L’architecture créole
Aux Seychelles, nul besoin de motiver la population avec un concours du plus beau village ! Embellir sa kaz (sa maison) est ici une seconde nature. Témoignant de son originalité, chaque maison présente des similitudes avec les autres autant qu’elle s’en détache, de manière à s’inscrire parfaitement dans le paysage architectural et végétal. De la superbe et vaste maison coloniale en bois à la petite et modeste habitation en tôle ondulée, le contact avec la nature s’avère une constante, si ce n’est une nécessité. De la capitale Victoria, sur l’île de Mahé, au petit village éloigné, le bois, le ciment et la tôle ondulée forment une harmonie visuelle et architecturale. La couleur, pastel pour les maisons traditionnelles et vive pour les maisons populaires, ajoute toujours une note de gaieté. Il n’est pas rare de trouver des maisons peintes aux couleurs du drapeau national : bleu, jaune, rouge, blanc et vert. La maison seychelloise possède de nombreuses et grandes ouvertures qui filtrent la lumière et facilitent la circulation de l’air, tout comme son toit particulièrement incliné – une préoccupation capitale dans ce pays chaud. Plutôt dispersé, essentiellement rural et généralement réparti autour des côtes ou à flanc de montagne, l’habitat seychellois, héritage métissé oblige, est créole avant tout.
Les magasins des Seychelles conservent tout le charme de l’architecture créole. Leurs façades aux couleurs pastel contrastent avec leurs toits rougis par la rouille. Des couleurs vives viennent dessiner les fenêtres et encadrements de portes. Le rez-de-chaussée servait au commerce tandis que l’étage était réservé aux espaces domestiques.
De belles kaz, bien hiérarchisées
La répartition des propriétés foncières eut beaucoup d’influence sur l’habitat créole. Chacune était composée de la maison du maître et des dépendances. Les bâtiments industriels (moulins, fours, atelier de distillation des essences, hangars…) étaient répartis derrière un espace vivrier. Enfin, en bordure du domaine, les kaz kreol servaient de logement aux esclaves et aux employés. On trouvait dans ces exploitations agricoles, sorte de collectivité interdépendante, trois types d’habitations, qui marquent le systémisme du cloisonnement social, du maître (propriétaire) à l’esclave. Nous pouvons cependant y découvrir aujourd’hui la richesse du savoir-faire de leurs artisans.
La case en paille, constituée d’une pièce unique dont le plancher est fixé sur de petits pilotis en pierre et dont le toit est assemblé en feuilles de latanier ou de vacoa, était réservée aux esclaves. Il en existe encore aujourd’hui, surtout dans les villages de pêcheurs. Leurs murs sont parfois tapissés de pages colorées de magazines, en faisant de curieuses maisons de papier.
La demeure la plus courante est ti la kaz (la petite case, aussi appelée kaz kreol), posée sur quatre tasseaux de pierres maçonnées pour prévenir l’humidité et favoriser le ruissellement des eaux. On en trouve des centaines, surtout dans les zones suburbaines et dans les montagnes. Elles fascinent par leur variété et par leurs couleurs vives. Un perron de quelques marches mène à la varangue, sorte de véranda ouverte sur la façade, qui prolonge le salon et protège du soleil. La Kaz de l’Union Estate Farm sur l’île de La Digue accueille désormais les collections du musée national des Plantations. D’autres sont transformées en maison d’hôte, à l’image de Lakaz an Bwa, au nom évocateur, elle aussi à La Digue. Cette belle demeure est magnifiquement ouvragée (lambrequins).
On accède généralement à la gran kaz par une allée ombragée et fleurie. Cette maison imposante – parfois appelée château – est située au centre d’un jardin d’agrément. Ces remarquables demeures rappellent le savoir-faire et le talent des ouvriers compagnons. Les superbes parquets, mais aussi l’ingénieux système d’aération du toit suscitent l’admiration. Ce sont des maisons de rêve, mais surtout les maisons des maîtres. La maison de Kenwyn, à Victoria, est classée monument national, mais elle a fermé en 2023 pour rénovation. Ce magnifique hôtel particulier a été bâti en 1855 pour être la résidence d’un médecin et conserve sa structure en bois d’origine. Son balcon en bois, bâti sur le même modèle que la varangue qu’il surplombe, contraste admirablement avec les tôles vertes de la toiture.
La difficile préservation du patrimoine créole
Témoins du passé colonial et esclavagiste, ces demeures résistent mal à l’épreuve du temps et se délabrent les unes après les autres faute de moyens personnels pour les entretenir. Malgré une loi votée en 1980, censée assurer la conservation des plus belles demeures, en instituant notamment un système de subventions pour leur restauration, la préservation de l’architecture traditionnelle demeure peu efficace. Bien qu’une large partie de ces maisons ait disparu, les vestiges les plus communs aujourd’hui sont les maisons de planteurs. De plus, on estime que presque aucun nouveau bâtiment n’a été réalisé dans le style créole depuis les années 1970. C’est en grande partie dû à la modernisation et aux changements des modes de vie.
Symboles de l’architecture créole seychelloise, quelques dizaines de maisons ont réussi à échapper à la démolition. Ainsi, celles du village artisanal, à Mahé (avec un restaurant créole mitoyen), et de la Maison jaune, à La Digue, offrent deux exemples réussis de préservation et de valorisation du patrimoine auxquels le touriste a accès.
À Victoria, la capitale, l’Horloge Victoria est un très bel héritage du début du XXe siècle. Cette belle tourelle argentée trône au milieu d’un rond-point au carrefour des avenues principales de la ville et indique encore l’heure aux passants. Comme son nom l’indique, elle fut baptisée en l’honneur de la reine Victoria, récemment décédée.
L’État s’est donné pour principal objectif de proposer une maison décente à tous les Seychellois, afin qu’ils puissent y loger leur famille – prêts à taux préférentiel et constructions de logements sociaux à l’appui. En parlant avec les zabitan, on s’aperçoit très vite que, par manque de logements, de nombreux jeunes couples vivent encore chez leurs parents, parfois dans la promiscuité ! Dans ces conditions, chacun rêve d’avoir une maison en dur, avec électricité et salle de bains – et surtout pas un toit en feuilles, non seulement onéreux mais peu durable, puisqu’il doit être renouvelé tous les vingt ans. Il n’est pas étonnant alors de constater, avec regret, que les maisons en tôle supplantent en nombre celles en feuilles ou en bois, encore assez fréquentes sur Praslin et La Digue.
Une contemporanéité tardive marquée par l’architecture traditionnelle
L’architecture se modernise assez tardivement sur l’archipel, qui a récemment fait son entrée à la biennale de Venise en 2017. Le pays est alors représenté par l’agence locale ADDlocus, qui marie architecture et matériaux traditionnels aux formes contemporaines. Les villas d’hôte réalisées par le groupe sur l’île Fregate affichent le même caractère traditionnel, mais vues du ciel, leurs pavillons carrés rattachés les uns aux autres par des vérandas forment un curieux jeu de formes géométriques, un dessin abstrait qui contraste fortement dans la végétation luxuriante.
Le style néotraditionnel est bien répandu dans tout l’archipel, et rares sont les maisons qui dérogent à la règle, une uniformité agréable pour locaux et voyageurs, puisque le paysage n’est pas ou peu défiguré. Ces nouvelles villas d’hôte ont des murs en bois, sont couvertes d’une toiture de tôle ou de tuiles de bois, et présentent souvent, comme leurs ancêtres, des fondations hors sol pour s’adapter au relief parfois accidenté. Elles reposent alors sur de forts piliers ou même des pilotis. La terrasse, les pavillons et vérandas forment un grand ensemble de plain-pied ouvert sur la végétation et le paysage. Les piscines viennent parfaire ce paradis pour touristes – qui semblent malheureusement être les seuls destinataires de ces modernisations. L’architecture contemporaine, bien que reproduisant ses formes, perd alors bien souvent le charme et l’authenticité de son modèle.