Découvrez Taïwan : A l'écran (Cinéma / TV)

Vu de France, le cinéma taïwanais a donné au septième art trois de ses représentants les plus adulés. Alors qui sont-ils ? Edward Yang, Hou Hsiao-hsien et Tsai Ming-Liang. Un bémol à cette adulation, elle concerne majoritairement le circuit des festivals et la critique spécialisée. Ils sont même chouchoutés par la production française, puisque les deux derniers ont été invités à tourner des films hommages à ces institutions que sont le Musée d'Orsay et le Musée du Louvre, respectivement Le voyage du Ballon Rouge (2008), qui se double d'un autre hommage au classique du film pour enfant d'Albert Lamorisse et Visage (2009), où des icônes de la Nouvelle Vague comme Jean-Pierre Léaud ou Fanny Ardant croisent le chemin de Lee Kang-sheng, l'acteur fétiche de Tsai Ming-Liang. On ne fera pas l'injure à Ang Lee, réalisateur moins hermétique, de l'oublier. Mais le cinéma taïwanais se résume-t-il à ces quatre figures ?

Des voix multiples

L'invention du cinéma coïncide à peu près avec la cession de Taïwan au Japon qui y importe non seulement ses films, mais aussi la tradition du benshi. À l'époque du cinéma muet, le benshi est celui qui est chargé de raconter l'histoire aux spectateurs, d'en éclairer le sens, de donner voix aux différents personnages. Les benzi (version taïwanaise), bien qu'extérieurs aux films, sont les premières vedettes du cinéma à Taïwan. On leur prête parfois un rôle subversif par rapport au pouvoir colonial japonais ainsi que la faculté de pouvoir décider du genre d'un film selon leurs commentaires. March of Happiness (Lin Cheng-sheng, 1999) redonne vie à l'un d'entre eux dans un rôle secondaire, le célèbre Zhan Tian-ma, fondateur de la Tianma Tea House. La pratique se poursuit bien après l'arrivée du parlant dans un pays où les importations étrangères dominent longtemps et où une partie de la population demeure largement illettrée. Legs conscient ou inconscient, le mélange d'interviews et de fiction du Maître de marionnettes (Hou Hsiao-hsien, 1993) qui retrace un demi-siècle d'occupation japonaise à travers l'histoire d'un célèbre marionnettiste, ou plus récemment The Great Buddha (Hsin-yao Huang, 2017) où le réalisateur vient commenter fréquemment l'action, semblent faire écho à cette particularité. The Man Who Has A Camera (Naou Liu, 1933) l'un des premiers films taïwanais qui ait été conservé, en met une autre en lumière : carnet de voyage à travers quatre villes de l'Est asiatique, Canton, Shenyang, Tokyo et Tainan à Taïwan, il incarne le caractère transnational de l'île, son aspect de creuset qui résiste aux tentatives assimilationnistes du Japon puis du gouvernement nationaliste de l'après-guerre. Celui-ci n'empêche pas un cinéma de dialecte local de prospérer dans les années 1960, en parallèle d'un cinéma officiel et doctrinaire, subventionné par l'État. Cette doctrine, c'est le « Réalisme sain », qui vante tout à la fois des valeurs confucéennes, les progrès de la modernisation sous la houlette d'un gouvernement paternel et un cadre bucolique dont la représentation s'inspire de la peinture chinoise. Les deux exemples les plus célèbres sont signés Lee Hsing, Oyster Girl (1964) qui fait la part belle aux paysages côtiers, puis Beautiful Duckling (1965), mélodrame de la filiation située dans une ferme à canards. Quant au cinéma en dialecte local, souvent fauché et artisanal, mal peigné et beaucoup plus libre, une rétrospective de la cinémathèque française, « Le cinéma de (mauvais) genre taïwanais », s'est chargée d'en exhumer quelques-uns des fleurons. Peu de temps après, deux des plus grands classiques du wu xia pian, le film de sabre chinois, sont tournés à Taïwan par King Hu, le grand maître du genre : Dragon Inn (1967), auquel Tsai Ming-Liang rendra un hommage austère avec Goodbye, Dragon Inn (2003), qui évoque la fermeture d'un cinéma décrépit, puis A Touch of Zen (1971) d'une renversante beauté formelle, dont les combats aériens ont lieu au milieu de forêts de bouleaux ou de bambous, que traversent d'éclatants rais de lumière.

Nouvelle cuisine

La concurrence du cinéma hongkongais qui connaît un boom au tournant des années 1980 incite le gouvernement, par l'entremise du Central Motion Picture Corporation, à soutenir de jeunes auteurs. C'est ce qu'on appelle le Nouveau Cinéma taïwanais. Parmi eux, Edward Yang, dont l'œuvre se situe essentiellement dans un Taipei en voie de modernisation accélérée. Son premier film, Ce jour-là sur la plage (1983) témoigne déjà d'une prédilection pour les films-fleuves et jouit, pour l'anecdote, de la présence de Christopher Doyle derrière la caméra, qui dut demander une autorisation spéciale et deviendra le directeur de la photo attitré de Wong Kar-wai. Taipei Story (1985) est le portrait mélancolique d'une ville et de ses états d'âme. Hou Hsiao-hsien, qui y joue le rôle principal, entame alors lui aussi une carrière qui lui vaudra la vénération de ses pairs et de la critique, d'abord avec une trilogie semi-autobiographique qui évoque l'enfance (Un été chez grand-père, 1984 ; Un temps pour vivre, un temps pour mourir, 1985), puis l'arrivée dans la capitale (Poussières dans le vent, 1986). De longs plans-séquence, une évocation en creux de l'histoire intime du pays, qu'il poursuit avec une nouvelle trilogie qui en élargit encore la perspective : La Cité des douleurs (1989) revient sur les relations difficiles entre immigrés chinois venus s'installer après la guerre et la population qui leur préexistait. C'est le même thème, mais à une époque différente qu'explore Edward Yang dans A Brighter Summer Day (1990), fresque de près de quatre heures sur des rivalités entre bandes d'adolescents qui achève d'en faire l'un des maîtres du cinéma contemporain. L'œuvre secrète et passionnante de Huang Ming-chuan, qui ne se revendique d'aucune école, n'a pas bénéficié d'un tel soutien critique : The Man from Island West évoque – rareté – les racines aborigènes de l'île, Bodo le passé autoritariste de l'île par le biais de l'allégorie mêlant violence et surréalisme. Un semblable désarroi caractérise les cinéastes de la seconde vague taïwanaise qui font leur apparition dans la foulée. Ang Lee, le membre le plus éminent, en offre une version enjouée dans sa trilogie dite de « Papa a raison » qui culmine avec Salé, Sucré (1994). Le conflit générationnel, le tiraillement entre valeurs traditionnelles et modernes y sont le nerf d'une guerre larvée, alors que Lee manifeste un tropisme américain qu'il mettra en pratique en poursuivant une carrière fructueuse à Hollywood. Plus hermétique, plus chic (?) le cinéma de Tsai Ming-Liang fait tomber en pâmoison critique et festivals, avec successivement Les Rebelles du Dieu Néon (1992) et Vive L'Amour (1994) où une jeunesse désœuvrée et déboussolée – Ming-Liang n'est arrivé à Taïwan qu'à vingt ans de Malaisie – et une Taipei interlope tiennent les premiers rôles.

Le démon du néon

Le cinéma, en butte au piratage et à la concurrence étrangère, connaît une crise profonde, ce qui n'empêche pas des réalisateurs de faire surface, comme Kuo-Fu Chen, auteur de Partagerait bonheur… (1998) qui suit les rendez-vous d'une jeune femme qui a réussi, sauf en amour, en quête d'un mari via les petites annonces, ou Lin Cheng-sheng qui fait figure de bon élève un peu appliqué avec un film comme Betelnut Beauty (2001), énième portrait d'un Taipei mélancolique et nocturne. Edward Yang, avant sa mort prématurée, inaugure le nouveau siècle avec ce qui est unanimement considéré comme son chef-d'œuvre, Yi Yi (2000), virtuose portrait intergénérationnel de la vie d'une famille de classe moyenne de Taipei. La même année, Ang Lee signe Tigre et dragon, qui remet le wu xia pian au goût du jour. Le cinéma de Hou Hsiaohsien tend toujours plus vers l'esthétisme pur avec Millenium Mambo (2001), qui vaut surtout pour le tableau envoûtant qu'il fait de Taipei et de ses néons. La tendance s'inverse avec Cape No. 7 (Wei Te-Sheng, 2008), qui reste à ce jour le plus grand succès d'un film taïwanais sur place et mélange mandarin, japonais, et dialecte min, faisant justice à la diversité culturelle de l'île, tout en suscitant des polémiques sur la place faite à l'influence – idéalisée – japonaise. Seediq Bale (2011), fresque épique du même réalisateur qui relate la rébellion d'une minorité indigène contre les japonais, noircit ce tableau. Pinoy Sunday (Wi Ding Ho, 2010) aborde un thème relativement inédit, celui de l'immigration, philippine en l'occurrence, et de leurs difficultés traitées sur le ton de la comédie, ce que fait aussi Midi Z. À l'heure où la production hongkongaise a connu une dramatique chute de qualité, Taïwan représente une sorte d'oasis. Des films grand public qui font preuve d'un savoir-faire qu'on hésiterait presque à qualifier d'américain, sont produits sans brio, mais avec ponctualité, comme la comédie romantique You Are the Apple of My Eye (Giddens Ko, 2011), le film de gangsters Monga (Doze Niu, 2010) qui se déroule dans les années 1980 aux dernières heures de la dictature, ou encore Kano (Chi Hsiang Ma, 2014), film de baseball qui suit une équipe de baseball médiocre, mais forcément appelée à se surpasser, et côtoient une tradition bien instituée de films d'auteur à l'aspect léché – parfois exagérément. Zero Chou en est un exemple parmi d'autres : Fleurs à la dérive (2008) entrelace avec délicatesse trois contes lesbiens.Hou Hsiao-hsien et Tsai Ming-Liang, ces figures tutélaires du cinéma taïwanais contemporain, continuent d'œuvrer avec plus ou moins de parcimonie, le dernier n'a pas réalisé de long-métrage depuis Chiens errants en 2013, où l'on retrouve sa prédilection pour les atmosphères de fin du monde et diluviennes, au cœur desquelles il place un père et deux enfants restés comme en rade du monde. Wawa No Cidal (Yu-Chieh Cheng et Lekal Sumi, 2015) raconte le retour à la terre d'une journaliste surmenée et met en scène l'affrontement classique entre le monde traditionnel d'antan, celui des Amis de Hualien en particulier, un autre peuple aborigène de l'île, et une modernité dévastatrice. Rizières et paysages côtiers s'y déclinent en visions enchanteresses tandis que Face à la nuit (Wi-ding Ho, 2019), un polar – forcément mélancolique – renoue avec les atmosphères nocturnes, pleines de néons, rendues célèbres par Christopher Doyle avec Wong Kar-wai et qu'affectionne tout particulièrement le cinéma asiatique. Le film documentaire se porte bien lui aussi, Small Talk (Hui-Chen Huang, 2016) et The Shepherds (Elvis Lu, 2018) explorent par exemple les liens entre religions – bouddhisme dans un cas, christianisme dans l'autre – et les luttes LGBT, sujet d'ailleurs de plus en plus fréquent et accepté, comme l'a montré Dear Ex (Mag Hsu & Hsu Chih-yen, 2018), où un père a choisi de laisser son héritage à son amant plutôt qu'à sa femme et son fils. Les conflits que cela crée, le cinéma se charge bien évidemment de les régler. Ces dernières années, quelques films taïwanais sont apparus sur des plates-formes comme Netflix. The falls (2022), Grand Prix du Jury au Festival International du Film de Taipei 2023 ; The Silent Forest (2022) ; Gatao: The Last Stray (2019), prix du Meilleur Film d'Action au Festival du Film de Hong Kong 2020 ; ou encore Days of the Future Past (2021), prix du Public au Festival International du Film de Taïwan 2022.

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