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LA FORTERESSE DE L'EMIR

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Symbole de la ville interdite, qui excita tant les esprits occidentaux depuis le XIXe siècle, les puissantes murailles crénelées qui entourent le palais de l’émir comme une immense couronne ont retrouvé leur prestance féodale. Au cours des siècles, les remparts furent constamment rapiécés par de nouvelles couches de briques, venant consolider les parties défaillantes ou détruites lors les attaques mais, à présent, la restauration leur a rendu l’éclat du neuf. Cette colline artificielle d’une vingtaine de mètres de hauteur fut la résidence des seigneurs de Boukhara. Vingt mètres de hauteur, dont beaucoup sont dus à l’empilement des ruines de palais et de citadelles détruits et reconstruits au même emplacement, au gré des conquêtes et des pillages de la cité. Les plus anciennes fondations retrouvées sur le site datent de plus de 2 500 ans, mais la partie visible aujourd’hui est du XVIIIe. Selon la légende rapportée par un historien boukhare du XVIe siècle, le fondateur de Boukhara serait le prince Siyavush-ibn Keivakus. Le jeune prince, fuyant son père, traversa le Jeihun (Amou Daria) et se réfugia auprès d’Afrosyab, le roi légendaire, fondateur de Samarkand. Il fut accueilli avec bienveillance et se maria avec la fille d’Afrosyab. Siyavush construisit une citadelle sur ses nouvelles terres, mais entra en conflit avec son beau-père et celui-ci le fit assassiner quelques années plus tard. On enterra son corps au pied de son palais, près de la porte est, et longtemps les habitants de Boukhara vénérèrent sa tombe. Au VIIIe siècle, la cité zoroastrienne fut envahie par les conquérants arabes, la citadelle détruite, et une mosquée y fut élevée en 713, à la place du temple du feu. Reconstruite par les Samanides, puis par les Karakhanides, elle fut chaque fois détruite successivement par les Kara-Kitaï et les Korezmshah puis, au XIIIe siècle, par les Mongols, qui, fidèles à leur réputation, n’y laissèrent que des cendres. Au XVIe siècle, les Chaybanides entreprirent la construction d’une citadelle digne de leurs ambitions en élevant une colline artificielle de 800 m de diamètre et 20 m de hauteur, mais elle ne résista pas aux attaques de Nadir Shah. Le palais que l’on peut aujourd’hui visiter date des khanats ouzbeks du XVIIIe et du début du XXe siècle. A cette époque, l’Ark était une ville dans la ville habitée par plus de 3 000 personnes. L’ensemble comprenait des jardins, des bâtiments administratifs, des étables, des dépôts, le Trésor, l’armurerie, des écuries, des prisons, une mosquée, des mausolées, des échoppes de joailliers et la résidence de l’émir, de ses femmes, des membres de sa famille et des esclaves attachés à leur service. Il ne reste malheureusement aujourd’hui que 20 % de ces constructions. En effet, en septembre 1920, l’armée bolchevique, commandée par le général Mikhail Frounze, tira au canon sur la citadelle. Un incendie se déclara, alors que l’émir Alim Khan s’enfuyait. On suppose qu’il pourrait l’avoir lui-même déclenché avant de prendre la fuite. Il ne reste aujourd’hui rien du harem ni des appartements des membres de la famille princière. La visite commence par la porte ouest construite en 1740 par Nadir Shah. La porte monumentale est flanquée de deux tourelles. Quand Armin Vambery séjourna à Boukhara en 1863, il qualifia l’Ark de « repaire de la tyrannie » et frémit à la pensée des Occidentaux qui y étaient alors enfermés. La porte était entourée de quatorze canons de bronze ouvragé, trophée de la campagne victorieuse de l’émir contre le khanat de Kokand. Elle était aussi ornée d’une horloge – disparue – à l’histoire peu banale. Giovanni Orlandi, l’horloger italien qui l’avait fabriquée, avait été kidnappé par des marchands d’esclaves à Orenbourg, au milieu du XIXe siècle. L’Italien sauva sa tête en promettant à l’émir de lui construire une machine à mesurer le temps. Il lui fabriqua ensuite un télescope, que l’émir laissa par mégarde tomber d’un minaret. L’émir était capricieux et ne se lassait pas des merveilles de la technologie européenne, mais l’horloger était croyant, obstiné, aimait le vin et refusait de se convertir à l’islam, ce qui lui fut fatal. Il fut le dernier Européen à avoir la tête coupée. La terrasse couverte au-dessus de l’arche de la porte était destinée à l’émir et à la famille princière, qui s’y trouvaient aux premières loges pour assister aux fêtes et aux exécutions publiques ayant lieu sur la place du Registan. Sous le portail, seul vestige du XIXe siècle, un couloir voûté est percé de douze sombres niches, étroites prisons insalubres où étaient enfermés les ennemis personnels de l’émir. Une des niches accueillait une lanterne qui brûlait en permanence, pour célébrer la mémoire de Siyavush. C’est par ce couloir que les visiteurs entrent dans l’Ark où les vendeurs de souvenirs ont remplacé les prisonniers. La plupart des bâtiments comme les appartements du koushbegi ou le kori khana ont été transformés en musée. Le couloir débouche à gauche sur la mosquée Juma, ou mosquée du Vendredi, qui date du XVIIe siècle. A la fin du XIXe, Amir Alim Khan, le dernier émir, y ajouta l’iwan central, et le célèbre artisan Usto Shirin Muradov la décora au début du XXe.

Le korunishkhana, ou salle du trône. La vaste cour entourée d’iwan date du XVIIe siècle. Presque entièrement détruite lors de l’incendie de 1920, elle a été restaurée récemment. Dans l’iwan du fond de la cour se trouve le trône de l’émir en marbre gravé, réalisé par des artisans de Nourata en 1669. Lors du couronnement et des manifestations officielles, le sol était recouvert de tapis. Dans l’agorakhana, ou pavillon musical, un orchestre ponctuait les différents événements de la journée, et les traditionnels makom accompagnaient les sorties de l’émir et toutes les manifestations officielles qui se déroulaient sur la grande place. A l’ouest de la forteresse, on peut accéder, moyennant pourboire, à une partie encore en aménagement mais qui offre un splendide point de vue sur les monuments de Boukhara, en particulier Poy Kalon. Vous pouvez également monter à latour d’acier face à la forteresse, del’autre côté du boulevard. Vous y aurez une vue dominante sur le centre historique de Boukhara et le parc Samani del’autre côté. Compte tenu de l’état des escaliers, ceux qui sont sujets au vertige s’abstiendront. Allez-y au coucher du soleil, lorsque les lumières rasantes illuminent les murailles de la forteresse.

Les prisons de l'Émir, le "Zindan" (rue Balimanova, entrée au nord de l’Ark). Tristement célèbres, ces prisons construites au XVIIIe siècle tentaient de rivaliser avec l’enfer. Le vendredi, on libérait certains prisonniers des chaînes qui leur encerclaient le cou, et les parents ou passants compatissants pouvaient leur apporter de la nourriture pour la semaine. La punition suprême n’était peut-être pas la mort mais un puits de 6 m de profondeur, le « puits noir », où les condamnés se faisaient oublier au milieu des rats et de tous les insectes les plus voraces de la création. Ella Maillart raconte que l’on élevait des punaises spécialement pour la torture des prisonniers en les habituant à la viande crue. Certains captifs réussissaient à y survivre plusieurs mois. En 1839, un Anglais, le lieutenant Charles Stoddart, chargé de conclure une alliance avec l’émir Nasrullah, goûta à la détresse du puits noir pour avoir manqué de respect à l’émir en circulant à cheval alors qu’il aurait dû marcher, et en marchant lorsqu’il aurait dû ramper. De plus, sa lettre de mission n’émanait pas de la reine Victoria. Il séjourna six mois au fond du trou avant de gagner sa grâce en se convertissant à l’islam. Il restait prisonnier mais avait la liberté de circuler dans la ville et séjournait dans ses propres appartements. En septembre 1840, un capitaine de l’infanterie légère du Bengale, Arthur Conolly, vint s’enquérir du sort de son compatriote et tenter de le délivrer. Peu après son arrivée, l’armée anglaise était défaite en Afghanistan à la bataille de Khyber Pass. L’émir, en position de force, persuadé de surcroît par ses conseillers que Conolly était un espion, fit jeter les deux hommes dans le puits noir. En juin 1842, Conolly refusait de se convertir à l’islam, et les deux officiers anglais furent exécutés sur la place du Registan, où, probablement, leurs corps reposent toujours. On ne sait rien de leur mort, il est dit cependant que Stoddart, converti à l’islam, mourut décapité ou égorgé mais sans souffrances. Conolly, qui refusa la conversion, n’eut probablement pas cette chance. L’histoire est connue grâce au carnet que Conolly a tenu jusqu’au fond de son puits, et qui fut retrouvé par le révérend Joseph Wolff en 1845. Celui-ci ne sauva sa tête qu’en faisant rire l’émir, en criant « Allah Akbar » trente fois de suite, tout en se prosternant. Le livre de Hopkirk, The Great Game, raconte aussi en détail l’histoire de ces deux victimes héroïques du « grand jeu ». Des mannequins remplacent aujourd’hui les prisonniers les plus célèbres du puits noir, mais les deux officiers anglais n’y sont pas représentés. A l’extérieur des prisons se trouve la tombe du saint Kuchar Ata, surplombée de la traditionnelle perche, où les prisonniers avaient le droit de pratiquer les rites religieux.

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