Le poids de 2010
Après les massacres en vallée de Ferghana en 2010 suite à la tentative de Bakiev de se maintenir au pouvoir dont il avait été chassé par la rue, le pays doit, avant toute chose, réconcilier les deux clans. C’est ce à quoi s’attache Roza Otunbaieva, ancienne diplomate et figure emblématique de la révolution des Tulipes, qui est désignée par les leaders de l’opposition pour diriger le pays après l’éviction de Bakiev. Elle s’attache à faire passer par référendum une nouvelle constitution réduisant les pouvoirs du président de la République au profit de ceux du Parlement. Après plus d’un an au pouvoir, elle passe le relais à son successeur, Almazbek Atambaev, fin 2011. Les réformes commencent alors dans ce petit pays meurtri, toujours le plus pauvre d’Asie centrale, où, pour la première fois depuis son indépendance, un président, qui plus est ouvertement « démocrate », est arrivé pacifiquement au pouvoir.
Des difficultés croissantes
Le mandat d’Atambaev est marqué par les difficultés économiques, le Kirghizistan ne parvenant pas à se passer de la tutelle de Moscou et de l’aide internationale. Cherchant à s’ouvrir au maximum au tourisme, dans le but de faire rentrer des devises dans le pays, le Kirghizistan supprime les visas pour une soixantaine de nationalités essentiellement européennes et facilite les conditions d’entrée et de séjour dans le pays. Ce « laxisme » aux frontières a des conséquences : on reprochera à ces mesures d’avoir facilité l’entrée de terroristes ouïghours sur le territoire, comme en témoigne l’attentat perpétré contre l’ambassade de Chine à Bichkek en août 2016. Parallèlement, le Kirghizistan est la seule république d’Asie centrale où l’islam radical semble opérer un retour en force, en particulier dans le sud, en vallée de Ferghana, à tel point que le gouvernement a lancé une campagne d’affichage massive en 2016 pour tenter d’alerter le peuple sur les dangers de la radicalisation par la religion. Crise économique, peur aux frontières, radicalisation de la société : autant de facteurs qui ont poussé Atambaev en 2016 à faire un pas en arrière et à modifier de nouveau la Constitution pour redonner plus de poids à l’exécutif. Une nouvelle dérive présidentielle qui conduit, comme à chaque fois, à une alternance du pouvoir. Le Premier ministre d’Atambaev, Sooronbay Jeenbekov, parvient cependant à succéder à son président de manière pacifique, par la voie des urnes, et avec l’organisation d’un second tour, comme jamais cela ne s’était produit auparavant dans les ex-républiques d’URSS d’Asie centrale. Embellie de courte durée, puisque les partis soutenant Sooronbay Jeenbekov sont accusés de fraude électorale fin 2020, avivant de nouvelles tensions et manifestations qui conduisent le président à la démission. Son premier ministre Sadyr Japarov lui succède, remportant près de 80% des suffrages à l'élection présidentielle de 2021. Une nouvelle Constitution est votée, qui renforce encore le pouvoir présidentiel.
Une économie ancrée dans le primaire
Après l’indépendance, sous la présidence d’Azkar Akaev, le gouvernement kirghize s’est très vite lancé dans des réformes visant à la libéralisation et à l’ouverture de son économie : le Kirghizistan est la première des anciennes Républiques soviétiques à avoir intégré l’OMC. Le pays a connu une récession économique assez marquée entre 1991 et 1995, juste après l’indépendance, mais les réformes lui ont permis de renouer rapidement avec la croissance, qui a frôlé les 10 % à la fin des années 2000. Néanmoins, la crise, qui a frappé durement le pays et ses principaux partenaires commerciaux, a fait trébucher l’économie kirghize, qui affichait même en 2013 un taux de croissance négatif.
Moins bien doté en ressources naturelles que la plupart de ses voisins d’Asie centrale, malgré la présence sur son territoire de la mine d’or de Kumtor, l’une des plus grandes mines d’or du monde, le Kirghizistan reste caractérisé par une économie essentiellement rurale et en partie nomade, et peine à décoller sur le plan économique. Sa structure industrielle reste très limitée. Sa seule ressource exportable et rentable est l’électricité, dont la grande majorité est générée par les barrages hydroélectriques qui poussent comme des champignons sur toutes les rivières du pays. Le Kirghizistan joue avec son voisin ouzbek le jeu de l’échange électricité contre gaz, sans que les partenaires arrivent toujours à se mettre d’accord, ce qui entraîne en Kirghizie de nombreuses coupures de chauffage…
Un avenir incertain
Avec un produit intérieur brut à un peu plus de 11,5 milliards de dollars en 2022, le Kirghizistan est le second pays le plus pauvre de la CEI après le Tadjikistan voisin et compte près de 40 % de sa population vivant sous le seuil de pauvreté. L’enclavement du pays et la généralisation de la corruption à tous les échelons, politiques comme industriels, rendent les investissements étrangers difficiles. En outre, le pays demeure gravement marqué par la crise qui sévit en Occident, mais surtout en Russie et en Chine qui sont ses principaux fournisseurs et clients. La fermeture à Moscou de plusieurs enseignes et marchés a entraîné une baisse significative de l’activité économique de ce « poumon économique » de Bichkek qu’était devenu le grand bazar Dordoy, qui fournit en textiles et autres produits de nombreux marchés de Russie et de Chine. Après un peu plus de 30 ans d’indépendance, la nouvelle donne économique peine à voir le jour.
Un voisinage difficile
Il n’y a pas que les géants russes et chinois qui impactent l’actualité politique et économique kirghize. Les voisins plus directs que sont l’Ouzbékistan et le Tadjikistan posent également certains problèmes. Pour le premier, il s’agit surtout d’assurer l’approvisionnement en eau, pour entretenir ses importantes surfaces cultivées et irriguées. Et l’Ouzbékistan ces dernières années voit d’un très mauvais œil la multiplication des barrages dans les châteaux d’eau kirghizes et tadjiks, avivant des tensions dont l’écho communautaire est toujours sensible, particulièrement en vallée de Ferghana. Avec le Tadjikistan, les tensions sont également fortes. Tout au long de l’année 2019, et à nouveau en 2021 et 2022, des incidents frontaliers faisant plusieurs morts et blessés et conduisant au déplacement de 135 000 personnes ont eu lieu dans la région de Batken. Ces incidents sont la conséquence de désaccords sur les tracés des frontières : une véritable boîte de Pandore en Asie centrale. Les deux pays partagent effectivement près de 1 000 km de frontière, dont seule la moitié est clairement délimitée. Fin 2022 a été signé un accord de pais entre les deux pays, qui semble tenir bon pour l'instant.