La musique et les danses traditionnelles
Les traditions musicales sont comme les paysages, elles varient selon les régions et sculptent leur identité. Par exemple, en Pologne, dans le centre, la région très peuplée de Mazovie et Varsovie, on trouve des danses comme la chodzony, plus connue en France en tant que « polonaise ». Cette danse de couple calme et solennelle s’apparente à une pavane et se distingue par sa structure en trois temps et ses déplacements en ligne droite. C’est dans cette même aire centrale que se situe le berceau originel de la légendaire mazurka, popularisée par les plus grands (dont Chopin). D’origine paysanne, son rythme marqué et son tempo vif seraient calqués sur ceux du labeur. Très en vogue dans les salons européens au XIXe siècle, la mazurka fut un des piliers du répertoire des danses de société de l’époque. Vraie région de danse, on trouve ici aussi la dyny qui ressemble à la contredanse et voit quatre couples debout dans un carré tenter de suivre un tempo qui s’accélère jusqu’à l’impossible, la kujawiak, dérivée de mazurka sereine et syncopée où des couples tournent autour d'un cercle et tapent doucement des pieds de temps en temps, ainsi que l’oberek, dont le nom vient du verbe polonais signifiant « tourner » puisqu’elle consiste en des pas rapides et des tours constants. C’est d’ailleurs la plus rapide des cinq danses nationales polonaises.
En parlant de danses nationales, une des plus populaires, aux côtés de la mazurka, est la cracovienne, ou krakowiak en polonais. Elle est, comme son nom l’indique, la grande spécialité de la région de Cracovie. Danse rapide et syncopée à deux temps, la cracovienne imite les mimiques du cheval – animal très apprécié de la région. Avec le temps, la tenue traditionnelle portée durant le krakowiak est devenue le costume national de la Pologne, surtout le rogatywka, chapeau asymétrique et pointu. Depuis l’intégration d’un krakowiak dans Une vie pour le tsar (1836) de Mikhaïl Glinka, l’air est devenu un symbole de la culture polonaise dans le monde de l’ex-Union soviétique.
Autre tradition cracovienne beaucoup plus connue – et courue des voyageurs : le hejnał. Cet appel musical joué toutes les heures au cor ou à la trompette du haut de la tour la plus haute de l’église de Notre-Dame est un rituel, souvenir des invasions tatares au XIIIe siècle.
Dans le nord du pays, dans la région de Wielkopolska (Grande-Pologne), la grande danse locale se nomme le wiwat. Exécutée en couple et en marchant, courant ou tournant, avec des petits pas rapides, les danseurs se tiennent par les mains, les épaules ou la taille.
Dans la région montagneuse très touristique de Podhale, on trouve des traditions encore très vivantes comme les danses à deux temps krzesany ou le zbójnicki (la danse du brigand). Le krzesany est une danse extrêmement rapide et acrobatique généralement pratiquée une hache de berger en main et reconnaissable à ses claquements de talons en plein vol. Le zbójnicki est, quant à lui, perçu comme étant la pratique la plus typique de Podhale, une danse guerrière très masculine et très mise en scène, figurant un combat notamment avec des voleurs (d’où le nom).
Enfin, tout au sud, dans le massif montagneux des Tatras, résonnent des polyphonies, comme le góralska muzyka et des airs de bergers tandis que plus à l’ouest, dans la région de Rzeszow, la communauté juive joue traditionnellement une musique de cymbaly (instrument à cordes frappées).
C’est grâce à la collecte ethnomusicologique entreprise par Oskar Kolberg au XIXe siècle (à peu près au même moment que dans tous les anciens pays de l’Union soviétique) que cette matière folklorique a pu être préservée et transmise. Son ouvrage Lud compile les traditions de toutes les régions polonaises en 33 volumes et quelque 12 000 chansons populaires.
Autre vecteur de préservation et transmission, Mazowsze, qui est le Chœur-ballet et orchestre national de chants et danses populaires de Pologne, où des troupes comme Słowianki ont permis aux esthétiques folkloriques de rester une pratique vivante. Toujours populaire, génération après génération, la musique traditionnelle polonaise a, au début des années 2000, même retrouvé le vent en poupe grâce à des groupes comme Golec uOrkiestra ou Brathanki qui lui ont donné un relecture moderne et voyageuse.
Hormis ces quelques groupes, le meilleur moyen d’aller à la rencontre du folklore local est de se rendre au festival Folk de la radio « Nowa Tradycja », le plus important festival de musique folklorique du pays. Autrement, aux pieds des Tatras, à Zakopane, est organisé chaque année à la fin du mois d’août le festival international du Folklore des montagnes (Międzynarodowy Festiwal Folkloru Ziem Górskich) où des troupes venant du monde entier se réunissent pour partager leurs traditions, danses et musiques.
La musique classique
De l’avis des mélomanes, la Pologne, c’est Chopin. Compositeur et pianiste lumineux sur lequel il convient de s’attarder longuement, Chopin constitue un tournant dans la musique polonaise. Il y a un après mais aussi un avant-Chopin. Et cet avant, justement, est loin d’être inintéressant.
Durant le XVIe siècle, Cracovie est l’épicentre de la musique polonaise puisque c’est ici que sont basés (ou originaires) les compositeurs qui mènent l'innovation musicale du siècle d’or de la Pologne : Wacław z Szamotuł, Nicolaus Cracoviensis, Marcin Leopolita et Mikołaj Gomółka.
Au XVIIe siècle, la Pologne est traversée, à l’instar de nombreux pays, par le courant baroque. Les compositeurs les plus célèbres de cette période sont Adam Jarzębski (1590-1648), surtout connu pour ses œuvres instrumentales (Chromatica, Tamburetta, Sentinella, Bentrovata et Nova Casa) et Grzegorz Gerwazy Gorczycki (1667-1734). Ce dernier est la figure emblématique du baroque polonais, flamboyant de technicité, la rumeur racontant même qu’on le surnomma le « Haendel polonais » de son vivant.
C’est évidemment durant la période romantique que s’illustre le plus grand compositeur polonais de l’histoire : Fréderic Chopin (1810-1849). Musicien emblématique du romantisme de son temps, Chopin symbolise à la fois la création artistique polonaise dans sa perfection, ainsi que le rapprochement franco-polonais, puisque le génial compositeur a passé de nombreuses années de sa courte vie à Paris (il est mort à 39 ans), côtoyant entre autres George Sand avec laquelle il vivra une histoire amoureuse de neuf ans. Pianiste virtuose, Chopin a su puiser dans le répertoire folklorique polonais (mazurkas, polonaises) une inspiration qui l’amena à créer parmi les plus grandes œuvres de la musique européenne. À Varsovie, on porte toujours un véritable culte à Chopin à travers les cycles de concerts, le prestigieux concours de piano et le musée Chopin flambant neuf qui lui est consacré.
Contemporains de cet esprit fabuleux, d’autres compositeurs talentueux, comme Stanisław Moniuszko (1819-1872), grand bienfaiteur de l’opéra en Pologne et dont les plus grandes œuvres sont les fameux Halka et Straszny Dwór, ou le brillant violoniste Henryk Wieniawski (1835-1880) – qui fut musicien du tsar à la cour de Saint-Pétersbourg – marquent également la musique polonaise mais restent un peu dans l’ombre de Chopin. Citons également le trop souvent oublié Karl Tausig (1841-1871), pianiste virtuose, élève favori du grand Franz Liszt que d’aucuns continuent de considérer comme le plus grand pianiste de tous les temps.
À la jonction entre les XIXe et XXe siècles émerge le mouvement « Jeune Pologne » associé à l’Art nouveau et qui, en musique, compose sous influence néoromantique, avec Strauss et Wagner en figures de proue. C’est de ce courant que se revendique Karol Szymanowski (1882-1937), compositeur et pianiste dont l’œuvre, large, se partage entre influences de Chopin, impressionnisme proche de Debussy et Ravel et enfin, plus tardivement, le folklore.
Au début du XXe siècle, la musique classique continue de rayonner en Pologne, principalement autour de la figure superbe et charmante d’Arthur Rubinstein (1886-1982). Natif de Łódź, ce pianiste synonyme d’une interprétation parfaite de Chopin fut l’un des plus aimés de ses pairs (et des mélomanes). Érudit, bon vivant, sympathique, Arthur Rubinstein laisse derrière ses 6 000 concerts et quelque 80 années de scène, l’image d’un géant de son instrument. Moins connu que ce virtuose s’en cache un autre qui ne l’était pas moins : Ignaz Friedman (1882-1948). Ses interprétations étaient stupéfiantes de technicité, à tel point que Rachmaninoff ou Horowitz n’ont jamais tari d’éloges à son sujet. Il faut écouter ses interprétations des Mazurkas de Chopin pour prendre la pleine mesure de la force de son jeu.
Après la Seconde Guerre mondiale, apparaît une autre figure importante : Witold Lutosławski (1913-1994). Considéré comme l’autre plus grand compositeur polonais après Chopin, Lutosławski a particulièrement œuvré à l’épanouissement des esthétiques contemporaines et s’est engagé dans le dodécaphonisme, le sérialisme ou la musique aléatoire tout en préservant les harmoniques traditionnelles. Il est aussi connu pour être le cofondateur du festival d’Automne de Varsovie, devenu tout bonnement le plus important événement polonais consacré à la musique contemporaine.
Impossible d’aborder la musique contemporaine polonaise sans mentionner ses deux plus illustres ressortissants. D’abord Krzysztof Penderecki (1933-2020) qui, au travers d’une œuvre considérable – une centaine de pièces traversant musiques vocale, orchestrale, de chambre et sacrée – souvent comparée à celles de Iannis Xenakis ou de György Ligeti a sculpté une esthétique puissante, riche d’effets oscillant entre l’avant-garde et enfin quelque chose de plus néotonale et postromantique. Puis ensuite Henryk Górecki (1933-2010), évidemment. Sérialiste, minimaliste, souvent comparé à Arvo Pärt, Górecki a produit une œuvre complexe, souvent contemplative, dont la notoriété doit essentiellement au succès de sa Symphonie n° 3.
Le pays compte quelques ensembles notables comme l’Orchestre symphonique de la radio polonaise, un des plus prestigieux du pays, installé à Katowice, la Philharmonie de Cracovie, dont Krzysztof Penderecki fut un des chefs d’orchestre titulaires, ou encore la Sinfonia Varsovia qui se produit très régulièrement en France.
Parmi les rendez-vous très courus dans le pays, citons, à Varsovie, le Concours international de violoncelle Witold Lutosławski, ainsi que le festival d’Été de la Nouvelle Ville.
À Cracovie, la ville est rythmée par le festival de Musique polonaise, où participent les meilleurs compositeurs dans le domaine du classique ainsi que les festivals Misteria Paschalia, l’un des rendez-vous de musique ancienne les plus réputés et connus d’Europe, et Sacrum Profanum, événement de musique sacrée et profane qui rassemble des artistes de renommée locale, nationale et internationale.
Le jazz
Le jazz est un vrai plaisir polonais. Le genre débarque dans le pays immédiatement après la Première Guerre mondiale avec la fondation en 1923 de The Karasiński & Kataszek Band. Mais c’est vraiment après 1945 que le jazz prend un son essor dans le pays. Alors sous le joug de la Russie stalinienne – régime peu friand des formes d’expression venant des États-Unis –, la Pologne voit sa scène jazz prospérer en toute clandestinité. C’est l’époque dite des « catacombes », le début de l’âge d’or du jazz polonais.
C’est à cette période qu’émerge le groupe pionnier du jazz polonais, Melomani, dont faisait partie l’hypercélèbre Krzysztof Komeda. Si le grand public le connaît pour ses bandes originales de films de Polanski, il a également été une figure essentielle de l’avant-garde jazz polonaise et a eu un impact durable sur le genre dans le pays, notamment sur Tomasz Stańko, trompettiste virtuose polonais, figure majeure du free jazz et de l'improvisation mondiale qui publie fréquemment ses œuvres sur le label de référence ECM. Proche collaborateur de Stańko, le violoniste Zbigniew Seifert est le grand nom cracovien du jazz et une voix majeure de sa discipline en Europe. Marquée par la brièveté de sa vie – Seifert disparaît à 32 ans –, la carrière de cet enfant du jazz de Coltrane raconte l'un des improvisateurs les plus sophistiqués que le violon ait connu.
De près ou de loin, tous ces grands du jazz ont eu un impact sur la génération actuelle de jazzmen, dont les figures sont Włodek Pawlik, Adam Makowicz, Leszek Możdżer et Michał Urbaniak.
Tout amoureux de jazz le sait déjà : Cracovie est une grande capitale européenne du genre. La ville ne manque pas d’adresses pour profiter d’un bon concert, à commencer par le club de jazz le plus connu de la ville, Piec Art Acoustic Jazz Club, salle voûtée en pierre typique de la ville, réputée pour son acoustique excellente. Aussi installé dans une cave et tout autant réputé, le Harris Piano Jazz Bar se distingue non seulement par sa programmation mais aussi par son éclairage à la bougie lui donnant une atmosphère intimiste unique. On trouvera également une atmosphère intime au Jazz Club U Muniaka situé, encore une fois dans une cave (du XIVe siècle celle-ci), et souvent considéré comme la salle de jazz par excellence de Cracovie. Plus fantasque, citons également Piwnica Pod Baranami, bar à bières au décor étonnant proposant des spectacles de cabaret les samedis soir et des concerts jazz le jeudi.
Outre ses scènes, la ville propose aussi de nombreux rendez-vous dédiés qui contribuent à faire de Cracovie ce centre névralgique du jazz. Parmi eux : Jazz à Cracovie, dizaine de jours de concerts de jazz dans différents endroits de la ville, le festival d’été de jazz, qui se déroule dans les caves de la brasserie Piwnica pod Baranami mentionnée plus haut, le Krakow Jazz Autumn, série de concerts dans le club Alchemia de Kazimierz, la nuit du jazz, en plein air et dans les musées durant l’équivalent local de la Nuit des musées, ou encore, et surtout, le Zaduszki Jazzowe, tout bonnement le plus vieux festival de jazz en Europe.
Si Cracovie concentre une bonne partie de l’offre polonaise en matière de jazz, Varsovie n’est pas en reste. À citer : quelques événements comme le Warsaw Summer Jazz Days, des concerts en plein air notamment sur la place Zamkowy, Jazz Jamboree, lui aussi un des plus anciens festivals de jazz en Europe, ou encore Jazz in the Old Town.
Les musiques actuelles
Si la scène polonaise de musiques actuelles traverse difficilement les frontières nationales, quelques-uns de ses acteurs ont acquis une notoriété à l’internationale comme Hania Rani ou Wacław Zimpel. La première est une pianiste fabuleuse installée entre classique contemporain et musique électronique tandis que le second est un clarinettiste d’avant-garde. À l’instar de ces deux-là, nombreux sont les musiciens du pays friands d’expérimentations qui commencent à acquérir une réputation dans le domaine. Ces derniers se produisent souvent à l’incroyable festival Unsound de Cracovie qui se décrit lui-même ainsi : « Unsound se concentre sur un large éventail de musiques contemporaines – émergentes, expérimentales et marginales – hors des codes et sentiers battus. » Un festival parmi les plus réputés, regardés et attendus du genre offrant à Cracovie (et la Pologne) une place à part dans la géographie de la musique contemporaine.