Une architecture dominée par la religion
Le style manuélin domina jusqu’au XVIe siècle sur l’archipel. Spécifique au Portugal, il s’est développé au XVe siècle sous le règne du Roi Manuel Ier (1469-1521), alors que le pays devenait, grâce à ses grands explorateurs, la plus grande puissance maritime du monde. Ce style éclectique emprunte au gothique flamboyant aussi bien qu’à l’architecture mauresque, en passant par un héritage roman, et se caractérise par une abondance de motifs décoratifs préfigurant la période baroque. Les motifs caractéristiques de la période manuéline rendent compte des grandes expéditions et mettent en valeur la puissance maritime du pays, déclinant coquillages et instruments de navigation (ancres, proues de caravelles, etc.) autant sur les bâtiments civils et militaires que sur les églises. En ce qui concerne les édifices religieux, il s’agit probablement du style le plus répandu aux Açores. On en trouve de nombreux exemples à Vila Franca do Campo. L’église Bom Jesus da Pedra en fait partie. São Miguel Arcanjo, datant aussi du XVe siècle, est l’une des plus anciennes de l’archipel. Sa façade manuéline est aussi décorée par des azulejos, ces carreaux de faïence qui font la richesse et la fierté du Portugal continental comme de ses colonies. Issue de la même époque, nous pouvons citer l’église Nossa Senhora da Piedade à Ponta Garça.
L’archipel connaît par la suite une longue période classique, austère et fonctionnelle caractéristique de la Renaissance et dont témoigne à merveille la Cathédrale de l'Église du Saint Sauveur d’Angra do Heroísmo. A Vila Franca do Campo, le Convento de S. Francisco et ses chambres du style Renaissance – voûtes basses allant du sol au plafond – accueille désormais les touristes en tant qu’établissement hôtelier.
C’est enfin un style éminemment baroque, marqué par son exubérance des formes et des motifs, qui fit son apparition aux XVIIIe et XIXe siècles. Bien qu’il soit qualifié ainsi en raison de la période, il ressemble en de nombreux points à l’architecture manuéline qui s’est développée sur place. Cette ressemblance est en partie due aux matériaux, qui sont restés le basalte et la chaux pour les murs, de sorte que les ornementations ont été concentrées sur les encadrements de portes, des fenêtres ainsi que sur les corniches. C’est donc, plus qu’un baroque européen, un retour à l’art ornemental déjà présent sur l’archipel après une période austère et classique imposée lors de la Renaissance.
Ainsi, l’ermitage de Notre-Dame de la Paix (XVIIIe siècle) en est un magnifique exemple. Sur les hauteurs de Vila Franca do Campo et légèrement excentré, il offre, en haut de son escalier escarpé dont les paliers sont décorés d’azulejos représentant la Vierge, un magnifique panorama sur la ville en contrebas et son îlot au large. L’escalier en question a été ajouté en 1967 afin de faire du petit ermitage une des principales attractions touristiques de la ville.
A Ponta Delgada, l’Hôtel de Ville et les Portes de la ville sont de très beaux exemples de cette période baroque. On peut également ajouter à la liste la surprenante Église de Notre-Dame de la Miséricorde à Angra do Heroísmo. De couleur bleu clair, elle affiche un blason rouge vif sur sa façade. Ses clochers sont coiffés de coupoles stylisées qui pourraient rappeler l’architecture mauresque.
Architecture civile et urbanisme
La maison rurale typique témoigne d’influences continentales bien identifiables. Pour en citer certaines : de l’Algarve (région au sud du Portugal) sur l’île de Santa Maria (peuplement plutôt épars, maisons à quatre pans) ou encore d’une autre région du sud, l’Alentejo, à São Miguel (peuplement plutôt concentrique, maisons à deux pans), tandis que dans les autres îles, surtout à l’ouest, les influences du nord du Portugal sont plus prégnantes. C’est notamment le cas à Corvo.
Dans les premiers temps du peuplement, la plupart des maisons étaient recouvertes de toits en paille, excepté sur l’île de Terceira, où l’on usait par défaut une herbe appelée carrega. A mesure que des matériaux plus résistants et que de nouvelles règles architectoniques faisaient leur apparition dans les constructions, les demeures eurent tendance à s’harmoniser sur les neuf îles de l’archipel. Mais la grande spécificité propre au territoire reste l’utilisation du basalte.
Le souci premier des habitants étant bien sûr de maîtriser la nature sauvage pour y survivre ; les premières constructions de l’île de São Miguel étaient très rustiques : une pièce centrale par laquelle on entrait et où se concentrait la vie familiale, flanquée de deux pièces attenantes – la cuisine (avec four et cheminée pour le pain) et la chambre à coucher. Une citerne pour recueillir l’eau des pluies, un puits et une burra de milho, sorte de pyramide en bois utilisée pour sécher le maïs, complétaient l’infrastructure familiale.
Santa Maria fut la première productrice de chaux qui recouvre aujourd’hui tant de maisons dans l’archipel. Ses maisons blanches sont pourvues de part et d’autre de hautes cheminées cylindriques et ajourées.
Dans les îles orientales, jusqu’au XIXe siècle, on édifiait dans les campagnes des maisons de paille (cafuas ou palheiros), munies d’une porte basse et d’une ou deux petites fenêtres. Les premières émigrations au Brésil et l’argent du commerce qui arriva modifièrent la donne : de nouvelles maisons virent le jour, avec des toits en dur, un étage, des panneaux d’azulejos sur la façade, et parfois même des escaliers extérieurs ou intérieurs.
A Terceira, les maisons possédaient à l’origine un seul étage, tandis que la façade présentait une seule porte centrale. Plus tard, on construisit aussi des demeures à deux étages conçues ainsi : un premier bâtiment central, agrémenté de deux fenêtres à guillotine ; un second, latéral, pour la cuisine. Autre curiosité, que l’on pourra remarquer notamment dans la rue De Jesus à Praia da Vitória : des cheminées pittoresques. De fines lames de basalte sont reliées entre elles par un fil de mortier ; leur forme triangulaire évoque deux mains jointes en prière qui justifie leur surnom : les cheminées de mãos postas – les « mains jointes ».
Changement de décor sur l’île de Pico, où les maisons étaient séparées en deux édifices. Le premier correspondait à la cuisine ; le second, sur deux étages habituellement, abritait la chambre à coucher au-dessus, et la salle de réception ou de travail réservée aux femmes, en bas. Le mauvais temps récurrent imposait certaines contraintes, notamment le faible nombre d’ouvertures. Plus tard, la cuisine fut rattachée à la maison principale. Une tradition perdura : on continua à répandre sur tout le sol des feuilles de pin qui diffusent leurs arômes dans les intérieurs.
Faial offre plusieurs types de constructions archaïques (une seule pièce et un toit de paille) ainsi que plus « modernes » – des toits de tuiles et trois pièces réparties sur un étage. Les maisons à deux étages, aux murs de pierres irrégulières unies avec du mortier et à la façade flanquée de quatre portes, évoquent les habitations de vignerons en Italie centrale ou au nord du Portugal jusqu’au Tage.
Ponta Delgada et Angra de Heroísmo sont deux villes à l’urbanisme emblématique des Açores. Cette dernière est d’ailleurs classée au patrimoine mondial de l’UNESCO. Leurs rues et places aux pavés noirs et blancs formant des motifs font une impression très forte aux voyageurs, tant il est inhabituel de trouver un rapport si raffiné et symbolique à la construction des rues ailleurs en Europe, voire dans le monde. Cette pratique bien répandue donne aux rues un caractère artistique et architectural très marqué – elles deviennent de véritables œuvres d’art guidant les pas des passants. Les motifs sont variés. Tantôt illustratifs et liés à l’imaginaire colonial, ils représentent fruits et céréales exotiques (maïs entre autres), ancres et bateaux – non sans faire échos à l’ornementation manuéline. Tantôt plus abstraits, s’apparentant alors à des grandes frises qui s’anamorphosent avec la perspective, comme autant de rues déroutantes.
Architecture contemporaine
Les Açores ne sont pas reconnues pour leur architecture contemporaine – d’autant que contrairement à nombre d’archipels à travers le monde, les récentes constructions touristiques ont été remarquablement bien maîtrisées de manière à préserver le paysage comme le patrimoine. Quelques exemples méritent cependant notre attention.
Le Centre de Monitoring et de Recherche de Furnas par l’agence Aires Mateus est un très bel exemple d’architecture intégrée au paysage. Les bâtiments en basalte et en bois, au dessin d’une grande sobriété, ont un caractère abstrait et géométrique. Ce beau geste architectural donne aux bâtiments minimalistes des allures de sculpture. Un subtil mélange s’opère entre l’architecture vernaculaire (les murs sont en basalte) et les formes contemporaines.
Le musée du vin de Paulo Gouveia (1939-2009), bâti en 1999 sur l’île de Pico, vaut aussi le détour. Il se démarque par sa passerelle menant à un kiosque placé en surplomb du paysage environnant. Son bois peint en rouge vif offre un magnifique contraste coloré sur les terres basaltiques sur lesquelles il est bâti.
L’archipel participe au projet de regroupement des édifices d’architectes contemporains sur le site Internet (http://roteiroarquitectura.pt/mapaa) qui permet aux amateurs de découvrir les bâtiments notables sur leur trajet. La carte est très utile pour repérer facilement un lieu à proximité, ou préparer son voyage. Le site donne une bonne idée de l’évolution et de la progression des formes contemporaines sur l’île, et du mariage fréquent d’un style vernaculaire sobre à des lignes architecturales belles et bien modernes – afin de ne jamais gâcher le paysage, mais au contraire s’y incorporer, sans accroc. C’est le cas par exemple de cette belle villa rose, signée par l’agence italienne Atelier Mezzo sur l’île de São Miguel. Les murs du rez-de-chaussée de cette ancienne écurie sont assemblés en basalte, tandis que la partie supérieure, peinte en rose, rappelle dans un style minimaliste les maisons colorées que l’on retrouve un peu partout dans l’archipel.