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De l'autonomie à la crise

En 1976, Madère accède au rang de Région autonome rattachée au Portugal. A partir de cette date, l’archipel prélève ainsi ses propres impôts et gère les budgets des affaires sociales. En fait, seules la politique extérieure et la défense dépendent de Lisbonne. L’île en vient ainsi à posséder son propre gouvernement, demeurant relativement indépendante de la métropole portugaise. De 1978 à 2015, c'est le même homme, Alberto João Jardim, qui préside le gouvernement autonome de Madère, la longévité de son « règne » ayant longtemps fait jaser ses détracteurs qui n'hésitent pas à le comparer à un dictateur. L'homme et son parti (le PSD, Parti social-démocrate, dont on retrouve une antenne dans chaque village de Madère !) ont toutefois assuré à l'archipel une croissance économique certaine et le développement des infrastructures de l'île, en particulier depuis l'adhésion du Portugal à l'Union européenne (1986) : Madère a alors obtenu le statut de région ultrapériphérique, ce qui lui a permis de recevoir des aides communautaires plus que bienvenues jusqu'en 2006. La plupart de ces aides ont été injectées dans les infrastructures routières et hôtelières, développant grandement les capacités d'accueil touristique de l'île. Ainsi, de région pauvre et délaissée, Madère est parvenue à se hisser au rang de l'une des plus riches régions du Portugal.

Une économie qui peine à se redresser

Alors que la crise financière de 2008 frappe le monde et qu'en 2011 le Premier ministre portugais José Socrates démissionne après avoir mis en place des mesures d'austérité hautement impopulaires, l'archipel madérien se retrouve empêtré lui aussi dans une crise financière, que les aides communautaires délivrées par l'Union européenne ne parviennent pas à endiguer. En février 2012, au cœur de la crise de la dette, Angela Merkel déclare que Madère est un exemple de la très mauvaise utilisation des fonds structurels européens : « On a construit des tunnels et des autoroutes sans augmenter la compétitivité. ». De fait, les causes de la crise à Madère sont principalement des investissements immobiliers hasardeux et de nombreux chantiers initiés par Alberto João Jardim puis finalement abandonnés, le tout à coup de fonds publics et autres contrats juteux.

La fin de l’ère Alberto João Jardim

C'est d'ailleurs la manière discutable dont Alberto João Jardim gère le budget de l'île qui le conduira à démissionner en 2015. S'ouvrent alors les élections législatives régionales anticipées qui permettent à Miguel Albuquerque, actuel chef du PSD et ancien maire de Funchal, d'accéder à la présidence de la Région autonome de Madère. Si, depuis la crise, la situation s'est nettement améliorée et que le problème de la pauvreté a fait place aujourd’hui à des « problèmes de pays riches », comme la pollution ou la déstructuration du paysage, le chômage reste important à Madère et supérieur à la moyenne nationale avec un taux de 7,3 % fin 2022. De nombreux habitants de l'île continuent en effet de dépendre des aides sociales (en partie versée par l'UE) et de petits jobs saisonniers liés au tourisme. De fait, la petite Madère est à présent toujours très endettée (plus de 6 milliards d’euros), si bien qu'elle est souvent montrée du doigt et décrite comme la Grèce de l’Atlantique, pour ses chantiers ahurissants alimentés par des fonds publics.

Une économie agraire

C'est grâce à ses terres volcaniques des plus fertiles et à son climat tropical que Madère a historiquement trouvé les outils de son développement : l'agriculture y est depuis 500 ans une évidence et représente aujourd’hui encore, presque à elle seule, le secteur primaire de l'archipel (10 % de la population active travaille dans l'agriculture). Au XVe siècle, les couches privilégiées de la population européenne prennent goût au sucre, denrée de luxe qui devient alors fort recherchée, si bien que le Portugal – comme toutes les autres puissances coloniales européennes – se met à planter massivement de la canne à sucre pour répondre à cette demande. Des esclaves africains sont alors déplacés du Cap Vert jusqu'aux plantations de canne à sucre qui recouvrent bientôt Madère. De ces cultures intensives ne restent aujourd'hui que de petites parcelles servant à la fabrication d’eau-de-vie (aguardente, le rhum de Madère) ou de pain d’épices local, le bolo de mel, confectionné à partir de mélasse. Céréales et vignes sont également des cultures traditionnelles de Madère, auxquelles se sont ajoutées plus tard celles des fleurs bien sûr, mais aussi des légumes (choux, maïs, carottes, haricots grimpants, tomates, salades ou encore pommes de terre) et des fruits tropicaux, avec la banane en tête (denrée essentielle pour le Portugal, dont Madère continue d’être économiquement très dépendante), mais aussi l'ananas, la mangue, la goyave ou encore l'avocat. Toutefois, en raison des reliefs escarpés de l'île et donc de la quasi-impossibilité de motoriser les efforts, l’aménagement de ces cultures a été et continue d'être un travail titanesque.

La pêche et l'élevage

En guise de protéines animales, s'il n'y a pas réellement d'élevage bovin sur l'île (on trouve quelques vaches pour le lait malgré tout), la pêche constitue une part substantielle de l’alimentation des Madériens. Alors qu'il n’y a aucun port sur la côte nord (dénuée de tout refuge naturel et constamment exposée au vent), la côte sud en compte cinq. D’est en ouest s’égrènent Caniçal, Machico, Funchal, Câmara de Lobos et Calheta. Cette pêche, restée tout à fait traditionnelle, se pratique à l’aide de petites embarcations colorées ou à bord de chalutiers plutôt vétustes. Outre le thon (50 % de la pêche à Madère), la bonite et le pagre, le poisson vedette est ici l’espada, ou poisson-sabre, une variété d’anguille typique des eaux de l'archipel et qui représente environ le tiers de ce que pêchent les marins. Faisant un bon mètre de long, fin comme le poignet, d’une belle couleur noir anthracite et armé d’une denture impressionnante, il est pêché à l’aide de lignes parfois longues de 1 500 m et équipées de dizaines d’hameçons : l’espada est capturé à environ 1 000 m de profondeur et ramené à la surface, les yeux exorbités par la décompression. Chaque soir, les pêcheurs d’espadas quittent le port, leurs lumignons se confondant au large avec les étoiles. Puis chaque matin, et ce depuis plus d’un siècle, ils débarquent leur cargaison au marché de Funchal ou dans les villages, transportée à bord de camionnettes sillonnant les campagnes à grand renfort de haut-parleurs. Dans tous les restaurants et à toutes les sauces, l’espada est le maître incontesté.