Le difficile effort de reconstruction
Plusieurs décennies après la réunification de 1990, le clivage entre l'Est et l'Ouest est toujours bien perceptible. Le gouvernement publie chaque année un rapport sur l'état de l'unité allemande pour faire le point. Il en ressort que l'écart entre l'ex-RDA et l'ex-RFA s'amenuise, mais ne disparaît pas. L'une des principales différences concerne le salaire. Le salaire moyen de l'Est ne représente que 86 % de celui de l'Ouest. Le PIB par habitant, quant à lui, n'atteint que 79 % de celui de l'Ouest. Sans surprise, les Länder où le PIB par habitant est le plus élevé sont en ex-RFA, avec la Rhénanie-du-Nord-Westphalie en haut du classement, où se situe la majeure partie de la très industrielle Ruhr, suivie de la Bavière et du Bade-Wurtemberg. À l'inverse, les Länder où le PIB par habitant est le moins élevé, si l'on exclut les micro-États, sont à l'Est, avec le Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, la Saxe-Anhalt et la Thuringe. Mais cet écart diminue, et l'Est accueille de plus en plus d'investisseurs, d'industries et de grandes entreprises, comme Tesla dans le Brandebourg, ou Intel en Saxe-Anhalt.
Un autre problème auquel est confrontée l'Allemagne de l'Est est d'ordre démographique. De la chute du mur à aujourd'hui, quatre millions d'Allemands de l'Est, principalement des jeunes, ont migré vers l'Ouest, contre 2,8 millions dans l'autre sens. Le nombre d'enfants par femme, qui était bien plus élevé en RDA grâce aux politiques natalistes communistes, est devenu inférieur à celui de la RFA aussitôt le mur tombé. Ainsi, si toute l'Allemagne fait face à un vieillissement de la population, le problème est amplifié à l'Est, où la population active diminue non seulement par la baisse de la natalité, mais aussi par les déplacements de population. En ex-RDA, les personnes de plus de 65 ans représentent désormais 22 % de la population. Ainsi, nombre d'États est-allemands peinent à trouver de la main-d'œuvre qualifiée, malgré l'apport migratoire.
Mais au-delà des questions économiques et démographiques, les États de l'Est font parfois mieux sur des questions sociales : les écarts salariaux entre hommes et femmes sont moins creusés, l'immobilier plus abordable, les infrastructures d'accueil familiales telles que les crèches plus nombreuses… En bref, la qualité de vie est souvent jugée meilleure à l'Est.
Globalement, malgré ces différences bien notables, toutes les statistiques montrent que les Länder de l'Est et de l'Ouest se rapprochent. Les taux de chômage de certains États d'ex-RDA sont aujourd'hui en tous points comparables à ceux d'ex-RFA. Pourtant, nombre d'habitants de l'Est se considèrent délaissés par rapport à leurs concitoyens occidentaux. Les jeunes sont ceux qui montrent la plus grande insatisfaction dans les sondages, démoralisés par les salaires moins compétitifs, et le fait que les habitants de l'Est accèdent statistiquement moins souvent à des hauts postes. Cela explique en partie le succès des partis d'extrême droite dans ces régions. L'AfD, Alternative für Deutschland, parti d'extrême droite, séduit en effet de plus en plus, par ses promesses populistes. Son succès ne se limite toutefois pas qu'à l'Est, à tel point que certains craignent une potentielle victoire aux élections fédérales. C'est ainsi qu'en janvier 2024, l'Allemagne a connu des manifestations massives contre la montée en puissance de l'extrême droite. Ce mois-ci, après un énième scandale politique du parti, déclenché par des révélations médiatiques sur un complot du parti organisant la remigration de millions d'étrangers, plus d'un million de personnes ont battu les pavés de l'Allemagne en scandant « Ne laissez pas l'histoire se répéter ».
La première économie de l'Europe
Fin 2023, l'Allemagne est devenue la troisième économie mondiale, devant le Japon. Au sein de l'Europe, elle est la première puissance, avec un PIB de 4 121 milliards d'euros en 2023. Son PIB est ainsi 1,2 fois plus élevé que celui de la moyenne de l'Union européenne. Cette économie solide s'est construite autour de la forte industrie du pays, qui représente encore 20 % du PIB et 16 % de la population active. L'Allemagne est aujourd'hui spécialisée dans les automobiles, la chimie et l'ingénierie de machines et produits informatiques ou techniques. Les Mittelstände jouent aussi un rôle clé dans la société allemande contemporaine, au point d'être presque une particularité de son économie. Par ce terme, nos voisins d'Outre-Rhin désignent des entreprises familiales stables, durables et très ancrées dans leur territoire. Il peut aussi bien s'agir d'un artisan bien installé que d'une entreprise solide embauchant plus de mille salariés localement. Elles ont joué un rôle prépondérant dans la reconstruction de l'Allemagne après la guerre, alors que nombre de ses grandes firmes industrielles avaient été réduites à néant. Les Mittelstände se sont alors installées et ancrées, à une époque où la Guerre Froide ne permettait pas de faire fonctionner pleinement les grosses industries. Aujourd'hui, l'immense majorité des entreprises allemandes sont considérées comme des Mittelstände, et elles contribuent à environ la moitié de l'économie du pays, au point d'en être considérées comme la colonne vertébrale.
Malgré sa puissante industrie, l'économie allemande est aujourd'hui tournée davantage vers les services, qui emploient 75 % de la population active. De nos jours, elle se caractérise aussi par une très forte internationalisation. L'import et l'export représentent environ la moitié du PIB.
Toutefois, malgré sa solidité, l'économie allemande fait face à de grandes difficultés. Les Mittelstände sont affaiblies par la hausse des taux d'intérêt et la baisse de la demande. L'industrie, quant à elle, est frappée par l'augmentation des coûts de l'énergie due à la forte dépendance aux importations de gaz russes depuis l'abandon du nucléaire sous Merkel. Enfin, la baisse de la natalité dans tout le pays diminue fortement la main-d'œuvre. En février 2024, Robert Habeck, ministre fédéral de l'Économie, a même déclaré : « L'économie allemande va dramatiquement mal ».
L'Allemagne face à la crise migratoire
Le pays est particulièrement touché par la crise migratoire qui touche l'Europe depuis 2015, provoquée en partie par la guerre civile en Syrie. Selon Eurostat, en 2015, l'Allemagne était le pays d'Europe à recevoir le plus de demandes d'asile. En effet, Merkel a rapidement défendu une approche humaniste dans l'accueil des réfugiés. Le 31 août 2015, la chancelière a déclaré un « Wir schaffen das ! », désormais entré dans l'histoire allemande. Par ce « Nous y arriverons », elle a officiellement annoncé sa volonté d'accueil des réfugiés. Sur ce seul mois d'août 2015, 100 000 migrants sont arrivés sur le territoire, et environ 2 millions depuis, essentiellement venus de Syrie, d'Afghanistan, d'Irak, d'Iran et d'Érythrée. Si ce nombre a d'abord baissé après 2015, il connaît un nouveau rebond, avec 300 000 demandes d'asile en 2023, le nombre le plus important depuis 2015.
L'Allemagne, soutenue par de nombreuses associations caritatives, a fourni d'importants efforts d'intégration de ces nouvelles populations. En 2016, 36 entreprises, aujourd'hui rejointes par plus de 200 autres comme Deutsche Telecom, Deutsche Bank, ou Lufthansa, ont monté l'initiative « Wir zusammen » (« tous ensemble ») pour favoriser l'embauche des migrants. La Deutsche Post (poste allemande), dont le marché de la livraison est grandissant, a ainsi, à elle seule, embauché près de 5 000 réfugiés. D'autres, comme Volkswagen, ont organisé des programmes de cours de langue allemande et proposé un accompagnement d'intégration. Ces initiatives sont également motivées par le manque de main-d'œuvre inhérent au vieillissement de la population allemande. Ainsi, en 2021, environ la moitié des migrants en âge de travailler avaient trouvé un emploi.
Toutefois, la politique migratoire reste un débat épineux dans le pays. Le mécontentement d'une partie de la population explique en partie le succès retentissant de l'AfD, principal parti d'extrême-droite, opposé à l'immigration et à l'Union européenne. Face à ces critiques et à la recrudescence d'immigration clandestine, le chancelier Olaf Scholz a pour la première fois depuis 2015, tourné le dos à la « Willkommenskultur », la culture de l'accueil allemande. Celui-ci s'est donc lancé, fin 2023, dans une politique d'expulsion des immigrés clandestins, et a même rétabli un contrôle temporaire aux frontières.
La transition énergétique
Un des enjeux majeurs pour l'Allemagne d'aujourd'hui est la transition énergétique, connue sous le terme d'Energiewende. Initiée au début des années 2000 et intensifiée après la catastrophe nucléaire de Fukushima en 2011, cette politique vise à réduire la dépendance aux énergies fossiles et nucléaires, au profit des énergies renouvelables. Le gouvernement allemand a mis en place des objectifs ambitieux : atteindre 80 % de l'électricité produite à partir de sources renouvelables d'ici 2030 et la neutralité carbone d'ici 2045. Pour amorcer ce virage, l'Allemagne s'appuie principalement sur la biomasse ainsi que sur l'énergie éolienne et solaire. Pour l'instant, le pari s'annonce un succès : en 2023, plus de 50 % de l'électricité provenait de sources renouvelables. Finalement, en avril de la même année, le pays a fait fermer ses trois dernières centrales nucléaires.
Seulement, la guerre en Ukraine a mis en lumière la forte dépendance de l'Allemagne aux approvisionnements de gaz russe, et causé une hausse importante des prix de l'énergie. Au-delà de son impact sur l'énergie, l'abandon du nucléaire est aussi au centre des débats outre-Rhin pour son impact social. Les installations, qui se concentrent souvent dans les zones rurales, deviennent un sujet de discorde entre habitants des campagnes, défavorables à ces transformations, et habitants des villes, les soutenant pour des raisons écologiques et économiques.