LA MOSQUEE BIBI KHANUM
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Pour le voyageur qui arrive en voiture de Tachkent, l’immense coupole bleue de Bibi Khanum surgissant derrière la foule compacte et bigarrée se rendant au marché est l’une des premières images de Samarkand la timouride. C’est en 1399, à son retour de sa campagne en Inde où ses troupes avaient mis à feu et à sang les temples des infidèles zoroastriens et hindouistes, que Tamerlan décida de l’édification de la mosquée Masjid-i-Jami, connue aujourd’hui sous le nom de Bibi Khanum, fille de l’empereur de Chine et femme préférée de Tamerlan. Les meilleurs architectes et artisans venus du Khorassan, d’Azerbaïdjan ou d’Inde s’attelèrent à la construction de ce qui devait être la plus grande mosquée d’Asie centrale. On choisit le meilleur emplacement de la capitale et Tamerlan posa la première pierre le jour le plus propice, le quatrième jour du Ramadan 801 (10 mai 1399). Quatre-vingt-quinze éléphants, que Tamerlan avait ramenés de ses conquêtes en Indouhistan, manœuvraient d’immenses blocs de pierre nécessaires à la construction. Selon Cherif id Din, il y avait quatre cent quatre-vingt blocs d’une hauteur de cinq mètres ! Confiant la surveillance du grandiose projet à ses plus fidèles collaborateurs, Tamerlan partit pour de nouvelles conquêtes en Asie Mineure, et ne revint à Samarkand qu’en juillet 1404. Les versions diffèrent quant au déroulement de la suite de l’histoire. Selon Ruy Gonzalez de Clavijo, ambassadeur castillan et fin observateur qui se rendit à Samarkand en août 1404, la première femme de Tamerlan se nommait en fait Cano. Elle était fille de Chiacao, empereur de la province de Samarkand et ancien roi de Perse et de Damas, et c’est en l’honneur de la mère de Cano que la mosquée avait été édifiée. Clavijo raconte comment, à son retour d’Asie Mineure, Tamerlan jugea le portail trop bas et le fit démolir puis reconstruire. Les ouvriers qui se relayaient jour et nuit étaient traités assez rudement. A ceux qui travaillaient dans les fosses, on jetait de la viande comme à des chiens, en y ajoutant parfois des pièces de monnaie afin qu’ils continuent sans répit leur dur labeur. Selon l’historien Sharaf ad-Din, à son retour en 1404, Tamerlan entra dans une fureur noire car Bibi Khanum, qui devait être une femme de tête, avait fait construire une madrasa et un mausolée pour elle-même juste en face de la mosquée. Comme le montrèrent par la suite les fouilles archéologiques, la fureur de Tamerlan était peut-être due au fait que le portail de la madrasa n’avait pas été construit en parallèle avec celui de la mosquée. Quelle qu’ait été la véritable raison de la colère de l’Emir de fer, la légende s’en est emparée et on raconte l’histoire suivante : alors que Tamerlan guerroyait loin de ses terres, Bibi Khanum décida de lui faire une surprise en érigeant la plus haute mosquée jamais construite. Elle supervisait elle-même les travaux et désirait ardemment qu’ils soient terminés pour le retour de son époux. Prié de se hâter, l’architecte finit par lui soutirer un baiser en échange de sa promesse de finir les travaux à temps. Le baiser, bien que donné à travers la main, fut si torride et si brûlant que Bibi Khanum en portait encore une marque sur la joue lorsque revint son empereur de mari. Celui-ci s’offusqua plus du suçon qu’il ne se réjouit de la gigantesque mosquée. Il entra dans une fureur folle et ordonna à ses soldats de s’emparer de l’architecte, mais le félon monta au sommet d’un des minarets et s’envola à jamais vers la Perse. Bibi Khanum fut précipitée du haut d’un autre minaret, et Tamerlan donna l’ordre que dans son empire toutes les femmes portent le voile pour que leurs visages ne tentent plus les hommes lorsque les maris sont à la guerre.
A sa construction, le complexe comprenait quatre galeries pavées de marbre, couvertes de 400 coupoles et soutenues par 400 colonnes de marbre qui entouraient une immense cour intérieure de 130 m sur 102 m. Deux minarets de 50 m de haut se dressaient de chaque côté du portail d’entrée, haut de 35 m, ainsi que du portail de la grande salle de prière atteignant 40 m. Quatre autres minarets se trouvaient à chaque angle extérieur de la cour. Au nord et au sud, deux mosquées plus petites, chacune ornée d’un dôme posé sur un tambour cylindrique luxueusement décoré, regardaient vers le centre de la cour où reposait, sur un lutrin de marbre, le Coran d’Osman : le deuxième plus grand Coran de l’Islam, datant du VIIe siècle, que Tamerlan rapporta de Damas. On dit que les sourates y étaient écrites en caractères tellement gros que les imams pouvaient les lire depuis le haut de la colonnade. On raconte aussi qu’à peine terminée, la mosquée commençait déjà à se dégrader. La précipitation des architectes y était sans doute pour quelque chose et les tremblements de terre, dont un eut son épicentre au centre même de la mosquée, firent le reste. En 1868, ce furent des obus russes qui endommagèrent le grand dôme de la mosquée. Armin Vambery, le faux derviche qui parvint à visiter Samarkand cinq ans plus tôt, en 1863, décrit un monument déjà fort abîmé et qui servait de garage aux carrioles de louage qui reliaient Kokand à Karchi. Dix ans plus tard, Eugène Schuyller, un diplomate américain, se rendit lui aussi à Samarkand et décrivit la cour de la mosquée, transformée en marché au coton, mais au centre de la cour intérieure, le grand lutrin en marbre sur lequel on posait le Coran Osman était toujours là. Il rapporta également la croyance populaire qui voulait que pour soigner les maux de dos, il fallait ramper entre les neuf piliers courts et épais qui soutenaient le lutrin. Une autre superstition voulait que les femmes stériles viennent s’y glisser le matin à jeun afin de pouvoir procréer. Aujourd’hui encore, on peut voir des femmes ramper entre ces piliers… Les restaurateurs ont travaillé pendant plus de quarante ans à la reconstruction de la mosquée pour lui redonner progressivement ses formes originelles. Les trois dômes sont réapparus, mais ceux des mosquées nord et sud perdent déjà leurs décorations de céramique bleue. Depuis avril 2003, le portail d’entrée, qui était jusque-là masqué par des enchevêtrements d’échafaudages, est de nouveau visible, et les deux minarets qui le flanquent ont également été restaurés. On apprécie mieux la qualité de l’architecture qui plonge le visiteur directement vers la cour par trois monumentaux dégradés dans le portail. Pendant la durée des travaux, il était possible de monter au sommet des minarets moyennant un léger bachshish aux ouvriers. Il semble que officiellement l’ascension soit désormais interdite. Dans la cour, l’intérieur du dôme Est conserve encore quelques peintures et céramiques d’origine mais les travaux de restauration commençaient lors de notre passage et devraient être achevés lors de la publication de ce guide. Et il est à craindre que les dernières fresques disparaissent sous les rouleaux de peinture. Les larges fissures qui parcourent les autres bâtiments autour de la cour centrale donnent une idée de l’ampleur des travaux qui ont été menés sur le portail d’entrée, et qui restent à mener ici. Il faudra encore dix ans de travaux pour restaurer les décorations intérieures, recréer la colonnade et achever les ornements du portail d’entrée. Dix ans pour pouvoir dire de nouveau de la mosquée Bibi Khanum : « Son dôme serait unique s’il n’y avait les cieux, et unique serait son portail s’il n’y avait la voie lactée. »
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