Histoire Histoire

L’histoire du Kirghizistan a ceci de particulier qu’elle est totalement décorrélée de l’histoire des Kirghizes jusqu’au XVIe siècle. Jusqu’à cette date, les tribus turques qui deviendront les Kirghizes vivent loin de là, dans les monts Altaï, en Mongolie ou vers le Tibet, alors que le Kirghizistan actuel, terre inhospitalière de hautes montagnes au climat rude, n’est guère plus qu’un couloir d’invasions où les rares zones peuplées se limitent à la vallée de Ferghana et à la vallée de la Tchouï. Il n’y a aucune trace écrite de l’histoire du pays avant le VIIIe siècle et, après la conquête musulmane, elles demeurent rares tant l’Histoire du pays est agitée de soubresauts, conquêtes, reconquêtes… L’islam lui-même aura bien du mal à s’ancrer dans cet espace aux marges de ses frontières, sans cesse mouvant et brassant quantité d’autres religions, en particulier le bouddhisme. Seules quelques rares cités émergent, sans jamais réussir à véritablement prospérer.

1200 av. J.-C. - ca. 840

L’épopée des Kirghizes de l’Ienisseï

Au départ issus des forêts du nord et de l’est de la Sibérie, les proto-Kirghizes du Ienisseï se seraient installés dans la vallée de l’Ienisseï central (région de Minousinsk et d’Abakan) aux environs de 1200-700 av. J.-C., puis dans l’Altaï pour une infime partie d’entre eux entre 700 et 300 av. J.-C. Ils nomadisent entre cette région et la Mongolie jusqu’au IXe siècle de notre ère. En 840, ils fondent un semi-État nomade en Mongolie, d’où ils ont réussi à chasser une autre tribu turque, les Ouïghours. Ils ne rejoindront le Kirghizistan actuel qu’au XVIe siècle, lors du grand mouvement des tribus turques suivant la chute de l’empire timouride.

XIIIe-XVIe siècles

Un espace dans l’anarchie

Après la conquête musulmane et la bataille de Talas, on sait juste que le Kirghizistan était dirigé par un khaganat dont les tribus se querellaient constamment et nomadisaient en permanence. Une première capitale apparaît à Balasagoun avec les Karakhanides, et on a trouvé les traces de nombreuses villes le long de la vallée de la Tchouï, datées du XIIIe siècle, témoignant du passage des caravanes sur la Route de la soie. Tout cela fut proprement rasé par Gengis Khan, et le Kirghizistan devint pour les trois siècles suivants un mélange hétérogène de peuples, ethnies et religions.

XVIe siècle

L’arrivée des tribus kirghizes dans le Tian Shan

Poussés par des mouvements migratoires, les Kirghizes investissent le Tian Shan au XVIe siècle. Dans les monts Tian Shan, la structure tribale kirghize s’organise en trois confédérations tribales majeures. Depuis sa « capitale » fixée à Barskoon, au sud du lac Issyk Kul, Moukhammed-Kyrgyz (1519-1533) semble avoir été, en tant que chef commun (khan) de tous les Kirghizes au début du XVIe siècle, l’artisan de leur unification et de leur fixation sur le territoire kirghize actuel, en même temps que débutait leur long processus d’islamisation.

Cimetière musulman © helovi - iStockphoto.com.jpg

1709 - 1864

Le khanat de Kokand

Dès 1709, le khan de Kokand, l’un des trois khans ouzbeks de Transoxiane, gouverne depuis Kokand, au cœur de la vallée de Ferghana, de vastes territoires qui comportent des populations aux modes de vie et aux cultures très variés. La conquête du territoire kirghize par le khanat de Kokand sera longue et difficile, et le pouvoir du khan s’arrêtait bien souvent à la ville ou à la forteresse, les campagnes restant le domaine des nomades kirghizes, d’où partaient les résistances et les rébellions. Ce n’est qu’en 1834 que le khanat contrôlera l’ensemble du territoire actuel, mais des révoltes continueront à marquer l’histoire politique de la région.

1862 - 1916

La période russe

À la faveur d’une première incursion en soutien aux révoltes contre le khanat en 1862, les troupes tsaristes s’emparent de Pichkek. Ensuite, les Russes ont simplement assuré le soutien logistique aux tribus des deux khanats du Nord qui leur étaient favorables. Durant cette phase, plusieurs chefs kirghizes se sont illustrés, notamment Chabdan Jantaev, fédérateur du soutien kirghize à l’armée russe. Il s’est emparé de la forteresse de Tokmok en 1862, avant de réprimer en juillet 1863 la révolte des monts Tian Shan. Enfin, il a efficacement soutenu le colonel Skobelev durant la conquête de la vallée de Ferghana.
À la fin de 1862, la vallée de la Tchouï est rattachée à l’Empire russe. En 1863, les Russes installent une garnison à l’ouest du lac Issyk Kul, afin de prévenir tout coup de force possible du khanat ou de la Chine. En 1864, l’espace kirghize à l’exception de la vallée de Ferghana et des monts Altaï est en totalité passé dans l’orbite russe. Le 10 septembre 1875, l’armée russe, menée par le colonel Skobelev, s’empare d’Osh après de durs combats. Le 18 février 1876, par un décret du tsar, le khanat de Kokand est dissout et incorporé au Gouvernorat général du Turkestan.

Général Mikhail Skobelev © Asetta - shutterstock.com.jpg

1916

La dernière révolte

La mobilisation du 25 juin a été le facteur immédiat qui a déclenché la révolte de 1916, ayant progressivement embrasé toute l’Asie centrale. Partie des environs de Khodjent, la révolte s’est ensuite rapidement propagée à l’ensemble de la vallée de Ferghana, au bassin de Tachkent et à la région de Samarkand. En août, les steppes kazakhes et les montagnes kirghizes sont à leur tour gagnées par la révolte. À partir du 20 août, la répression, menée depuis Pichpek et Prjevalsk, vient à bout du soulèvement. Courant septembre et octobre, les vallées sont pacifiées et les foyers de révolte ne se maintiennent plus que dans des zones isolées de hautes montagnes. Les révoltes ont, à certains endroits, perduré jusqu’à la fin des années 1920, alors diluées dans l’agitation révolutionnaire ou la guérilla basmatchi.

1936

Création de la RSS de Kirghizie

La naissance de l’URSS entraîne l’apparition des Républiques socialistes soviétiques (RSS) d’Asie centrale : l’Ouzbékistan et le Turkménistan en 1924, le Tadjikistan en 1929, et enfin le Kazakhstan et le Kirghizistan en 1936. La vallée de Ferghana, ultime base du mouvement de révolte contre les Soviétiques depuis 1925, représentait la dernière menace sérieuse pour Staline. Pour endiguer la guérilla, il fallait appliquer le concept de « délimitation nationale » à la vallée. Un dépeçage territorial entre les actuels Ouzbékistan, Tadjikistan et Kirghizistan a donc été effectué par Moscou dans la vallée en coordination avec les partis communistes afin de briser les sentiments locaux et supranationaux. Ces modifications territoriales n’ont pas été sans entraîner le mécontentement des républiques voisines, du fait de leur aberration. De nouveaux problèmes spécifiques à la vallée sont dès lors apparus, aiguisés par l’ajout des régions de Djalalabad, Osh, Kyzyl-Kyia et Batken, majoritairement ouzbeks, au territoire kirghize. Par ce savant découpage de la vallée, Staline est parvenu à briser la force des mouvements basmatchis au tournant des années 1930, après plus de dix ans de guérilla.

1930-1950

Les purges staliniennes

Les purges staliniennes des années 1930-1950 ont représenté une rupture radicale dans l’histoire de l’Asie centrale et plus particulièrement dans l’histoire des Kirghizes. Les purges ont accompagné la collectivisation et la sédentarisation forcée des peuples nomades d’Asie centrale. Elles ont également touché les personnels politiques et les intellectuels des différentes RSS. En 1937-1938, les fondateurs de la RSS kirghize ont, pour la plupart, été fusillés à la suite de faux procès. Ainsi, les « Trente », parmi lesquels figuraient Sydykov, Tynystanov, Aidarbekov, Abdrakhmanov et Orozbekov, ont été accusés d’appartenir à un parti politique d’opposition qui faisait soi-disant l’apologie du pantouranisme, et ont été fusillés après un procès expéditif en 1938. Sur proposition de l’écrivain kirghize Tchingiz Aïtmatov, dont le père faisait partie des victimes, une cérémonie commémorative a eu lieu le 30 août 1991, au cours de laquelle, le lieu de l’enterrement a été immortalisé par un complexe commémoratif, appelé « Ata-Beiit ». Les purges devaient laisser la place à un personnel politique nouveau, forgé dans le moule de l’État-Nation, ce qui adviendra vingt ans plus tard avec l’arrivée d’Iskhak Razzakov, comme Premier Secrétaire général du PCK (1950-1961).

1985-1991

Le souffle de la démocratie

Au-delà des bouleversements politiques, économiques et culturels qu’elle a engendrés, la perestroïka a servi de période d’apprentissage de la libre autogestion de l’Etat-Nation au peuple kirghize. Les Kirghizes ont profité de cette courte période pour s’affranchir des liens avec Moscou et apprendre à s’administrer eux-mêmes au sein des frontières soviétiques de leur Etat-Nation. Cependant, l’extrême brièveté de cette période n’a pas permis aux Kirghizes de préparer suffisamment leur indépendance ni de s’intégrer dans la communauté internationale. Plusieurs courants politiques émergent, déterminés par la position à adopter envers Moscou, courants qui se sont par la suite affrontés bien au-delà de l’indépendance, puisqu’ils trouvent toujours leurs marques actuellement dans l’échiquier politique kirghize actuel et qu’entre-temps, ils se sont cristallisés sur des bases tribales. Victoire de la mouvance « radicale », le remplacement du russe par le kirghize en tant qu’unique langue officielle en septembre 1989 a été l’un des catalyseurs, avec la dégradation des conditions économiques, du départ des minorités ethniques européennes et de l’avivement des tensions dans la vallée de Ferghana. À Osh, la minorité ouzbèke s’est violemment opposée à la venue de jeunes Kirghizes des montagnes et le sang a coulé en juin 1990. Les violences intercommunautaires auraient fait en une semaine dans la région d’Osh et d’Ouzgen entre 200 et 2 000 victimes selon les sources.

1991 - 2000

La Kirghizie indépendante

Le premier mandat du président Akaev a été caractérisé par l’euphorie de l’indépendance. La carte « kirghize » était alors mise en avant, mais dans le seul but tactique de freiner les ardeurs extrémistes des nationalistes. Les minorités nationales avaient toutefois l’impression d’être exclues des rouages du pays, malgré l’accueil plutôt favorable de l’indépendance. Ceci dit, l’éventail des partis politiques et l’indépendance des médias ont maintenu un droit de parole à ces minorités à travers les mouvements politiques et les centres culturels. Tous songeaient à bâtir leur nouvel État-Nation, en reléguant au second plan leurs particularités régionales et tribales. C’était la période des rêves et des projets les plus audacieux, financés par de nombreux crédits internationaux. Réélu en 1995, Akaev présidentialise son régime en gouvernant par décrets et outrepassant ainsi les avis du Parlement, puis il renforce ses pouvoirs dans la Constitution de 1993, amendée de surcroît en sa faveur en octobre 1994, puis en 1998. Les chefs de l’opposition commencent à être arrêtés et la presse connaît ses premières tentatives de musellement. La politique intérieure kirghize tend alors à se rapprocher de ce qui peut être observé dans les pays voisins d’Asie centrale.

2000 - 2005

Sortie de pouvoir par la rue

En 2000, Azkar Akaev remporte les nouvelles élections présidentielles après de nombreuses fraudes électorales dénoncées par l’OSCE. Son second mandat voit l’assise de son pouvoir se rétrécir en prenant une forme tribale. La crise économique et sociale, la progression de la corruption et du népotisme, suscitent un large mécontentement au sein de la population, toutes ethnies confondues. Les événements de mars 2005, qualifiés de « Révolution des Tulipes » en Occident, n’étaient de fait qu’un coup de force des représentants du Sud du pays, pour reprendre le pouvoir politique et le contrôle des circuits économiques, trop longtemps restés, selon eux, aux mains des tribus issues du nord de la République.

2005-2010

Le raidissement du pouvoir avec Bakiev

Kourmanbek Bakiev, une des têtes des événements de mars 2005, est un pur produit du système soviétique. Son élection en mars 2005 va pourtant aboutir non pas aux réformes promises, mais à un renforcement du pouvoir et une personnalisation du régime. Les ministères et les administrations sont épurés des hommes du Nord de la république, tandis que l’opposition sociale-démocrate est, au sens littéral du terme, liquidée. Le 7 avril 2010, huit mois après la réélection de Kurmanbek Bakiev, de graves émeutes éclatent à Bichkek, témoignant de la tension sociale exacerbée qui sévit dans le pays. Privé du soutien des Moscovites, qui voient d’un bon œil le retour de leurs amis du Nord, Bakiev se réfugie dans son fief de Djalalabad.

2010 – aujourd’hui

Un lent retour à la normale

Une année de reconstruction pour le Kirghizistan : une nouvelle Constitution et des élections législatives marquent les temps forts de la politique intérieure jusqu’à l’élection présidentielle d’octobre 2011 qui fait de Almazbek Atambaïev, un homme du Nord, le quatrième président du Kirghizistan indépendant, et le premier à accéder au pouvoir sans violence. Mais le pays retourne vite à ses vieux démons : le Premier ministre d’Atambaïev, Sooronbay Jeenbekov, homme du Sud, remporte les élections présidentielles de 2017 et fait emprisonner son ancien président. Rapidement renversé à son tour par le Parlement, il est remplacé en octobre 2020 par un nouveau président par interim, Sadyr Japarov, qui sera élu dans les formes quelques mois plus tard, en janvier 2021. Japarov modifie la Constitution pour faire du Kirghizistan un régime présidentiel, à l'instar de tous ses voisins d'Asie centrale.

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