Les musiques et danses traditionnelles
Riche de près de 125 groupes ethniques, la Tanzanie bénéficie en conséquence d’une quantité colossale de musiques et danses traditionnelles. Si ces dernières varient selon les communautés, elles ont toutes pour tronc commun de remplir une fonction – concernant le travail, la guerre, la religion, etc. Parmi les expressions musicales les plus connues, citons par exemple Mitamba Yalagala Kumchuzi, musique exécutée sur des tambours gobelets, des tambours cylindriques et des hochets en étain. Chez ce même peuple, on trouve également le mdundiko, des danses rituelles associées avec le mariage et la célébration de la puberté chez les jeunes femmes.
Du côté de l’ethnie Gogo, on trouve un répertoire très varié de musiques cultivant des fonctions diverses comme makumbi accompagnant des rites initiatiques, masumbi, musique de divertissement ou msunyhuno, utilisée pour attirer la pluie. Un répertoire très bien documenté et que l’on peut d’ailleurs écouter grâce à deux belles compilations sorties en 2001 et 2002 sur les labels Ocora et VDE. L’ethnie Gogo est d’ailleurs celle d’Hukwe Zawose, un des musiciens tanzaniens les plus connus du XXe siècle et un illustre joueur d’illimba, grand lamellophone cousin du mbira. L’autre grande artiste de la musique traditionnelle tanzanienne est Saida Karoli, célèbre chanteuse inspirée par les airs traditionnels tanzaniens, chantant notamment en haya et qui a cumulé plusieurs très grands succès en Tanzanie.
Cela étant dit, pour entendre la tradition musicale tanzanienne la plus connue (et entendue) dans le monde, c’est vers l’archipel de Zanzibar qu’il faut se tourner. C’est d’ici qu’est originaire l’envoûtant taarab. Pilier de l’identité zanzibarite, cette musique métissée, fusion de styles combinant poésie africaine chantée, percussions, instruments à cordes hérités d’Égypte, influences de l’Inde occidentale et héritages de rites bantous, raconte un pays au carrefour de la route des épices. Ses textes célèbrent l’amour et il est généralement accompagné d’un orchestre assez fourni qui peut compter jusqu’à 40 instruments, notamment à cordes : cithare, oud, violon, violoncelle, mais aussi des accordéons et neys (flûte d’origine persane), et toute une collection de percussions artisanales en tout genre. Il est important de souligner que, dans une société très traditionnelle où les inégalités entre genres sont toujours très fortes, deux des stars les plus influentes du taarab sont des femmes : Siti binti Saad et Bi Kidude. La première (1880-1950) est LA légende du taarab. Incarnant cette musique depuis près d’un siècle, la « mère du taarab » est, dès les années 1920, la première à produire des titres commerciaux en arabe et swahili et à étendre ainsi le rayonnement de cette musique à une sphère internationale d’auditeurs. La seconde légende du taarab se nomme Bi Kidude (1910-2013). Célèbre pour sa longévité et son talent de musicienne, elle a incarné le taarab pendant plus de 80 ans aux côtés de Siti binti Saad, imprimant le genre de sa voix si particulière. Dans la jeune génération, Siti Muharam, arrière-petite-fille de la légende Siti binti Saad, est remarquable par sa volonté de plonger la tradition dans la modernité. Citons également Siti Amina, chanteuse et joueuse charismatique d’oud, elle aussi héritière de Siti binti Saad à sa manière et conviant de multiples esthétiques zanzibarites comme le ngoma ou le Zenji Flava. Ce sont ces artistes, icônes comme membres de la jeune garde, qui font voyager la culture taarab partout où les peuples parlent le swahili.
Outre le très bon documentaire franco-allemand de 2009, Zanzibar musical club, le meilleur moyen d’explorer le taarab est encore d’aller à la DCMA (pour Dhow Countries Music Academy) à Stone Town. Fondée en 2002 par une ONG et le célèbre musicien Mohamed Issa Haji (communément appelé « Matona ») pour préserver, développer et promouvoir le patrimoine musical de Zanzibar et de la côte swahilie, cette institution accueille près de 600 élèves étudiant les musiques traditionnelles de la région. Ne manquez pas ce show se tenant tous les jours de 20h à minuit à l'institution, il coûte 20 000 TSH et propose différents styles de musique traditionnelles et de chants tous les soirs. On peut aussi réserver un dîner sur le rooftop intimiste de Emerson on Hurumzi au Tea House Restaurant pour y assister. On peut entendre et voir du ngoma et du taarab à l'incroyable restaurant The Secret Garden toujours à Stone Town, le lieu le plus scénique dans des ruines végétalisées et mises en lumière.
Car outre le taarab, Zanzibar cultive de nombreux autres genres traditionnels. L’autre grand courant de l’île est le ngoma. Ce mot signifiant « percussion » en swahili englobe toutes les formes de danses, jeux et danses en rythme, et célèbre la vie et la culture. Il existe de nombreuses variantes en Tanzanie, dont certaines sont originaires d’Unguja et Pemba. Chaque tribu à son propre style de ngoma, avec chansons, costumes traditionnels (en général une robe sophistiquée) et percussions spécifiques. Le marimba est la percussion traditionnelle des rythmes ngoma bantous. Elle est constituée d’une petite caisse de résonance en bois, rectangulaire, sur laquelle sont montées des tiges de fer par taille décroissante.
Il y a aussi le kidumbak, cousin du taarab, mais plus populaire dans les classes défavorisées. Utilisé pour produire les derniers hits à la mode, beaucoup de jeunes s’y essayent dans des groupes avant d’être admis dans des cercles plus prestigieux d’orchestre taarab. En général, un instrument solo s’occupe de la mélodie, souvent un violon (joué assez frénétiquement), accompagné d’un sanduku (une contrebassine artisanale), deux petites percussions en argile (ki-dumbak) et d’autres instruments percussifs variés. Cette musique est plus rythmée que le taarab, sa danse est plus sensuelle, et les paroles sont moins drastiques. Sina Chuki Kidumbak est un ensemble populaire du genre.
Dérivé du ngoma, n’oublions pas de mentionner l’unyago, une forme musicale jouée pour les fiancées swahilies avant le mariage. Cette cérémonie enseigne le maquillage, l’intimité sexuelle, la cuisine avec des mouvements et paroles très explicites pour initier les jeunes filles à donner du plaisir à leur mari. Bi Kidude, la star de la musique zanzibarite, en a souvent joué. Citons aussi le beni, musique créée à l’origine pour se moquer des orchestres de musique militaire coloniale anglaise et dont les groupes se produisaient à l’origine dans les mariages et les parades de rue en costume burlesque.
La tradition musicale zanzibarite est particulièrement riche et le festival Sauti Za Busara se tenant en février à Stone Town offre un très bon panorama sur le domaine. Cet événement de quatre jours, l'un des plus grands d'Afrique de l'Est, créé en 2003 pour le rayonnement de la musique traditionnelle et contemporaine, connaît un succès phénoménal. Comme il est gratuit, tous les locaux viennent à Stone Town pour en profiter. Il débute par une parade dans la ville, une sorte de carnaval avec des échassiers, acrobates, percussionnistes et brass band de beni, qui circule du terminal de dala dala jusqu’au waterfront. Environ 400 artistes se produisent dans plus de 40 concerts sur 3 scènes chaque année.
La musique populaire
Une des saveurs musicales les plus tanzaniennes est sans conteste le dansi. Abréviation de « muziki wa dansi » (signifiant « musique de danse ») et aussi appelé « swahili jazz », le genre remonte aux années 1930, où il apparaît dans la région de Dar es Salaam. Né sous l’impulsion du succès du soukous (le genre national congolais) dans toute l'Afrique de l'Est, le dansi est en fait une traduction locale de ce style entre les mains de groupe pionniers tels que le Dar es Salaam Jazz Band (fondé en 1932) ou le Morogoro Jazz. Des groupes devenus très populaires dans les années 1960, rejoints alors par des nouveaux ensembles comme le NUTA Jazz Band, l'Orchestra Safari Sound, l'Orchestra Maquis Original, l'International Orchestra Safari Sound et le DDC Mlimani Park Orchestra qui ont tous participé à l’épanouissement du genre.
Pour l’anecdote, ces groupes étaient gérés comme des entreprises et les musiciens traités comme des employés. Ce qui explique pourquoi les musiciens les plus talentueux passaient d'un groupe à l'autre, appâtés par de meilleures offres. Mis en concurrence, les groupes devenaient rivaux et le mitindo (en swahili « styles ») était leur meilleure manière de se distinguer.
Les musiques actuelles
Dans les années 1990, la jeunesse locale a commencé à se tourner vers la pop et le bongo flava, la traduction tanzanienne du hip-hop. Fortement influencé par le rap américain, il intègre aussi des éléments de dancehall, reggae, afrobeat, r&b et parfois même des instruments de musique traditionnelle taarab pour offrir une saveur unique. Si au départ ce courant alternatif et musicalement riche dénonçait la corruption, la pauvreté, les injustices sociales et prônait le militantisme, le style a dérivé – suivant son grand frère américain - vers un genre plus stéréotypé, pensé pour les ventes et très autotuné, voire de piètre qualité. Depuis l’âge des pionniers, incarné par Mr. II, l’auteur de Ni Mimi, premier hit de Bongo Flava en 1995, de nombreuses stars ont dynamisé le genre comme Diamond Platnumz, aujourd’hui le roi incontesté. Aussi, au même titre que plusieurs autres pays d’Afrique de l’Est, la Tanzanie jouit d’une scène électronique très dynamique et plutôt avant-gardiste. Le genre local se nomme le singeli, électro frénétique (attention, ça décoiffe) venues des quartiers pauvres de Dar es Salaam, fièrement portée par des artistes comme Sisso, Jay Mitta ou Makaveli. Autrefois confidentiel et réservé à une audience purement locale, le genre s’est exporté dans les clubs du monde entier, notamment grâce au travail du fabuleux label ougandais, Nyege Nyege Tapes.
Cette esthétique fiévreuse, on peut la retrouver sur place dans les « party party » (prononcé « paty paty ») terme désignant les soirées. Les Tanzaniens adorent la fête, danser, sortir dans des petits bars. Dans les petites villes et même dans les villages, vous trouverez toujours un phare dans la nuit, avec une bonne stéréo et un DJ, équipé de caissons puissants et tonitruants pour danser jusqu’à plus soif. Ou carrément des immenses clubs à Dar es Salaam, vibrante la nuit, incontournable et incontrôlable.