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Les milliers de drapeaux multicolores flottant au vent nous le rappellent sans cesse : le Bhoutan est le seul pays au monde où le bouddhisme Mahāyāna, dit du Grand Véhicule, est la religion officielle. Ce courant religieux d’origine tibétaine est ici pratiqué sous sa forme tantrique. Au pays du Dragon-Tonnerre, l’influence du bouddhisme est palpable dans les moindres actions de la vie quotidienne, et la vénération de certaines déités et maîtres religieux est extrêmement forte, Shakyamuni (le Bouddha du présent) et Guru Rinpoché en tête. La ferveur religieuse se manifeste sous forme d’offrandes aux monastères, comme l’offrande de lampe à beurre, des dons en nature ou en argent, ou encore la participation à des pèlerinages, des festivals religieux, ainsi que dans la pratique de rituels. Nombreux, ils visent des buts bien précis pour les Bhoutanais et rappellent le rôle central de la religion et de la tradition dans leur vie quotidienne.

Le bouddhisme tantrique ou vajrayāna, une spécificité bhoutanaise

Majestueux dzongs dressés au sommet des montagnes, moulins à prières XXL en bordure de route, gigantesques statues de bouddhas et de divinités faisant l’objet d’un culte omniprésent…  Au Bhoutan, la religion est partout. Elle fait partie de la vie quotidienne des Bhoutanais, elle est surtout le fruit d’un mélange harmonieux entre bouddhisme et croyances plus anciennes. Tradition typiquement himalayenne, le bouddhisme tantrique, tel qu’il est pratiqué au Bhoutan, semble avoir été introduit au VIIIe siècle avant de se propager au XIIe siècle. Également connue sous le nom de « bouddhisme du Grand Véhicule » ou Mahāyāna, cette forme de bouddhisme, appelée aussi lamaïsme, d’abord apparue au Tibet, repose sur la croyance selon laquelle les conséquences des actions réalisées dans une vie antérieure, le karma, forcent les êtres à se réincarner. Le bouddhisme perçoit en effet l’existence comme un cycle de renaissances sans fin au cours desquelles les êtres vont « errer ». La renaissance dans tel ou tel état d’existence est ainsi déterminée par ce fameux karma, qui nous suit de vie en vie… Forts de cette croyance, les hommes doivent donc tendre vers la recherche de l’Illumination, pour pouvoir atteindre le Nirvana, qui signifie la fin des souffrances liées à l’existence.

Au fil de son évolution, le bouddhisme a su s’adapter, absorbant croyances locales et traditions populaires tout en créant de nouveaux courants de pensée qui malgré leurs différences partageaient tous la même foi dans les enseignements originels de Bouddha. Néanmoins, deux d’entre eux se sont imposés : le theravāda et le mahāyāna. Le premier était plutôt orienté sur la libération de l’individu, tandis que le second insistait sur la compassion et la libération de tous les êtres vivants. Vers 600 après J.-C., certains adeptes du bouddhisme mahāyāna donnèrent naissance à un courant appelé vajrayāna (« véhicule de diamant »), dont le principe fondamental est la compassion. Le vajrayāna repose sur les mêmes principes fondamentaux que le bouddhisme mahāyāna dont il est issu, notamment l’importance de la compassion. Mais il présente deux particularités : il s’appuie sur les Tantras, un ensemble de textes ésotériques que Shakyamuni, le Bouddha historique, aurait laissé de son vivant à quelques-uns de ses disciples, et restés donc secrets. De plus, la pratique tantrique est fondée sur l’identification à une déité (un être éveillé), censée développer rapidement la « Nature de Bouddha » présente en chacun grâce à la perception directe de cette déité, choisie comme support de méditation. L’identification se fait par le biais de sa visualisation, via des mandalas ou des yantras (support de méditation en forme de diagramme), à l’accomplissement de certains gestes rituels ou la récitation de mantras (formule dotée d’un pouvoir spirituel). Le bouddhisme vajrayāna dispose ainsi d’un panthéon de divinités-symboles et de bodhisattvas, des êtres éveillés qui n’ont pas encore atteint l’état d’éveil de Bouddha mais qui peuvent aider l’homme à progresser dans cette voie. Contrairement à Bouddha, les bodhisattvas sont souvent représentés avec une ribambelle de bijoux. Au fil des siècles, c’est donc cette forme particulière du bouddhisme tantrique, venue du Tibet, qui s’est imposée au Bhoutan.

Les figures emblématiques du bouddhisme bhoutanais

Parmi les divinités les plus vénérées par les Bhoutanais, il y a Avalokiteshvara, le bodhisattva de la compassion. On le reconnaît à son corps blanc, représenté avec 2, 4 ou 1 000 bras, afin d’étendre sa bienveillance sur le monde. Il y a aussi Manjushri, le maître de la sagesse au corps jaune, ou encore Vajrapani, la divinité de la puissance au visage courroucé. Il a le corps bleu, et il est armé d’un éclair, l’un des symboles principaux du tantrisme. Autre figure incontournable des temples bhoutanais : Guru Rinpoché (Padmasambhava), le précieux maître qui aurait introduit le bouddhisme au VIIIe siècle dans le pays. Les cheveux longs, les yeux écarquillés et la moustache entortillée, il tient un dorji (éclair) dans sa main droite et un bâton au creux de son bras gauche, surmonté de trois têtes coupées pour montrer les différents stades de la décomposition (fraîche, en décomposition et sèche)… Il se manifeste sous 8 formes (très) différentes, la plus frappante étant celle de Dorji Drolö, chevauchant une tigresse enceinte…  Autre personnalité historique que l’on retrouve un peu partout : Shabdrung Ngawang Namgyal, le fondateur du Bhoutan, avec une barbe blanche et la tête recouverte du couvre-chef cérémoniel de l’école Drukpa. Mais la figure principale reste naturellement celle de Shakyamuni, le Bouddha du présent, représenté assis en tailleur sur une fleur de lotus, cheveux noirs frisés, bol d’offrandes dans la main gauche et main droite qui touche le sol, un halo autour de sa tête pour signifier l’Éveil.

Une communauté monastique très codifiée

Aujourd’hui encore, la communauté religieuse au Bhoutan fonctionne selon le système bâti par Shabdrung Ngawang Namgyal au XVIIe siècle. Si au sommet de la structure initiale figurait autrefois le Shabdrung, aujourd’hui incarné par le Druk Gyalpo, le roi du Bhoutan, le dratshang (l’ensemble de la communauté monastique) est toujours placé sous l’autorité du Je Khenpo, l’autorité spirituelle suprême ou Dharma Raja. Ce dernier partage son temps entre le dzong de Punakha, sa résidence d’hiver, et celui de Tashichho Dzong, sa résidence d’été, à Thimphu. Son second est le Dorje Lopen Ripoché, responsable des rituels les plus sacrés. Il fait partie des cinq grands Lopen (maîtres) qui portent depuis 2013 le titre de Rinpoché : le maître de la connaissance qui supervise les danses sacrées, le maître de l’éducation monastique, le maître du développement des enseignements et le maître des services religieux pour les vivants et les morts. À ces cinq maîtres qui ont un rang de ministre, s’ajoutent le maître des arts et le maître de l’astrologie. Dans chaque dzong, il y a un lama neten, en charge de la communauté monastique du dzongkhag (on totalise 20 dzongkhag à travers le pays), un umdzé (le maître du chœur), un kundun (le maître des disciples), ainsi que des religieux qui enseignent la liturgie et la philosophie.

Les moines ordonnés sont appelés gelong. Ils vivent dans les monastères et portent une robe rouge foncé. On dénombre actuellement environ 7 500 moines subventionnés au Bhoutan. Ils sont habituellement placés dès l’âge de 5 ou 6 ans par les parents. Si certains jeunes Bhoutanais continuent d’embrasser la carrière monastique (on les reconnaît à leur tunique marron), la plupart renoncent à leurs vœux une fois adultes pour fonder une famille. Loin d’être pointés du doigt, ces anciens moines redevenus laïcs continuent même pour certains d’assurer prières et cérémonies à l’occasion des festivités religieuses.

La pratique du bouddhisme au Bhoutan aujourd’hui

Au Bhoutan, chaque foyer possède son choesum, un petit autel surmonté généralement de portraits du dalaï-lama, de l’actuel roi et agrémenté bien sûr de statues de Bouddha et de Guru Rinpoché. Au pied des statues, on dépose sept bols que l’on remplit d’eau chaque matin (de gauche à droite). Ils symbolisent les sept offrandes qui doivent être faites aux divinités : un bol d'eau fraîche claire pour se désaltérer ; un bol avec de l'eau pour se laver ; un bol rempli de riz et de fleurs (naturelles ou en soie) ; un bol dans lequel on pique quelques bâtons d'encens qui ne seront pas brûlés (l'encens à brûler est placé dans un autre récipient devant l'autel) ; un bol avec de l'eau et quelques gouttes de parfum ou des pétales de rose ; un bol rempli de nourritures diverses, qui sont remplacées lorsqu’elles ne sont plus comestibles ; un bol avec du riz sur lequel on pose un instrument de musique tel qu'une conque, des cymbales ou une petite clochette ; et enfin, une lampe à beurre dans laquelle on met une bougie pour la lumière.

Même s’ils se consacrent peu à la méditation, les Bhoutanais se prosternent devant les autels et les lamas. Les prosternations se font en posant les deux mains en même temps à terre puis les deux genoux, et enfin le front. Ensuite on se relève, et on porte les deux mains jointes au-dessus de sa tête, puis au niveau de la gorge et enfin du cœur. L’objectif de ces prosternations est de se libérer des cinq poisons : le désir, la colère, l’orgueil, la jalousie et l’ignorance. De nombreux rituels rythment la vie quotidienne des Bhoutanais lors des événements importants de la vie (naissance, mariage, décès…). Ils sont réalisés devant l’autel domestique ou à l’extérieur face à une image du Bouddha éveillé (le corps de Bouddha), d’un texte sacré (la parole de Bouddha) et d’un petit chorten (l’esprit de Bouddha). Les tsheshus et les fêtes religieuses font également partie des rites incontournables auxquels participent les Bhoutanais pour espérer acquérir des mérites et se laver de leurs péchés. Enfin, partout au Bhoutan, dans les monastères et même en bordure de route, se dressent les moulins à prières. Les fidèles Bhoutanais doivent les actionner de la main droite et tourner autour dans le sens des aiguilles d’une montre. Ils diffusent sans fin cette fameuse formule sacrée : Om Mani Padme Hum, le mantra du Bouddha de la compassion, réputé écarter les obstacles.

L’art de la bonne conduite dans un monastère ou un dzong

Règle numéro un avant de pénétrer dans une chapelle bouddhiste : on dépose ses chaussures à l’entrée. À l’intérieur, on se déplace toujours dans le sens des aiguilles d’une montre. Les photos sont interdites. De même que le port du chapeau. Dans certaines parties des chapelles, seuls les visiteurs masculins sont autorisés à entrer. Enfin, ne soyez pas étonné si un moine verse dans votre main un peu d’eau sacrée. Impossible de refuser, c’est une offrande ! Il faut en boire quelques gouttes puis s’asperger le sommet du crâne avec ce qu’il reste. Cette eau est, paraît-il, magique !

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