Art rupestre
L’art pictural est présent en Tanzanie dès ses balbutiements. Le site de Kondoa couvre à lui seul six périodes préhistoriques, de -40 000 à -3 000. Inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, cet ensemble constitué de 200 grottes s’étale sur les bords de la splendide vallée du Rift. Dans ses abris sous-roche, tous les genres de l’art rupestre se déploient sur les parois. Scènes de chasse, animaux réalistes et totémiques, figures humaines, parmi lesquelles certaines mesurent plus de 3 mètres et dépeignent des danses et des rites. D’un point de vue stylistique, ces dessins sont similaires à ceux que l’on peut observer en Europe.
L’art Makonde
Le style Makonde concerne spécialement la sculpture, et dans une moindre mesure la peinture du sud de la Tanzanie. Par tradition, le peuple Makonde a toujours sculpté ses objets usuels de même que ses masques dans des pièces de bois, notamment en ébène. A leur arrivée, les colons portugais n’ont pas caché leur fascination pour les créations des Makonde. En réaction, les sculpteurs Makonde ont adapté leurs techniques et opté pour des bois différents, plus résistants. Ainsi, depuis ces années, un art Makonde moderne s’est développé en Tanzanie. Il regroupe en réalité plusieurs styles. Parmi ceux-ci, les traditionnels masques Mapiko, sculptés dans un seul bloc de bois léger destinés à être portés par les danseurs. Vient ensuite le style Ujamaa qui désigne les sculptures de groupe, une famille ou une communauté disposée autour d’un personnage central. Ce courant est apporté par Roberto Yakobo Sangwani venu du Mozambique dans les années 1950.
Un genre naturaliste, le Binadamu, rappelle les rôles sociaux. Souvent, les hommes fument tandis que les femmes accomplissent des corvées.
Un courant abstrait s’est affirmé autour de la représentation des esprits maléfiques, les Shetani. Le plus grand représentant de l’abstraction se nomme George Lugwani. La reconnaissance internationale de l’art Makonde, depuis les années 1970, est portée par l’artiste George Lilanga.
De Tingatinga à Lilanga
Le peintre légendaire Edward Saidi Tingatinga (1932-1972) naît dans une famille démunie, dans le village de Namochelia, au sud de la Tanzanie. Chrétien par sa mère et musulman par son père, il comprend très jeune qu’il ne pourra pas faire carrière dans ce coin reculé. Il part travailler dans les plantations de sisal au nord du pays avant de trouver un emploi au service de son oncle à Dar es Salaam en 1968. C’est alors qu’il se livre à ses premières explorations en musique et en peinture. Pour cela, il recycle des matériaux communs, des fragments de céramique aussi bien que de la peinture pour vélos. Il développe un style naïf, teinté d’humour, à la frontière du surréalisme. Il peint de nombreux paysages dans lesquels il juxtapose des figures emblématiques de la culture africaine. Bien vite, ses œuvres deviennent populaires parmi les résidents et les touristes occidentaux à tel point qu’il vit de son art et fonde la Tingatinga Arts Cooperative Society. Là, il forme les futurs artistes du pays. Mais il trouve la mort en 1972 alors qu’un policier le confond avec un fugitif. Malgré tout, son style se répand en Tanzanie, au Kenya et dans une grande partie de l’Afrique de l’Est.
Tingatinga eut pour élève George Lilanga, à qui il enseigna le dessin, la peinture et la lithogravure. Lilanga, né en 1934 à Masasi en Tanzanie et décédé en 2005 à Dar es Salaam, grandit à la campagne. C’est dans cet environnement qu’il se forme dès 1961 à la sculpture aux côtés des célèbres sculpteurs Makonde. Ces derniers, venus des hauts plateaux du Mozambique, s’installèrent dans la région de Dar es Salaam en quête de conditions de vie plus propices. En 1973, George Lilanga fonde le collectif d’artistes « Nyumba ya Sanaa » (House of Arts ou Maison des Arts) et se forme auprès de Tingatinga.
Le parcours de Lilanga est double, puisqu’il travaille simultanément la sculpture et la peinture. Dans la lignée de la culture Makonde, ses créations évoquent la valeur mythique de la femme ou encore les danses exécutées par des hommes masqués. La pensée magique est au cœur des croyances Makondes. Pour eux, les ancêtres, les génies, les forces naturelles les maintiennent dans un univers agité. Cependant, Lilanga se démarque en apportant la notion d’individu et par conséquent de talent personnel dans l’art. Cela constitue dans le contexte africain un changement majeur. Sur le plan formel, ses œuvres font preuve d’un sens esthétique raffiné. Il transforme littéralement le vocabulaire de la sculpture classique dans ses gravures. Entre légendes ancestrales et histoires contemporaines, ses œuvres mettent en scène la population villageoise pour proposer une critique sociale de la vie quotidienne en Tanzanie. Son style extrêmement personnel séduit les collectionneurs du monde entier. La quantité de ses œuvres vendues à travers le monde atteint de tels sommets que certaines seraient réalisées par ses élèves. Le fait est que George Lilanga a fondé un mouvement en Afrique.
Ecole Tingatinga
La peinture est aujourd’hui représentée par un style particulier appelé le Tingatinga, du nom d’un artiste parti trop tôt. Caractérisées par des couleurs vives et des motifs répétitifs, les œuvres d’une simplicité apparente ont pour sujets des animaux sauvages peints de face, stylisés afin de leur donner une apparence fantastique, ou des scènes de la vie courante des villages, des histoires de sorciers, des fables, sur un fond parcouru de divers motifs végétaux ou animaliers… Tous les supports sont possibles : toiles, murs, ou toutes sortes d’objets, selon la demande. La production est assez inégale. Certains artistes, qui ont pu se perfectionner auprès des maîtres, parmi la quarantaine de membres de la coopérative Tingatinga, réalisent des œuvres originales remarquables, d’autres se contentent de recopier. Au Kenya par exemple, certains font de la contrebande, et une société a acheté le copyright Tinga Tinga. Les prix pour une toile varient de 5 000 à plus de 100 000 TSH, voire 2 millions de TSH (environ 1 000 €), selon l’originalité, la finition et la dimension.
A Dar es Salaam, la Tingatinga Arts Cooperative Society défend cette tradition à travers des expositions, entre autres manifestations. Parmi les artistes tanzaniens contemporains qui perpétuent l’héritage d’Edward Saidi Tingatinga, citons Evarist Chikawe, Godfrey Semwaiko, John Kilaka, Thobias Minzi, Robino Ntila, David Mzuguno, Haji Chilonga.
Les rues de Stone Town
Le quartier historique de la capitale de Zanzibar concentre un mélange d’influences. Apports britanniques, indiens, portugais, omanais et swahilis s’imbriquent avec une harmonie stupéfiante. Dans ces ruelles, les portes sculptées alternent avec les graffitis peints de-ci de-là sur les murs de l’accueillante ville de pierre. Il faut se perdre entre ses monuments, ses temples et ses palais pour rencontrer certaines des 500 portes qui ornent la ville. Mondialement connues, ces portes reflétaient la prospérité des familles. Entre ces symboles des temps anciens, des graffitis souvent ésotériques apparaissent sans oser occuper trop d’espace. Fantômes, navires d’esclaves, père Noël, on rencontre un peu toutes sortes de thèmes.
A l’écart des ruelles, Space Invader s’est posé dans la brousse. Le célèbre street artiste français, qui préfère généralement les zones urbaines, a ici choisi de se démarquer. Ses personnages en mosaïque côtoient en Tanzanie les animaux de la savane. Space Invader se plait à explorer des lieux improbables. Rappelons qu’un exemplaire a été lancé dans l’espace, et un autre jeté dans les eaux du Mexique. Pourquoi pas la brousse ? Le site de l’artiste permet de localiser plus spécifiquement chacune de ses œuvres !
De nos jours
Un espace dédié à l’art contemporain s’est ouvert à Dar es Salaam en 2010. Fondé à l’initiative de l’ambassade danoise, le Nafasi Art Space offre un lieu de création à 15 artistes tanzaniens. Des artistes internationaux sont accueillis en résidence, leur présence donnant lieu au « chap chap », un événement organisé par l’artiste résident, ouvert à tous. A l’occasion du chap chap, les participants sont sensibilisés à de nouvelles formes d’expressions artistiques. La jeune génération tente de se détacher du style Tingatinga mais manque de lieux d’exposition. Pour eux, la meilleure solution reste les associations, car le gouvernement n’investit pas dans les arts visuels.
Parmi ces artistes résolument tournés vers l’avenir, Nayja Suleiman de Zanzibar peint des portraits de femmes avec un regard vibrant. En Tanzanie, Lute Mwakisopile dénonce le dur labeur et le rôle des artistes dans la société contemporaine.
Peu de femmes parviennent à percer dans le milieu de l’art. Farhat Shukran Juma a la chance d’avoir le soutien de sa famille. Née en 1996, elle se passionne depuis l’enfance pour la peinture. C’est au CAC de Stone Town qu’elle se forme aux techniques artistiques avant de développer le style abstrait devenu sa signature. Pour atteindre un plus large public, elle vend ses œuvres en même temps que des savons naturels. Elle admet néanmoins que la route est longue avant que des peintres abstraits se sentent compris dans son pays. A l’inverse, l’artiste Evarist Chikawe a certes la joie d’exposer à la Fondation Viiana Vipaii, mais il a dû s’opposer à sa famille pour poursuivre son chemin.
A Zanzibar, le Cultural Arts Center est un lieu unique qui fournit un espace de création, d’exposition et d’échanges dans le but de renforcer le réseau et le public.
Mwandale Mwanyekwa est l’une des rares femmes qui a su s’imposer sur la scène artistique tanzanienne. L’artiste est célèbre pour ses autoportraits taillés dans le bois. Elle est couramment invitée à exposer ses sculptures en Suède, en Afrique du Sud ou encore aux États-Unis.