Une toute jeune littérature
Le XVIe siècle venait à peine de commencer quand Vasco de Gama découvrit les Seychelles qu’il appela Amirantes. À nouveau mentionnées par le marin anglais John Jourdan en 1609, il fallut attendre le milieu du XVIIIe siècle pour que les îles soient colonisées, d’abord par des pirates puis par les Français qui leur donnèrent leur nom définitif, hommage à Jean Moreau de Séchelles, contrôleur des finances au service de Louis XV. Cédées aux Anglais en 1814 suite aux défaites napoléoniennes, les Seychelles ne devinrent indépendantes qu’en 1976.
Elles constituent donc un tout jeune État, et la littérature, en cohérence, reste balbutiante. Elle se découvre par les idiomes en usage : l’anglais, principalement administratif, le français qui sert la communication (presse), mais surtout le créole seychellois, intrinsèquement lié à la culture locale, l’une des trois langues officielles depuis 1981. Ce sont les esclaves d’origine africaine qui travaillaient dans les plantations qui l’ont inventé. Il est essentiellement inspiré du français mais emprunte du vocabulaire à d’autres origines, favorise les retranscriptions phonétiques et les métaphores, à l’instar de la mous dymiel qui désigne l’abeille.
Si les règles restent à peu près les mêmes – ni article, ni genre, ni pluriel et une conjugaison en trois temps passé/présent/ futur –, il se distingue plusieurs niveaux de langage, le « créole fin » de la classe bourgeoise usant moins des anglicismes que le « gros créole » des classes populaires.
Célébré depuis 1985 lors du festival annuel Kreol organisé par Lenstiti éponyme d’Anse aux Pins (île de Mahé), ce dialecte a fait l’objet de L’Esquisse d’une grammaire-textes-vocabulaire rédigée en 1977 par Annegret Bollée qui poursuivra ses travaux notamment par la publication d’un Dictionnaire étymologique des créoles français dont le premier tome est consacré à l’océan Indien. Cette émérite professeure allemande s’est également intéressée aux contes et légendes locaux dans lesquels on s’amuse à retrouver tout un bestiaire dont certaines espèces ne sont visiblement pas endémiques, tigres ou éléphants.
Ce sont d’ailleurs les animaux qui inspireront le premier ouvrage écrit connu, puisque Rodolphine Young a retranscrit au tout début du XXe siècle une version créole des célèbres Fables de La Fontaine. Cette traduction, au charme indéfinissable, fait par exemple débuter Le Loup et l’Agneau par ces trois vers : « Dans temps l’autrefois, ein p’tit mouton ti après boir di l’eau au bord la rivière / Ein gros Loulou y sòrti dans bois / Y vine boir, li aussi. Lé dents loulou ti fine rouyé à force la faim », et propulse l’institutrice de l’Anse Boileau au rang de première écrivaine de l’archipel. Elle aurait également donné à lire un catéchisme créole, mais celui-ci n’a pour l’heure pas été retrouvé.
L’attachement à la culture locale
Si Rodolphine Young est considérée comme la mère de la littérature créole, son homologue masculin – même si l’on pourrait tout de même citer le poète Daniel Varigault Valenfort né en avril 1886 d’un couple mixte réunionnais et seychellois – reste sans conteste Antoine Abel (1934-2004).
Bien qu’ayant vu le jour dans une famille d’origine modeste et ayant commencé sa carrière dans les travaux de maçonnerie, il a bénéficié d’une bourse lui permettant d’étudier en Suisse puis de s’envoler plus tard pour l’Angleterre. À son retour dans l’archipel, il devient à son tour instituteur et prend ensuite les fonctions d’enseignant supérieur. Le premier recueil qu’il édite en 1969, Paille en queue, surnom de l’oiseau phaéton, parle de sa jeunesse et évoque ses souvenirs. Mais l’auteur est un touche-à-tout, en plus des trois langues nationales dont il use sans distinction, il s’amuse aussi bien à écrire des pièces de théâtre (Restan kamira) que des essais sur la pharmacopée, à s’essayer à l’art complexe du scénario de bande dessiné (Tizan, Zann ek loulou) ou à celui exigeant de la nouvelle qui coïncide si bien avec sa plume à la fois sobre et concise.
Ses œuvres paraissent en revues dans les années 1970 puis se voient faire l’objet de publications parisiennes à la fin de celles-ci (Coco Sec, Une tortue se rappelle !, Contes et poèmes des Seychelles). Il recevra en 1979 le prix des Mascareignes, distinction décernée par l’Association des écrivains de langue française de 1965 à 1998, mais sa santé déclinante l’obligera dès les années 1990 à ralentir sa production littéraire.
Juste retour des choses, une récompense porte aujourd’hui le nom d’Antoine Abel et est remise de façon aléatoire lors du festival Kreol à des ouvrages de tous styles rédigés en créole seychellois ; une autre distinction évoque celui de Rodolphine Young. Car bien que timorée, la production dans la langue de cœur du pays est encouragée, sans doute aussi pour lutter contre l’anglais qui s’est imposé dans l’enseignement depuis 1970.
Les petits écoliers ont accès à des livres anglophones et francophones, mais lire ou écrire en créole sauvegarde leur propre culture d’un trop-plein d’influences étrangères. L’Alliance française, à laquelle ils peuvent adhérer, les poussent en ce sens, de même le Lenstiti Kreol s’est depuis 1988 institué maison d’édition, palliant les attentes des auteurs qui avant cela n’avaient d’autre choix que de recourir à la démarche coûteuse de l’autopublication, et publiant des ouvrages notamment destinés à la jeunesse. En 1993, un Conseil national des arts a été créé : en lien avec la Bibliothèque nationale, il avait pour mission prioritaire de faciliter cette production, par exemple par le biais de formations.
Les adultes, quant à eux, ont eu, de 2008 à 2018, le plaisir de pouvoir compulser la revue littéraire Sipay qui durant dix ans a offert aux poètes en devenir un espace de liberté salutaire qui se visite toujours en ligne. C’est une démarche numérique à rapprocher de celle entreprise par la poétesse Magie Faure-Vidot, née en 1958 à Mahé, qui avait en 2012 cofondé une revue électronique, Vents d’alizés, ainsi qu’une maison d’édition en ligne, Edisyion Losean Endyen. Enfin, parce que la littérature seychelloise est de tradition orale et que tous les enfants attendent toujours avec impatience les veillées qui commencent par « Alors en zour… », le théâtre a su se forger sa place tout spécialement par l’entremise du dramaturge Christian Servina qui s’y consacre pleinement.