Structure sociale
La société indienne est régie par un grand nombre de règles complexes et au Rajasthan la société fonctionne de manière très traditionnelle. Si dans les grandes villes, les lignes semblent bouger quelque peu, tel n'est pas le cas dans les campagnes. Le système de castes, la religion, la famille, le sexe, le statut génèrent autant de règles et de coutumes auxquelles se plient les Indiens.
Le varna hiérarchise et organise la société dans ses grandes lignes. Les membres d'une caste y appartiennent par naissance. On attend d'eux qu'ils se marient à l'intérieur du groupe et qu'ils suivent les règles concernant de nombreux aspects de la vie (interdits alimentaires, rituels de purification, etc.). Certains membres de castes inférieures ou intermédiaires ont tendance à adopter les interdits des castes supérieures, espérant ainsi y être assimilés. Ce processus s'intitule la « sanscritisation ». Le jati détermine le métier, qu'au moins le fils aîné est censé perpétuer.
La religion rythme le quotidien avec de nombreux rites et règles à suivre pour s'assurer une meilleure vie future. Cependant les différences entre les religions sont significatives et le poids de la religion diffère selon que l'on appartient à la grande majorité hindoue, à la minorité musulmane ou aux communautés jaïnes, sikhes, chrétiennes, parsis ou bouddhistes.
La famille constitue un point d'ancrage, mais aussi un cadre rigide dans lequel chacun a une place assignée. Le sexe détermine certaines obligations et comportements. Hommes et femmes ont des rôles bien définis à l'intérieur du cercle familial et en société. Traditionnellement, la femme gère la maisonnée, tandis que l'homme est dévolu à la vie extérieure. Cela n'empêche pas certaines femmes de travailler. Elles sont notamment chargées de porter les bassines de sable ou les tas de briques sur leurs têtes sur les chantiers de construction.
Le statut implique des responsabilités auxquelles nul n'est censé se soustraire. L'accès à la richesse et à la puissance varie considérablement et les différences de statuts socio-économiques sont évidentes. Le pauvre et le riche vivent côte à côte, et il n'est pas rare de voir un homme prospère passer devant des habitants décharnés sans guère y prêter attention. Dans beaucoup de villages, les solides maisons de béton côtoient de fragiles cabanes de pisé. Même quand elles ne sont pas aussi criantes, ces distinctions de classe marquent pratiquement chaque agglomération.
La famille
L'importance des liens familiaux ne manque en principe pas d'étonner les Occidentaux voyageant au Rajasthan, et la liberté individuelle qui nous est si chère passe pour une curieuse fantaisie. Toutes les grandes décisions, y compris le choix d'une profession, d'un conjoint ou du prénom d'un nouveau-né, sont prises par les parents. L'existence est divisée en 4 âges aux limites assez précises : l'enfance et le temps des études ; le mariage et les enfants ; la retraite ; le renoncement. La vie de la majorité de la population est réglée comme du papier à musique.
Dans les zones rurales du Rajasthan, les Indiens ont gardé le principe de la joint family. Plusieurs générations vivent sous le même toit. Le père garde sous son autorité ses fils, leur épouse et leurs enfants. Lorsque les familles s'agrandissent, on ajoute un étage à la maison ou on divise le terrain pour construire une nouvelle habitation. Chaque fils travaillant est tenu de remettre ses revenus au père, qui gère le budget de la famille. Nul ne cherche à se soustraire à cet environnement laissant peu de place à l'intimité, et finalement sécurisant.
Dans les grandes villes, les jeunes générations s'écartent de ce modèle, surtout dans les milieux éduqués où le contrôle permanent exercé par les parents ou les beaux-parents est perçu comme un frein au progrès. Néanmoins, les enfants demeurent tenus de prendre soin de leurs parents vieillissants. Traditionnellement, cette responsabilité incombe au fils aîné. Vous serez toutefois surpris par le conservatisme de la jeunesse indienne, qui n'imagine que rarement se soustraire à l'autorité familiale.
Le mariage
C'est l'événement majeur de la vie de tout Indien, celui qui marque l'entrée dans la société. Le mariage arrangé est la règle. Les parents vont chercher une épouse à leur fils dans leur caste et de préférence dans la communauté. L'apparence physique, les diplômes, le rang social, l'aisance financière, les horoscopes des futurs époux, tout est étudié. Les mariages d'amour sont encore très rares, et on fait appel aux parents pour trouver un partenaire de vie, même lorsqu'on est parti vivre à l'étranger. La dot, pourtant illégale, figure au centre des négociations entre les parents. La jeune fille fournit son trousseau, souvent un lit et une armoire pour la chambre, des ustensiles pour la cuisine (robot ménager, casseroles, boîte à épices...), une machine à coudre, des cadeaux et de l'argent pour la famille qui s'apprête à l'accueillir. Le jeune homme offre à son épouse des parures de bijoux et des vêtements.
La jeune épouse quitte ses parents pour aller vivre dans sa belle-famille, un changement qui s'avère souvent douloureux. La jeune femme tombe sous la coupe de sa belle-mère qui va lui apprendre les règles de la maisonnée, et sous celle de son mari qui va lui dicter comment se tenir. Les « accidents de sari » ne sont pas rares dans les cuisines indiennes : l'épouse est brûlée vive après une dispute avec sa belle-mère ou en cas de non-paiement de la dot.
Traditionnellement, les mariages ont lieu en novembre et décembre ou au mois d'avril. Le mariage hindou est une fête haute en couleur qui s'étire sur une dizaine de jours. Les premiers jours sont ponctués de cérémonies rituelles, de pujas, qui rassemblent les membres de la famille proche. Tous les matins, un brahmane procède à la cérémonie du haldi, où les jambes et les bras des époux sont enduits d'une pâte de curcuma. L'avant-dernier jour, le marié et les membres masculins de sa famille se rendent dans la famille de la jeune femme. Les femmes restées à la maison organisent une fausse cérémonie de mariage. Aucun homme n'est autorisé à participer à cet événement. Une femme se déguise en homme, une autre joue le rôle de la mariée et la cérémonie de mariage est pastichée dans les rires. La célébration du mariage proprement dite a lieu dans la famille de la mariée. Les époux tournent 7 fois autour du feu sacré et échangent des guirlandes de fleurs. Une grande fête accompagnée d'un repas pantagruélique est donnée. Le lendemain, les mariés retournent dans la famille de l'époux. De nouvelles cérémonies rituelles marquent l'arrivée du couple dans la maison. La famille du marié donne alors une grande fête accompagnée d'un repas pour présenter le couple aux amis, voisins, connaissances. Plus il y a d'invités, mieux c'est et 600 invités est considérés comme un petit mariage en Inde. Les familles s'endettent considérablement pour ces mariages toujours plus fastueux que les moyens auxquels les familles peuvent prétendre.
Le mariage d'enfants
La pratique coutumière du mariage d'enfants est encore très vivace au Rajasthan, malgré son interdiction prononcée en 1929 par le Child Marriage Restraint Act. L'âge légal pour se marier est fixé à 18 ans pour une femme et 21 ans pour un garçon. S'il est difficile d'obtenir des statistiques fiables, une Étude Nationale sur la Santé et la Famille de 2021 rapporte que 24,5% des femmes du Rajasthan entre 20 et 24 ans interrogées déclarent avoir été mariées avant 18 ans. Cette pratique puise sa source dans la fête de l'Akha Teej qui se tient au mois de mai. À l'occasion de la Fête des moissons, de jeunes filles sont données en mariage à de jeunes garçons. Ces mariages sont l'occasion de procéder à des arrangements financiers, des regroupements de terres ou à des convergences d'intérêt entre les deux familles. La jeune fille de la famille reçoit alors une compensation financière et en nature de la part de la famille du garçon. La jeune fille ne rejoindra sa belle-famille qu'au moment de sa puberté.
De nombreux citoyens des villes et associations s'insurgent contre cette pratique d'un autre temps. Ainsi, l'Akha Teej de 2016 a vu naître une opération originale. Ravi Jindal, président d'une association de fournisseurs de chapiteaux et barnums, a exigé le certificat de naissance des deux époux avant de leur louer du matériel. Plus de 45 000 vendeurs et loueurs de tentes festives ont rallié cette cause. Cette initiative a été reprise par les imprimeurs de cartons d'invitation qui demandent désormais une pièce d'identité. Si l'initiative peut sembler triviale, Ravi Jindal assure avoir épargné un mariage précoce à 4 000 ou 5 000 enfants.
La place de la femme
Malgré des tenues colorées et des bijoux éclatants, les femmes n'ont pas le beau rôle au Rajasthan. Dès son plus jeune âge, la petite fille bénéficie de moins d'attention que son frère. Dans les campagnes et lorsque les revenus des familles sont faibles, l'éducation se limite aux premières années d'école. Les parents se soucient surtout de lui assurer une dot (dahej) qui nécessite parfois plusieurs années d'économie. Un proverbe local résume sans nuance la venue d'une fille dans la famille : « élever une fille, c'est labourer le champ du voisin ». Pour beaucoup de familles, l'éducation d'une fille se cantonne à faire d'elle une bonne épouse : apprendre à cuisiner, à coudre, à tenir une maison, à s'occuper de son mari et des autres membres de la maisonnée. Vivant au service de son époux et de sa belle-famille, la jeune femme a pour principale mission de faire des enfants (des fils de préférence), de les élever et de tenir la maison. Elle doit se soumettre à des règles strictes. Elle n'est pas autorisée à adresser la parole à son beau-père ou à ses beaux-frères plus âgés que son mari, elle doit se voiler le visage en leur présence. Elle n'a pas le droit d'interpeller son mari par son prénom en public. Dans les milieux ruraux pauvres, elle est tenue d'aller chercher l'eau au puits et le bois dans la campagne. Dans les milieux aisés, elle vit recluse dans une partie de la maison, selon la règle de la purdah, sans pouvoir adresser la parole aux visiteurs. Elle est alors assistée d'une armée de serviteurs qu'elle est chargée de régenter. Mais cette règle, fort heureusement, est en désuétude.
Dans les villes, les règles strictes qui cantonnent la femme à la maison se diluent par nécessité ou souci de modernité. Les femmes de milieux des classes moyennes ou aisées suivent des études et travaillent. Les revenus générés permettent d'assurer un meilleur avenir aux enfants et de vivre plus confortablement dans des agglomérations où les prix n'ont de cesse de grimper.
Malgré son interdiction par les Britanniques en 1829, la tradition du sati (sacrifice de la veuve dans le bûcher de son époux) a perduré jusqu'en 1987, date du dernier cas recensé. La jeune Roop Kumar, âgée de 18 ans, a sauté dans le bûcher de son mari dans un petit village du Rajasthan. 35 ans plus tard, la jeune fille est idolâtrée par une partie de la population de son village qui l'a élevée au rang de devi, en lui vouant un culte.
Éducation
L'Inde a rattrapé son retard en matière d'alphabétisation avec un taux de 84,7 % pour les hommes et 70,3 % pour les femmes en 2021. Le Rajasthan est à la peine en la matière. Si le taux d'alphabétisation est proche de la moyenne nationale pour les hommes avec 80,08 %, il est catastrophique pour les femmes. Seules 57,6 % des femmes du Rajasthan savent lire et écrire. Il s'agit du plus gros écart constaté entre hommes et femmes à travers toute l'Inde. Il confirme sans équivoque l'attention accordée à la place des femmes dans cet État. Plusieurs raisons expliquent ces mauvais résultats. La scolarisation est quasi-absente dans les zones désertiques et auprès des populations tribales. Dans certains districts, elle n'atteint même pas 10 %. Dans le reste des campagnes, chaque village dispose en principe de son école publique, au moins pour les plus petits. Le Rajasthan compte 105 379 écoles élémentaires. La scolarisation est gratuite, mais l'uniforme obligatoire, les fournitures et les livres sont à la charge des familles. Beaucoup de familles ne peuvent pas se permettre de telles dépenses et n'envoient qu'un seul enfant par famille.
L'éducation est devenue un sujet majeur en Inde, presque une industrie. Les familles qui le peuvent se saignent aux quatre veines pour assurer une éducation supérieure à leurs enfants. Les publicités pour les écoles privées, du primaire au niveau universitaire, fleurissent sur tous les murs des villes, s'affichent en 4x3 et témoignent d'une concurrence intense. Paradoxalement, le Rajasthan est l'État qui compte le plus grand nombre d'universités. Plus d'un million de jeunes suivent des études supérieures et il y avait 5,26 % d'inscrits en plus en 2021 par rapport à l'année précédente.
Protection sociale
L'Inde et le Rajasthan ne sont pas les champions de la protection sociale. Avec l'une des plus grandes populations au monde, un système de travail souvent souterrain, il est difficile d'assurer une bonne protection à chaque concitoyen. Le gouvernement s'attelle surtout à réviser et renforcer la protection sociale pour les travailleurs du secteur organisé. Ainsi, les fonctionnaires et employés des grandes entreprises du secteur privé profitent d'une couverture de santé, d'une retraite et parfois d'une assurance chômage. En 2015, Narendra Modi a mis en place un programme destiné aux travailleurs pauvres. Moyennant une cotisation symbolique d'une quinzaine de roupies annuelles, le travailleur peut bénéficier d'un capital s'élevant à 200 000 Rs en cas d'accident du travail. En revanche, les frais médicaux ou d'hospitalisation ne sont pas couverts et nombre d'Indiens renoncent à se faire soigner. De la même manière, le régime des retraites ne bénéficie qu'aux salariés du secteur privé et aux fonctionnaires. Cependant, le New Pension Scheme introduit en 2004 et élargi en 2009 permet une participation volontaire à tous les travailleurs âgés de 18 à 60 ans. Le capital n'est pas bloqué et peut être retiré à tout moment, même si le but est d'assurer le versement d'une pension à partir de 60 ans.
L'assurance chômage est limitée aux employés du secteur privé et aux fonctionnaires. Pour en bénéficier, il faut avoir été licencié pour tout autre motif que la faute du salarié, justifier d'au moins 2 ans d'ancienneté et n'avoir jamais bénéficié de la prestation. Les indemnités s'élèvent à 50 % du salaire et sont versées pendant 3 mois. Il existe une assurance spéciale pour les licenciés économiques au salaire inférieur à 21 000 Rs par mois. Ils bénéficient d'une indemnisation équivalant à 50% du salaire pendant 2 ans maximum, mais aussi d'une protection santé pour eux et leur famille ainsi que des droits à une formation professionnelle. En réponse à la crise du Covid-19, le Rajasthan a mis en place un système d'emploi pour les travailleurs journaliers des villes. L'État garantit 100 jours de travail par an pour un salaire moyen de 259 Rs par jour, ce qui assure un revenu minimum aux foyers les plus pauvres.