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L’importance des mahalla

La mahalla désigne le quartier, c’est-à-dire le premier maillon de l’organisation sociale en Ouzbékistan. Chaque mahalla a son conseil de sages, son otin (équivalent du mollah pour les femmes). Toutes les villes et tous les villages sont découpés en mahalla où chacun a le sentiment d’appartenir à une « grande famille ». Les conseils de quartier de chaque mahalla se réunissent plusieurs fois par mois dans les tchaïkhanas pour évoquer les problèmes communs, échanger des nouvelles ou discuter de choses et d’autres. Ces réunions permettent de tisser un lien particulièrement fort entre les individus d’un même quartier ou, au bout du compte, chacun finit par devoir un service à l’autre, et chacun finit par trouver l’aide dont il a besoin. C’est très précisément ce système d’entraide qui a permis à la société ouzbek de survivre à l’ère Karimov. D’après les informations présidentielles de l’époque, le pays ne souffrait ni d’inflation, ni de criminalité, ni de chômage, ni de VIH… Face à cette version officielle niant l’état de la société, c’est le soutien clanique, familial ou de quartier qui a permis aux uns et aux autres de s’en sortir sans finir à la rue. Mais attention, l’entraide n’est pas que désintéressée, et chaque service rendu appelle un service en retour.

Le legs soviétique

L’Ouzbékistan, et en particulier Tachkent, a toujours été le « chouchou » de Moscou à l’époque des Républiques socialistes soviétiques. Et le pays était, à l’indépendance, particulièrement bien équipé en aéroports, hôpitaux, écoles et universités par rapport à ses voisins restés beaucoup plus ruraux. Malheureusement, si matériellement le legs est resté acquis à l’Ouzbékistan, ceux qui faisaient tourner la machine étaient essentiellement des Russes, qui rentrèrent pour la plupart au pays dès le début des années 1990, laissant à des Ouzbeks non formés et à un pays en crise, les commandes de tous ces équipements qui, faute de politique véritablement constructive en la matière, périclitèrent rapidement. C’est l’un des défis que devra relever le président Mirziyoyev : moderniser ou remplacer des équipements désormais obsolètes dans les structures publiques, et former des ingénieurs et techniciens capables de gérer les nouveaux.

Une éducation à deux vitesses

L’éducation pour tous fut un des grands acquis des Ouzbeks pendant la période soviétique. Garçons et filles, sur les mêmes bancs de l’école, ont pendant des générations bénéficié d’un bon niveau d'éducation. Même si les temps ont changé et que le niveau a malheureusement chuté (les meilleures écoles, payantes, ne sont pas accessibles au plus grand nombre), le taux d'alphabétisation du pays reste de 99 %. À l’école, les élèves sont divisés en plusieurs groupes : groupe russe, groupe ouzbek et groupe mixte. Il existe également quelques écoles locales destinées à accueillir les enfants des ethnies minoritaires, en particulier tadjikes, mais aussi kazakhes ou coréennes. Si, officiellement, l’égalité est de mise entre ces groupes, la réalité est tout autre puisque les écoles mixtes ouzbek-russe sont les plus cotées, mais cette transition est néanmoins nécessaire étant donné la réapparition de l’ouzbek en tant que langue nationale après des décennies d’usage du russe.

L’école secondaire est gratuite et obligatoire de 6 à 15 ans, âge auquel les élèves obtiennent un diplôme équivalent à notre BEPC. Suivent trois années menant au baccalauréat, pour achever le cursus secondaire. Les élèves choisissent ensuite entre le collège professionnel et l'université.

Un État impliqué

Il existe une aide de l'État pour le financement des études. Chaque élève reçoit des fournitures scolaires. Les étudiants ont droit à une bourse d'État qui est la même pour tous au début du cursus. Le montant varie ensuite en fonction des résultats scolaires.

Dans les zones reculées, les montagnes ou le désert, l’accès à l’éducation est évidemment plus limité. Si les écoles sont bien présentes, le besoin en main-d’œuvre des parents qui travaillent dans des fermes les obligent bien souvent à sacrifier l’éducation de leurs enfants. Les universités de Tachkent et de Samarkand, ainsi que celle, dans une moindre mesure, de Ferghana, proposent un large choix de filières à leurs étudiants. Les locaux datent souvent de la période soviétique, et une certaine ambiance de cette époque continue parfois à s’y attarder, même si les couloirs ont été repeints aux couleurs du drapeau national.

Un cadre familial strict

L’appartenance à un clan est un élément déterminant de la société en Asie centrale. En Ouzbékistan, le clan est familial – il dépend aussi de la mahalla, le quartier d’où l’on vient – et religieux. Les confréries soufies y sont toujours restées très puissantes. Le sens de la famille n’est pas un vain mot en Ouzbékistan. Dans la mesure où il n’existe pas de structures d’accueil pour les personnes âgées, celles-ci vieillissent et meurent généralement chez elles, en compagnie de leurs enfants. Selon la tradition, c’est le fils cadet qui a la charge de rester avec ses parents, d’habiter avec eux et de prendre soin de leurs personnes sur leurs vieux jours. Il reprend fréquemment l’activité de son père, lorsque cela est possible. Le fils aîné est celui à qui il incombe de faire des études et une carrière, pour permettre au clan familial de s’élever dans la société, souvent grâce à la politique maritale. Jusqu’au dernier jour, les plus vieux membres de la famille sont aimés et leurs avis écoutés. Ce même respect des « anciens » se retrouve aussi dans la vie de tous les jours, dans l’organisation de la vie de quartier autour des conseils d’aksakals (littéralement « barbe blanche »). Ceux-ci sont un maillon essentiel de la vie sociale en Ouzbékistan, comme ailleurs en Asie centrale. Et si les Soviétiques ont tenté d’y mettre fin via les moyens modernes de l’administration et de la nomination de maires, les avis des aksakals sont encore presque partout respectés à la lettre.

Des rites encore très codifiés

Vous verrez sans doute, dans les lieux les plus emblématiques du pays, de très nombreux couples de mariés venus se faire photographier devant des monuments historiques, parcs ou bâtiments emblématiques d’une ville... Le mariage reste très répandu en Ouzbékistan, et rares sont ceux qui restent célibataires. La femme évidemment reste vierge jusqu’au mariage et celui-ci est souvent arrangé, bien que les habitudes commencent à évoluer à Tachkent. Par ailleurs, le divorce étant légal, on relève un nombre important de ces mariages arrangés qui, rapidement, sont un échec. Les mariages arrangés sont des alliances familiales préparées de longue date, où le statut social et l’appartenance à un clan sont des éléments déterminants, tandis que l’âge des époux et leurs traits de caractère sont des critères de choix assez secondaires. L’homme est censé subvenir aux besoins matériels de toutes ses femmes et de ses enfants, et un mariage coûte cher. C’est à la mère du fiancé qu’incombe la recherche d’une fiancée. Plusieurs visites codifiées entre beaux-parents et futurs fiancés ont lieu avant la cérémonie. Le mariage est l’occasion de toutes les festivités appelées toï. Elles constituent le plus intense lien social de la communauté. Toute la mahalla, ou village, est invitée à partager les fastes du repas, les chants et les danses. Et les invités étrangers sont toujours les bienvenus. La famille du fiancé se charge en général du repas de fête, les parents de la fiancée, de l’ameublement de la nouvelle maison. Un mariage coûte cher, et les parents commencent à économiser dès la naissance de leur enfant afin que la cérémonie s’accompagne de tout le faste qui convient. Le mariage est célébré en présence du mollah et de l’otin du quartier, où les habits traditionnels sont de rigueur. Il est suivi d’un mariage civil pour lequel la mariée est vêtue d’une robe blanche à l’occidentale. Il est fréquent de voir passer les convois de mariage près des quelques points où les mariés aiment se faire prendre en photo, le plus souvent près des statues de Tamerlan. Les cérémonies de mariage sont un exemple frappant de la capacité d’un peuple travailleur à s’amuser et à faire la fête. On mange, on rit, on danse pour profiter de la moindre seconde de l’événement. Seuls les mariés eux-mêmes semblent ne pas être à la fête. Si la mariée vous semble indisposée, n’en soyez pas étonné. Elle est tenue de ne pas sourire pendant toute la durée du mariage. Son mari a un peu plus de liberté, mais reste aussi très réservé. Ils mangent peu et dansent rarement, ou alors seulement à la fin de la fête. Pendant les jours suivants, la mariée étalera dans une pièce son trousseau : toutes les robes qui lui ont été faites ou offertes. Les suzani sont également une part importante de la dot de la mariée : ils témoignent non seulement de son habileté à la couture et à la broderie, mais également, en fonction des tissus, de la richesse de sa famille. Les jeunes époux devront ensuite respecter la règle chilla : pendant une durée de 40 jours, la femme ne devra pas sortir de chez elle et l'homme devra être rentré avant la tombée de la nuit.

La difficile place de la femme

Comme dans tous les pays musulmans, la place de la femme n’est pas la plus enviable. Mais en Ouzbékistan elle a le mérite d’exister et d’être à certains égards plus large qu’ailleurs. Si vous êtes accueilli chez des Ouzbeks, il se peut, la plupart du temps, que la femme reste dans la cuisine et assure le service sans même vous avoir été présentée. Mais dans de nombreuses familles vous aurez la chance de la voir présente tout au long du repas, et parfois même assise autour de la table discutant avec les invités. C’est le résultat de la politique communiste qui, pendant des années, a tenté d’imposer cette égalité des sexes dans le cadre de sa lutte contre l’islam.

Il n’en reste pas moins que les femmes subissent de plein fouet le changement de société qui s’opère depuis la chute de l’URSS et le retour de l’islam. Les plus surprises étant évidemment celles qui ont vécu dans des grandes villes et reçu une éducation supérieure. Pour elles, le mariage aboutit parfois à un total changement de mode de vie. La femme mariée ne sort pas seule – et encore moins avec des amis masculins –, elle travaille si son mari est d’accord, et doit tenir compte de son avis pour ses tenues vestimentaires… Nombreuses sont celles qui ne peuvent accepter de se retrouver au bas de l’échelle sociale et familiale. D’autant que la maison, lorsque le mari n’est pas là, n’est pas forcément leur domaine. La femme vit souvent avec sa belle-famille, et pour peu qu’elle n’ait pas de descendance mâle, elle héritera des travaux les plus ingrats, la belle-mère étant son chef direct. Parmi les rôles qui lui sont en tout état de cause dévolus, elle transmet la tradition, mais uniquement dans le cadre familial. Quant aux otin de quartier, elles sont très respectées, et il n’est pas rare que des hommes viennent prendre conseil auprès d’elles.