Une bonne nuit de sommeil. La première chose à faire dès le matin, ici : tirer les rideaux pour apercevoir la splendide vue sur le fjord. Je serais idiote de me lasser de cela. J'apprécie de voir les petites maisons colorées en bas de l'hôtel, de voir le fjord et les icebergs. Je remarque les allers-retours des bateaux de pêche. Et je ne peux m'empêcher d'ouvrir la porte-fenêtre pour ressentir cet air glacé que j'aime tant. A l'intérieur, il fait toujours trop chaud. J'aime quand ce froid-là caresse la peau de mon visage et  dépose des baisers givrés sur mes joues rosées. Ma journée peut alors commencer. Et aujourd'hui, le vent jouera son plus beau solo car je pars en croisière voir les icebergs ! Je pense être parée en ajoutant à ma tenue hivernale une paire de chaussettes en soie et une paire de chaussettes en laine et un collant supplémentaire et une chapka blanche. On a l'impression que j'ai un " lapin mort " écrasé sur mon visage car ma chapka est trop grande pour ma tête. Au lieu de se contenter de couvrir mon crâne et mes oreilles, la chapka s'épanouit et déborde complètement sur mon visage... Ah ah ah ! Au moins, le lapin ou du moins sa dépouille verra tout un tas d'icebergs aujourd'hui. Tout comme moi. Allons vers le port. Cet endroit est l'un de mes sites préférés à Ilulissat. Il m'apparaît comme le point de départ de tout, de tous les rêves... Le temps est sublime ! Ciel bleu, aucun nuage, le soleil brille et le bateau ronronne. La croisière commence... Les vagues jouent avec l'embarcation. J'essaye de danser avec elles en laissant tout mon corps ressentir chacun de leur mouvement sans y opposer aucune énergie additionnelle.  Mes genoux  plient légèrement pour suivre le rythme, le rythme de la mer. Un massage divin. Si relaxant. Pendant ce temps, la nature enchante mon esprit par des visions d'icebergs impressionnants. Ils sont tout autour de nous et  tous différents : forme, taille, texture, couleur, personnalité. Comme des empreintes digitales, ils sont tous singuliers. Certains sont polis et luisants, d'autres sont plus bruts et accidentés. D'autres encore semblent doux comme de la soie et donnent envie de dévaler leurs pentes... Les couleurs sont partout : blanc intense, blanc bleuté, zébrures turquoise... bordées par le bleu de la mer. Leur silhouette est toujours une surprise : un trou au milieu de celui-ci, un sommet plat par-là, des coupes rectilignes / des courbes / des fractures / des " boulets " de neige au pied d'une colline glacée. Le Groenland aime le " land art " !

 

Il fait un froid de canard, la plupart des touristes sont désormais à l'intérieur du bateau pour se réchauffer autour d'un thé bien chaud. Mais quelques-uns sont toujours sur le pont à admirer les paysages givrés. Je fais partie de ceux qui restent dehors. Mes pieds sont gelés mais je veux profiter le plus possible, apprécier chaque minute, chaque seconde jusqu'à ce qu'il n'en reste plus une seule. Je suis venue savourer le Groenland avec mes yeux, mon coeur, mes lèvres, ma langue. Avec tout mon corps. Je veux connaître tous ses parfums. Groenland, je t'ai attendu, espéré,  je me suis languis de toi. Maintenant, je suis là, je te souris. J'entends ton chant, celui qui n'appartient qu'à toi : la symphonie hivernale arctique...

 

Retour au port. La croisière est finie. Je me promène. Se balader à Ilulissat équivaut à  monter et dévaler des collines, il n'y a pas de route plate. Comme si l'ADN de la ville était celle d'une montagne russe s'étirant à l'infini. Il est temps de rentrer à l'hôtel pour retrouver mes amis et partir dîner. Une table est réservée à " Mamartut " à 19h. En groenlandais, cela signifie " cela a bon goût ". Quel nom parfait ! Cela aiguise mon appétit. ☺ Nous sommes accueillis par le chef et propriétaire danois, Kim Pedersen ! J'aime son couvre-chef et le style de son restaurant. Chaleureux avec une décoration groenlandaise. Nous nous sentons tout de suite à la maison. J'ai faim pour une cuisine groenlandaise moderne et le menu me fait saliver. " Gabriel et Julia, et si on prenait un apéritif ? Un kir de crowberry ? " Le chef nous précise que les baies sont cueillies à la main dans les montagnes alentour, à proximité du restaurant. C'est tout choisi pour moi. Julia me suit. Je veux avaler le Groenland ce soir ! Skål ! Kasugta ! Cheers ! Laissons le breuvage groenlandais faire son chemin dans mon corps et embrumer légèrement mon cerveau. Julia informe le chef qu'elle est végétarienne. Elle ne mange pas de poisson. Le Chef répond : " D'accord. Mais qu'en est-il de la viande ? " Cela me fait rire à gorge déployée pendant plusieurs longues minutes ! Tellement inattendu. C'était excellent !  Un humour dans la lignée des Monty Python ! J'ADORE ! Quelle chouette introduction. Après sa blague, il précise : " La prochaine fois, s'il vous plaît, prévenez-moi auparavant comme ça je pourrais anticiper. " Julia ajoute : " Si vous avez des pâtes et des tomates, ce sera parfait. " Kim Pedersen réfléchit : " Je vais voir ce que j'ai. " Il s'absente quelques secondes et revient déjà de sa cuisine. " Ok, laissez-moi réfléchir. " Nous voyons littéralement les idées surgir dans son esprit. " Ça y est, je sais. Je vais faire une soupe avec des potimarrons en ajoutant ceci avec cela [bla bla bla]. " Je ne me souviens plus de tout le descriptif mais cela avait l'air super et extrêmement appétissant. Je lance un " Nous voulons tous être végétariens maintenant ! " C'est la première fois qu'une personne se donne tellement de mal pour satisfaire le palais de Julia. Impressionnant et très sympathique. On l'entend s'affairer dans la cuisine, un son merveilleux ! Je suis passionnée par la gastronomie et suis aux anges quand s'échappe cette douce mélodie à la place de l'horrible bip-bip du micro-ondes. J'aime entendre les aliments caraméliser dans la poêle, le son d'un déglaçage, les casseroles qui s'entrechoquent. La soupe arrive et son fumet fait vibrer mon nez de plaisir. Ouah ! Julia goûte le plat et m'invite à faire pareil, c'est tellement bon. Je porte la cuillère à ma bouche grande ouverte, referme mes lèvres et avale le liquide chaud. Mmmmm ! C'est sacrément bon, un vrai délice ! Gabriel et moi suggérons au chef de l'ajouter sur son menu la prochaine fois. ;-)  Mon carpaccio de baleine est tout aussi excellent et le vin blanc sélectionné par le chef l'accompagne si bien. Gabriel ne peut s'empêcher de se renseigner sur les chances d'observer les aurores boréales ce soir. Le chef dit : " Hum, laissez-moi voir." Il regarde la fenêtre. Tout d'un coup, nous le voyons quitter le restaurant, la porte se referme derrière lui. Nous sommes seuls dans la pièce. Plus de chef. Où est-il passé ? Que se passe-t-il ? Je souris amusée par son attitude étrange. Il revient : " Les chances sont plutôt bonnes, ciel dégagé avec des étoiles. " Oh! il était dehors  en train de regarder le ciel... J'éclate de rire, ce type est vraiment marrant.

 

Nous continuons nos discussions et apprécions les plats lorsque le chef s'écrie: "  Aurore boréale ! ". Nous nous précipitons à l'extérieur, une lueur verte tout en courbe danse dans le ciel. Excellent timing, le dîner arrivait à sa fin, nous payons l'addition et remercions le chef pour cette douce et amusante soirée avant de filer dehors une fois pour toutes. Gabriel court en direction de l'hôtel pour chercher son trépied. Julia et moi descendons la colline en marchant tranquillement. Nous nous arrêtons dans un terrain vague pour nous allonger sur le sol enneigé si moelleux, confortablement installées pour regarder le spectacle magique des lumières arctiques. On se sent tellement bien. L'aurore boréale danse et s'étire juste devant nos yeux. Une magnifique bande colorée parmi les étoiles... Lorsqu'elle s'en va, la nuit n'est pas encore terminée. J'ai prévu d'aller écouter de la musique " live " au Naleraq  et Julia souhaite m'accompagner. Nous nous relevons, essuyons de la main la neige de nos pantalons de ski et allons droit vers le pub local. Le tarif du billet d'entrée pour le concert est minime (20 DKK). Il n'y a pas grand monde, c'est un peu trop tôt (23h) mais le jeune groupe groenlandais est déjà en train de jouer du rock sur  scène. Super ! Nous choisissons notre table, retirons nos doudounes et apprécions le fait d'être là. Julia me dit : " C'est génial ! Une expérience locale authentique. Je suis heureuse de vivre ça. " Oui, c'est tellement vrai. C'est exactement ce que j'étais venue chercher.

 

Et si on se buvait un mojito ? Nous allons au bar et passons notre commande auprès du très très jeune barman. Il a l'air d'avoir 14 ans. Il n'a aucune idée de ce qu'est un mojito, il cherche dans la carte des boissons et ne le voit pas. Nous sommes amusées de le voir si interloqué et perdu à cause de notre demande étrange. Il appelle une femme plus âgée (sa maman ?) qui est assise dans la salle. Elle s'approche et nous informe qu'ils n'ont pas de mojito mais nous montre la liste des cocktails. Lorsque je jette un coup d'oeil panoramique dans la grande salle, je vois des bouteilles de bières partout sur les tables. Les cocktails n'ont pas l'air très populaires. Néanmoins, nous sélectionnons un cocktail au hasard parmi tous les noms inconnus en espérant que le nôtre ne sera pas trop sucré. La femme groenlandaise est très amicale et nous sert nos verres avec un immense sourire. On retourne à notre table et battons le rythme de la musique avec nos pieds. Le chanteur a vraiment une voix chaude et... oh ! il porte le tee-shirt " Mojo Blues Bar København " ! Ce n'est pas possible ! C'est mon bar préféré à Copenhague ! Ils y jouent de la musique acoustique. J'y étais encore la veille de mon départ pour le Groenland ! Parfois, dans la vie, les évènements avancent de façon circulaire et c'est fantastique ! Je recommande cet endroit à Julia car je sais qu'elle et Gabriel vont passer quelques jours dans la capitale danoise après leur voyage groenlandais. La pièce commence à se remplir. Il semble que ce soir nous soyons les deux seules touristes. Des visages groenlandais partout, souriants. Nous sommes vendredi, dernier jour de la semaine de travail alors tout le monde a envie de s'amuser. Un esprit festif se propage. La piste de danse s'anime. Aucune inhibition, juste la joie de bouger en rythme. Libres comme l'air. Un couple, pas si jeune, entame une danse particulièrement sensuelle. Leurs coeurs sont heureux. L'alcool a déjà commencé à faire tourner quelques têtes et deux personnes assises sur leur chaise sont tombées dans un profond sommeil... Julia et moi avons certainement bu bien plus qu'elles mais leur constitution est moins résistante. Un homme de la sécurité veille sur elles afin que tout se passe bien. Elles ne sont pas violentes pour un sou mais je pense qu'il doit craindre la perte de connaissance ou le coma éthylique. C'est aussi l'un des problèmes majeurs au Groenland, l'alcoolisme. Julia et moi trouvons la situation un peu triste lorsque nous les voyons dans cet état. Mais qui suis-je pour juger ? Les Français ne sont pas mieux. Nous sommes les premiers à recourir aux anxiolytiques et antidépresseurs pour tenter de diminuer la souffrance psychique. Alors je décide d'arrêter de me sentir triste. Comment pourrais-je savoir ce qui est bon ou non pour les gens ? Je n'ai pas ce pouvoir. Ils l'ont. La seule chose que je puisse dire est que dans cette salle il y a des sourires partout et les gens ont envie de communiquer. Deux femmes s'assoient à côté de notre table. Julia est au bar. Elles commencent à me parler. Je vois leur visage s'éclairer lorsque je dis en danois que je viens de France et que mon amie vient du Brésil. Elles me disent leur nom, je leur dis le mien. J'ajoute: " J'aime le Groenland. " J'aurais tant aimé dire plus. Peu de mots sont échangés entre nous. Elles me serrent la main et plongent leur regard intensément dans le mien, mes yeux sont dans les leurs. Instant suspendu. De la joie entre nous. Une joie pure. Communication de coeur à coeur. La plus pure qui soit.

 

Julia est un peu fatiguée. Nous décidons de rentrer à l'hôtel. Mais avant cela, je demande à Julia si ça lui dirait de faire un tour à la discothèque Murphy's avec moi ? Juste pour jeter un coup d'oeil. J'ai entendu dire que c'était pour un public plus jeune mais je suis trop curieuse... Elle acquiesce. Oh Julia, tu es géniale ! Ouvrons la porte de ce lieu. La musique s'adresse en effet à des plus jeunes. Le bar a l'air pas mal. Des spots électriques donnent une ambiance colorée à la salle. Le public est constitué de jeunes locaux. Une Groenlandaise entreprend une danse sexy type pole dance mais sans la fameuse barre ! L'homme qui l'accompagnait l'abandonne sur la piste de danse et elle continue seule, très impliquée dans sa chorégraphie ! Il est temps pour nous de partir.

 

Dans le couloir de l'hôtel Hvide Falk, nous nous souhaitons bonne nuit. Je ferme ma porte, regarde ma montre : elle indique 2h. Oh, il est déjà si tard !

 

Vous aussi, vous avez envie de partir au Groenland ? Découvrez les offres de Nord Espaces.