Un drôle de coco !
Appartenant à la tribu des borassés, au sein de la grande famille des palmiers, Sa Majesté le cocotier de mer est l’une des six espèces de palmiers autochtones des Seychelles. D’un port majestueux – son tronc droit et net atteint une trentaine de mètres –, il est doté de feuilles rigides en forme d’éventail. Staminé (c’est-à-dire mâle) ou pistillé (femelle), il pousse en colonie, les arbres mâles, supérieurs de 5 m environ, semblant veiller sur leurs protégés, le phallus bien pendu. En effet, l’inflorescence mâle du cocotier de mer ressemble à un membre viril, de la taille et de l’épaisseur d’un bras ! Mais aucun cinéaste n’a encore réussi à filmer les curieuses amours des cocotiers de mer, les nuits de grande tempête ou de pleine lune selon les légendes, desquelles naissent chaque année une ou deux grappes de fruits, chacune contenant deux ou trois noix bilobées, plus rarement quatre. Au XIXe siècle, l’aventurier Henry de Monfreid, qui en avait pourtant vu d’autres, ne cacha pas son étonnement : « Cette noix est de la grosseur d’un gros potiron ; elle est double et ses deux hémisphères rappellent, à s’y méprendre, une paire de fesses entre lesquelles la nature s’est plu à reproduire minutieusement certains détails anatomiques particulièrement suggestifs. »
Bien que pesant de 10 à 15 kg et mesurant une trentaine de centimètres, chaque noix n’en a pas moins sa spécificité : plate ou rebondie… à chacune sa nature ! Tout comme aucune paire de fesses ne ressemble à une autre, aucun cocofesse n’est semblable. On trouve des noix miniatures de 15 cm de long, d’autres atteignent les 60 cm.
Il faut trois ans à un coco de mer pour germer et sept ans pour arriver à maturité, l’arbre devant attendre le quart de siècle pour commencer à fructifier et pas loin d’un millénaire pour atteindre sa taille maximale, un âge que n’ont pas encore atteint les vénérables cocotiers de mer de la vallée de Mai, vieux de huit cents ans seulement…
La vallée de Mai, le sanctuaire
La vallée de Mai et le Fond Ferdinand voisin à Praslin sont les derniers sanctuaires de ce roi des cocotiers qui, à l’origine, partait aussi à l’assaut du ciel sur l’île voisine de Curieuse ainsi que sur trois îlots satellites : Saint-Pierre, Ronde et Juliette (aujourd’hui Chauve-Souris). Il est difficile d’expliquer pourquoi ce palmier n’a élu domicile que sur une poignée d’îles. Selon une hypothèse, il serait l’un des rares végétaux à avoir survécu à la fracture avec le continent africain de terres devenues depuis lors un archipel. À cet isolement insulaire, il faut ajouter un autre facteur de non-dissémination de la noix : sa pesanteur, qui contrarie a priori sa dispersion naturelle par les courants marins. Elle est trop lourde pour flotter ! Enfin, le fait qu’il faille au moins un arbre mâle et un arbre femelle pour la reproduction et que ce type de cocotier ne fructifie bien qu’en communauté n’a évidemment pas favorisé l’acclimatation sous d’autres cieux de cet étonnant palmier. Confiné à quelques îles, longtemps inhabitées, de l’océan Indien, le cocotier de mer resta un végétal inconnu jusqu’à la seconde moitié du XVIIIe siècle.
Une prodigieuse découverte
Ce fut en effet un ingénieur, Brayer du Barré, qui, en 1768, lors d’une expédition de la marine royale aux Seychelles sur le Marion-Dufresne, eut l’honneur de constater que le mythique cocotier de mer poussait sur une terre, française depuis 1756.
La prodigieuse découverte allait susciter d’autres vocations. Dès 1769, le capitaine Duchemin, qui l’année précédente a conduit la féconde expédition au cours de laquelle Barré découvrit le si vénéré cocotier, s’empresse de retourner à Praslin, l’île au trésor. Il y charge de cocos de mer la flûte L’Heureuse Marie et s’en va les mettre en vente sur le marché indien, oubliant que la bonne vieille loi de l’offre et de la demande va vite faire perdre à la noix sa fabuleuse valeur.
Bien que dévalué, le singulier coco n’en continuera pas moins à fasciner. Le naturaliste et voyageur français, Philibert Commerson, qui participa à la célèbre expédition de Bougainville autour du monde, ne manqua pas de s’intéresser à ce hautain cocotier dont les insolites noix callipyges firent longtemps la fortune des rois et sultans maldiviens. Commerson serait même le premier scientifique à avoir minutieusement décrit, quinze planches à l’appui, le cocotier de mer, auquel il aurait donné le nom générique de Lodoicea, dérivé du latin Lodoicus (Louis), en l’honneur du roi Louis XV.
Un coco protégé et travaillé
Aujourd’hui, il est défendu de quitter le territoire seychellois avec un coco de mer non agréé par les autorités. Le cocofesse a été nationalisé et la République des Seychelles contrôle de très près le commerce de cette œuvre d’art que la nature ne reproduit qu’à 3 000 exemplaires environ chaque année. Aussi les artisans travaillant le coco de mer doivent acheter la matière première à l’État et chaque noix commercialisée doit être assortie d’une autorisation spéciale de sortie de territoire.
C’est à Praslin que les artisans apprêtent les noix pour rendre plus lisible encore leur forme, déjà fort suggestive. Bien que superbes à l’état brut, dans leur vénusté originelle, elles sont travaillées pour la plupart. Une fois sciées et vidées, les deux demi-coques sont généralement polies puis vernies, avant d’être recollées. La demi-coque peut aussi être sculptée et vendue comme boîte à bijoux. Les pêcheurs l’utilisent à l’état brut pour écoper leurs pirogues, tandis que les petits commerçants s’en servent encore parfois comme cocossier, c’est-à-dire comme récipient, pour transvaser le sucre, le riz, la farine ou les graines vendues au détail.
Quant à la pulpe extraite, elle doit d’abord sécher au soleil pour pouvoir être utilisée en marqueterie, puisqu’elle permet d’obtenir un effet d’incrustation d’ivoire. Les feuilles, enfin, sont utilisées non seulement en vannerie (paniers, nattes, chapeaux…), mais aussi en architecture, où ces larges palmes deviennent des cloisons légères d’un beau jaune doré.
Bref, si la seule cocoteraie de mer (avec le fond Ferdinand, également sur Praslin) ne se déploie que sur 20 ha à peine dans cette fascinante niche de verdure primitive qu’est la vallée de Mai, elle constitue assurément une richesse majeure. Il était donc logique que l’Unesco l’élève au rang de patrimoine de l’humanité.