Le séga
Difficile de trouver musique et danse plus traditionnelles de l’île Maurice que le séga. Originaire des esclaves africains, qui introduisirent dans l’île des chants et danses rythmés par des tambours, pour soulager leur souffrance quotidienne, le séga naît au XIXe siècle. Dans sa forme traditionnelle, le genre se nomme « segatipik » et convie les trois instruments emblématiques de l’île : la ravanne, un tambour en bois recouvert d’une peau de chèvre tendue, la maravanne, instrument rectangulaire constitué de cannes à sucre alignées et rempli de graines (il produit un son de maracas) et enfin un triangle, parfois simplement remplacé par deux morceaux de métal que l’on frappe l’un contre l’autre. Les paroles abordent en général l’amour ou le quotidien et sont souvent improvisées, à l’instar de celles du blues traditionnel.
Le premier grand ségatier est Jean-Alphonse Ravaton, alias Ti’Frère (1900 – 1992). Figure tutélaire du genre, il popularise le séga hors des frontières mauriciennes et devient une star dans tout l’océan Indien. Iconique au point où Le Clézio le mentionne dans ses écrits, Ti’Frère est le « roi du séga », l’auteur de tubes immortels comme Roseda et Anita. Proche de Ti’Frère, Serge Lebrasse (1930-2023) est un autre grand nom du séga. Ses succès Zarina, Sitocontent moi ou Bal Bobesse l’ont amené à être le premier ségatier à accomplir des tournées hors de l’île.
Autre incontournable plus récent du séga traditionnel, le groupe Lespri Ravann est célèbre pour placer la ravanne au centre de ses œuvres - une nouvelle conception du segatipik. Moins « tradi » mais tout autant axé autour de la ravane, le séga de Menwar, poète pacifiste et charismatique, est chaudement recommandé à quiconque souhaiterait se laisser envoûter par l’instrument.
Avec le temps, le séga s’est actualisé pour accueillir des instruments occidentaux tels que la guitare électrique, la basse, la batterie ou le synthétiseur. Ce séga moderne a ses vedettes comme feu-Roger Clency (malheureusement décédé en 2016) ou encore le groupe Cassiya. Créé en décembre 1992, ce dernier connaît un succès fulgurant et se voit même consacré dès 1994 « Disque de l'année ». En presque trois décennies, le groupe s’est imposé comme le visage du séga moderne, devenant avec le temps l’ambassadeur de la musique mauricienne en Europe (et dans le monde). Issu de Cassiya, n’oublions pas de mentionner Alain Ramanissum, compositeur et claviériste devenu un des emblèmes modernes du séga.
Aussi, dans les années 1980, on voit apparaître une nouvelle forme dérivée du séga : le seggae. Fusion de reggae et séga, chanté en créole, le genre naît entre les mains du groupe Racine Tatane. Le succès est immédiat à Maurice ainsi qu’à la Réunion, et une icône éclot : Joseph Topize, alias Kaya, le chanteur de Racine Tatane. Auteur de textes durs, dénonçant la corruption en place et le racisme, Kaya dérange. Arrêté puis emprisonné en 1999 pour avoir fumé un joint en public, l’artiste est retrouvé mort dans sa cellule le lendemain matin. Un décès suspect qui engendre des émeutes dans tout le pays, en particulier entre communautés Créole et Hindoue et ravive les plaies ouvertes de la société mauricienne. De nos jours, marchant dans les pas de Kaya, The Prophecy est le groupe phare du seggae et, de loin, une des références préférées des Mauriciens.
La danse
Le séga est aussi le nom de la danse associée au genre. Une danse lascive, qui s’exécute pieds nus et où l’on se frôle en roulant des hanches sans jamais se toucher. Une danse du désir, aux racines africaines et comportant une codification vestimentaire marquée : les femmes arborent de grandes jupes multicolores et les hommes une chemise bouffante et un pantalon large qui s’arrête au-dessous du genou.
En s’éloignant des grandes zones touristiques de l’île, on peut avoir la chance, à la nuit tombée, d’apercevoir les habitants d’un village jouer encore le séga traditionnel autour d’un grand feu de bois. Plus facilement, on peut aussi parfois croiser une famille mauricienne qui en joue le dimanche après-midi, sur la plage. Le séga étant souvent l’apanage des fêtes privées ou rassemblements familiaux, il n’est pas si courant d’en entendre en live (sauf dans les hôtels). Cela dit, une bonne occasion reste la fête nationale, le 12 mars, qui chaque année donne lieu à de nombreux spectacles et surtout à une grande fête nocturne, bondée et animée par les meilleurs groupes de séga du moment. Les fancy fairs, ces grandes fêtes de villages dominicales qui ont souvent lieu en plein air, convient aussi des chanteurs et musiciens locaux pour animer l’événement. Elles comportent leur lot de séga.
Autrement, il est toujours bon d’éplucher la programmation du Festival International Kréol, manifestation très populaire durant une semaine complète et invitant bon nombre de groupes locaux célèbres. Sinon, quasiment tous les grands hôtels et plusieurs bars comme le Twin’s Garden Lounge Bar & Restaurant ou le Kenzi Bar, tous deux à Flic-en-Flac, programment régulièrement des groupes de séga sur leur scène.
Musiques populaires
Noyau de la musique locale, le séga ne monopolise pas pour autant l’ensemble de la création. Cela dit… il n’est jamais loin non plus… Par exemple, le groupe Otentikk Street Brothers le mélange au ragga, tout comme Blakkayo, nom de scène de Jean Clario Gateaux, le grand artiste dancehall de l’île qui intègre toute l’identité mauricienne à ses titres. Citons également David Ramen, ségatier surtout connu pour son zouk. Mais à chaque règle, son exception. Et aujourd’hui l’un des artistes mauriciens les plus connus à l’international est sans aucun doute Hans Nayna, musicien qui ne joue pas de séga, préférant la soul, le blues ou le rock. Eric Triton est aussi une figure référente du blues local. Voyageuse et curieuse, la jeune génération mauricienne convie souvent la world music dans ses compositions, comme les groupes Patyatann et SAODAJ qui proposent des fusions des sonorités du monde entier. Côté voix, la scène mauricienne est ici très fournie avec quelques chanteuses inspirées comme les jeunes Emlyn et Annega ou les très réputées Laura Beg et Linzy Bacbotte. Comme partout ailleurs, la musique électronique a également trouvé ses marques sur l’île, portée par le captivant Babani Soundsystem qui la fusionne avec la musique locale, Matsonic, très inspiré par le label Ninja Tune, ou encore Mo Kolours, Anglo-Mauricien qui mélange sonorités mauriciennes et hip-hop.
L'un des événements musicaux forts de l'île est La Isla 2068 qui se décrit lui-même (à raison) comme « le festival de référence pour suivre les nouveaux talents de la région" et qui valorise magnifiquement la jeune création. Réparti sur 2 scènes et 5 espaces dans le cadre magique du Château de Labourdonnais, ce festival est guidé par un rêve : "fédérer un public multiculturel, de Maurice et d'ailleurs, autour de nouveaux talents mauriciens, d'icônes étrangères et d'associations éducatives". Hormis ce dernier évènement, l’île multiplie les rendez-vous intéressants comme le Dombeya Music Festival 100 % mauricien ou encore l’Underground Rock Festival et le Mama Jaz tous deux consacrés à ces genres.