Les musique et danse traditionnelles
Si la réputation du Nord marocain – terre des traditions arabo-andalouses – n’est plus à faire, le Sud du pays est loin d’avoir à rougir. Ici comme sur le reste du territoire résonne l’aïta, ce chant rural spécifiquement marocain a pris forme dans les plaines de la Chaouia, d’Abda et de Doukkala avant de voyager partout dans le pays. Comme l’indique son nom, l’aïta fut d’abord un « cri » ou « un appel » qui s’est garni au grès des générations d’improvisations poétiques. Apparu à la fin du XIXe siècle, l’aïta semble avoir traversé les siècles intact et s’articule toujours autour de cris stridents en s’appuyant sur le son répétitif des tambourins. Bien que distinct, cet art est parfois associé ou englobé dans la musique dite châabi.
Dans le Sud marocain, et particulièrement dans l’Anti-Atlas, nous sommes en terre berbère. Unique et envoûtante, la musique de ce peuple nomade (ou semi-nomade) occupe une place prépondérante dans le paysage musical et le patrimoine culturel marocain. Remarquable par ses chants répétitifs et ses rythmes intenses, invitant autant à la transe qu’à la danse, la musique berbère est un trésor pour l’œil et l’oreille. Son expression la plus courante est sans conteste la dakka, musique sacrée de célébration des évènements heureux, à la polyrythmie bouillonnante et aux chants envoûtants, très prisée des mariages. Native de la région de Souss, elle a migré progressivement vers Marrakech où elle a trouvé son plein épanouissement et sa forme la plus connue la dakka marriakchia.
Autre emblème de la culture berbère : l’ahidou. Désignant autant la musique que la danse l’accompagnant, cette grande célébration de groupe invite hommes et femmes à se balancer, coude à coude, d’avant en arrière, au sein de rondes fluides et ondoyantes, accompagnées de chants choraux et répétitifs s’appuyant sur les rythmes du bendir, grand tambourin au cadre de bois et peau de chèvre tendue. La star du domaine est le groupe Izenzaren. Plus connue auprès des auditeurs francophones, il arrive que l’artiste franco-marocaine Hindi Zahra en glisse dans ses créations.
L’autre grande chorégraphie traditionnelle des Berbères est l’ahouache. Aussi éreintante que gracieuse, cette danse féminine s’exécute serrées les unes contre les autres, en encerclant fougueusement les musiciens et en ondulant du bassin sur un rythme qui va crescendo sous l’impulsion du bendir.
Dans l’Haut-Atlas, on danse aussi la taskiwin, pratique martiale dont le nom provient de la corne richement décorée, portée par les danseurs : le tiskt. Encourageant la cohésion sociale et l’harmonie, la taskiwin se danse en rang ou en cercle en faisant vibrer les épaules aux rythmes des tambourins et des flûtes.
Toute la richesse et la beauté de la culture berbère se dévoilent au Festival Timitar d’Agadir, rendez-vous voulu comme un espace de rencontre entre musiques du monde et amazigh.
Voyager dans le Sud marocain est une bonne occasion d’embrasser en profondeur la beauté de la musique des Gnaouas. Ces descendants d’esclaves d’Afrique noire ont préservé précieusement leur héritage mélodique et pratiquent toujours, génération après génération, ces motifs mélodiques hypnotiques et entêtants appelant à la transe. Une esthétique que l’on croirait imaginée pour épouser les spectaculaires paysages lunaires du Sud marocain.
Voyageuse, la musique gnaouie traverse régulièrement les frontières marocaines pour s’infuser dans les genres du monde entier – jazz, blues, reggae ou électro. Sans cesse renouvelée, cette esthétique traditionnelle est paradoxalement une des plus dynamiques et modernes du pays. Ses interprètes ont le statut de grands maîtres, appelés « mâalems ». A écouter absolument, Mahmoud Guinia (1951-2015) fut toute sa vie considéré comme le roi du genre, quantité de musiciens lui vouant une admiration sans bornes (dont Pharoah Sanders avec qui il collabora). Moins connus mais pas moins fabuleux, mâalem Abdelkader Amlil est un virtuose du guembri (long luth à deux ou trois cordes) qui s’est produit plusieurs fois en France tandis qu’Abdellah Boulkhair El Gourd s’est imposé comme un des représentants les plus célèbres de la culture gnaouie. Aujourd’hui, la musique des Gnaouas est entre les mains habiles de la jeune garde représentée par Mehdi Nassouli, musicien surdoué et spécialiste du guembri ainsi qu’Asmaa Hamzaoui, elle aussi virtuose de l’instrument et bousculant la prérogative masculine longtemps en cours dans le domaine.
En France, l’Orchestre national de Barbès a été un de ses plus fervents ambassadeurs et l’a métissée avec du jazz, funk ou reggae sous l’impulsion de son fondateur, Aziz Sahmaoui, aussi à l’origine du bien nommé University of Gnawa avec lequel il explore les rythmes de transe du Maghreb.
Pour obtenir un premier panorama sur le genre, la compilation Gnawa Music Of Marrakesh, parue en 2022 sur le label berlinois Zehra est une porte d’entrée idéale sur le genre.
Originellement installé à Essaouira, le rendez-vous incontournable de cette culture est de loin le Festival de musiques gnaoua. Se tenant généralement courant juin, il est une bonne opportunité de voir les meilleurs artistes gnaouis, ses stars comme ses jeunes talents au travers de nombreux concerts (dont certains gratuits).
Autrement, à l’entrée de Merzouga, se trouve Dar Gnaoua « la maison des Gnaoua », où sont exposés quelques photos et instruments et où surtout on peut assister à une vraie représentation.
La musique populaire
Pour beaucoup de musicologues (et musiciens), le melhoun est la plus ancienne – et possiblement la source – des musiques populaires marocaines. Remontant au XIIe siècle, cette poésie originellement purement vocale – dont l’apprentissage s’inscrit d’ailleurs totalement dans la tradition orale – s’est avec le temps enrichie d’oûd ou de guembri avant d’accueillir amplement les percussions. Très raffiné dans son élaboration, il demeure accessible et populaire et s’adresse à toute la population sans distinction. Sa dimension dépasse même la simple expression artistique, comme le racontait très bien Said El Meftahi, l'un des plus grands auteurs-compositeurs contemporains du melhoun, au site ResMusica en 2004 : « Notre art du Melhoun ne se résume pas à de la poésie exprimant des sentiments, il est la mémoire qui a construit l’histoire du Maroc, c’est lui qui a instruit ses enfants, qui a appelé les Marocains à s’attacher à tout ce qui est beau. Il est aussi la seule forme d’art – je dis bien la seule – qui a joué à la perfection le rôle de trait d’union entre le passé et le présent de notre peuple, que ce soit sur le plan de l’espace ou des différentes cultures ; il reste apte à construire le Maroc d’aujourd’hui, grâce aux sagesses véritables transmises par ses poèmes. »
Une mémoire vivante du Maroc et un pilier du patrimoine dont les poèmes chantés réalistes auraient enfanté le châabi, la musique populaire marocaine par excellence. Algéroise de naissance, elle a traversé toute l’Afrique du Nord pour grandir d’une manière différente dans chaque pays. Au Maroc, le châabi conjugue des influences arabo-andalouses, des rythmes entraînants d’origine gnaouie et berbère et des textes légers qui l’ont imposée comme une musique de fête et de danse incontournable (ce pour quoi il est aussi souvent savouré lors des mariages). On a tendance au Maroc à scinder le genre en deux familles : le châabi-malhoun, proche formellement de son cousin algérien et le chaâbi moderne, plus « pop » qui englobe la variété marocaine depuis les années 1980.
Impossible de bien comprendre le châabi sans écouter ses grands interprètes. En premier lieu, Houcine Slaoui, le père de la musique châabi marocaine puis Abdelaziz Stati, la star ou Najat Aatabou, la « Lionne de l’Atlas ».
Infatigable, le châabi évolue, se transforme, se modernise, chaque génération se l’appropriant pour en offrir une lecture nouvelle. Il vit avec son temps et aujourd’hui, il s’enrichit de rythmes électroniques, de pop ou d’autotune, comme on peut l’entendre dans les morceaux de Zina Daoudia, la reine actuelle de ce chaâbi marocain moderne.
Les musiques savantes
La musique classique au Maroc, c’est avant tout la musique arabo-andalouse. C’est elle la grande musique savante du pays – bien que son histoire l’ancre essentiellement au Nord marocain (Fès, Tanger, Tétouan). La raison à ça est simple, puisque c’est au Nord qu’apparaît la musique arabo-andalouse au XIIe siècle lorsque des musulmans chassés de Grenade vinrent s’installer à Tétouan. Transmettant leur art à leurs hôtes, ils font naître ici et ainsi cette musique très codifiée, modale, dont les rythmes et les modes sont rigoureusement établis au sein des noubas, ces suites de pièces instrumentales et vocales.
Un bon point d’entrée pour découvrir cette musique est l’album sobrement intitulé Arabo-Andalusian Music of Marocco de la grande spécialiste Amina Alaoui. Autre remarquable interprète de musique arabo-andalouse, Bahaâ Ronda fait partie de l'orchestre Chabab al-Andalouss (sans doute le meilleur avec l’orchestre arabo-andalou de Fès) et fut l’élève du très révéré Ahmed Piro.
Le Maroc est aussi la terre natale de quelques grands solistes de oûd, toujours un plaisir à voir jouer en concert, dont Driss El Maloumi (natif d’Agadir) qui a beaucoup collaboré avec Jordi Savall, Azzouz El Houri, qui a été très présent sur les ondes belges ou Saïd Chraïbi qui a accompagné les plus grandes voix du monde arabe et a marié l’héritage arabo-andalou aux sonorités proche-orientales, turco-balkaniques, flamencas et même indiennes.
Moins courant, le classique occidental n’est pas complètement absent du Maroc. L’organe le plus prestigieux est de loin l’Orchestre philharmonique du Maroc (OPM). Fondé par Farid Bensaïd en 1996 (qui y officie en tant que violon solo) dans le but de doter le Maroc d'une formation symphonique de qualité, après trois décennies d’activité, l’ensemble peut se féliciter de son travail acharné, l’OPM s’est imposé comme un acteur majeur du paysage musical marocain.
Dans le domaine contemporain, le Maroc compte un très grand nom, Ahmed Essyad, pionnier du mélange de la musique sérielle et de la tradition berbère, dont on se souvient ici pour son opéra Héloïse et Abélard au Théâtre du Châtelet à Paris en 2001. Il est aussi l’auteur de Mririda, opéra inspiré de la poétesse berbère originaire du Haut-Atlas marocain, riche de ses connaissances en musiques amazigh du Maroc.
Les musiques actuelles
Existe-t-il un seul endroit sur Terre où ne s’est pas développée une scène hip-hop ? La question reste en suspens et en attendant de trouver une réponse, penchons-nous sur la foisonnante scène marocaine. Au commencement, il y eut H-Kayne, groupe pionnier des années 1990, devenu une telle référence dans le champ culturel marocain qu’il est un des seuls (si ce n’est le seul) collectifs hip-hop à être décoré de la Médaille de récompense nationale. Des icônes qui aux côtés de noms respectés comme Casa Crew et Bigg ont initié la première vague du hip-hop marocain.
Depuis, le genre n’en finit plus de compter de nouvelles vedettes : Shayfeen, Toto, Madd, 7Liwa, LBenj ou encore Nessyou… Tous ont imposé un style unique et dégagé des schémas habituels, engrangeant des millions de vues sur YouTube. De vrais phénomènes que les médias du monde entier s’arrachent. Porte-voix de la jeunesse, le genre est aussi populaire parce qu’il est un véhicule privilégié de ses questionnements, abordant ouvertement drogues, alcool, sexe…
Une scène en pleine ébullition à voir de près au Teatro, une des adresses les plus branchées de Marrakech.