumer – per fumum = par la fumée en latin. Dans l’histoire comme dans les mythes, l’oléo-gomme traverse les temps immémoriaux : pour parfumer le palais souterrain du temple Chan Gan à Nanjing ; pour composer le kyphi des Égyptiens (parfum sacré à base d’encens qu’ils faisaient brûler en l’honneur du Dieu Râ) tel que reproduit par le nez Sandrine Videault avec les laboratoires L’Oréal ; pour servir de lien entre les vivants et les morts chez les Bouddhistes… Ainsi, également, de ces boules d’encens et de myrrhe conservées au monastère Saint-Paul du Mont Athos, reliquaire des présents offerts par les mages à l’Enfant Jésus.
Partout sur les marchés du sultanat, les pépites déclinées en couleurs douces s’offrent en référence à ces temps sacrés et anciens. Plus concrètement, elles déclinent aussi bien des vertus. Distillée par entraînement à la vapeur d’eau à basse pression, l’huile essentielle d’oliban est très utilisée en aromathérapie. Réputée cicatrisante cutanée, anti-catarrhale et expectorante, soutien des défenses immunitaires naturelles, elle entre dans des compositions « bien-être » contre les états dépressifs et les angoisses, et accompagne des patients en soins palliatifs. Son odeur chaude offre une note de fond idéale aux eaux parfumées, en association avec les huiles de camphre, de géranium, de basilic, de pin, de santal et de poivre noir. Sous forme d’exsudat résineux, l’encens est connu en fumigation comme purifiant atmosphérique et des voies respiratoires. Également solubles dans l’alcool à 90°, les cristaux opaques, du jaune vert clair au jaune marron, apaisent le stress.
Les plus grands parfums à base d’encens
L’encens entre aussi dans la composition de nombreux parfums prestigieux ou atypiques. À tout seigneur tout honneur : Gold de chez Amouage, la plus grande marque de parfums omanais, présente la garantie d’un encens 100 % local et la signature d’un des plus grands nez du XXe siècle, le français Guy Robert. Essence fondatrice de la marque, grandiloquente et magnifique, Gold est considéré par les professionnels comme l’une des plus belles variations sur le thème du « floral-aldéhydé », l’un des seuls parfums peut être, disent les nez, capable de faire concurrence en termes de rayonnement aux bouquets floraux cinglants du célèbre No.5 de Chanel. Avec Avignon (oliban, élémi, myrrhe, vanille, ambre, cèdre très fumé, patchouli), la marque Comme des garçons et le nez Bertrand Duchaufour adressent un clin d’œil à la basilique des Papes. Chez James Heeley, l’Anglais de Paris, Cardinal démarre par la baie rose, s’épice d’oliban, s’habille de labdanum (résine de feuilles de ciste dont les notes sont proches de l’encens), dans un accord évoquant du lin blanc. Voici encore Bois d’encens d’Armani Privé, essence profonde et ensorcelante que Giorgio lui-même porte au quotidien. Chez Yves Saint Laurent, Nu de Jacques Cavallier joue la pureté et la sensualité de la cardamome, du jasmin et du cèdre sur une vanille aérienne, androgyne et pourtant féminine. M7 d’Alberto Morillas, gorgé d’oud et d’encens, est un accord fumé et mystique, frais en tête, résineux en fond. Et voici encore : le théâtral Rouge Hermès d’Akiko Kamei, le Passage d’enfer d’Olivia Giacobetti chez l’Artisan Parfumeur, cathédrale de lys et de musc, sans oublier Bois d’argent de François Demachy pour Dior, édénique odyssée sur une absolue d’iris.