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L’île celtique en mode libérale et mondialisée

L’Irlande, aujourd’hui, est un vrai pays libéral dans ce qu’il y a de meilleur, mais aussi dans ce qui est perfectible. L’Irlande est une démocratie stable fondée sur la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, dans laquelle les droits politiques et les libertés civiles sont respectés et défendus ; les élections sont libres et disputées entre plusieurs formations politiques. Son organisation politique est une démocratie parlementaire. Le pouvoir politique procède du peuple et de ses représentants, les députés. Le président est élu pour 7 ans, au maximum de deux mandats par le peuple irlandais. Le candidat qui remporte l'élection devient président de l’Irlande (Uachtarán na hÉireann) en prêtant publiquement le serment énoncé dans le Bunreacht na hÉireann. Le pouvoir est au Parlement qui vote la loi. Le président exerce son pouvoir sous-parlementaire. L’essentiel des décisions ou des initiatives du président sont soumises à l’avis conforme du gouvernement. Il est Chef des armées. C’est souvent un intellectuel, un universitaire, un membre de la société civile, incarnant les valeurs de l’Irlande. Il agite parfois les esprits, il aiguillonne. Il donne un sens, des orientations, il unit tous les Irlandais, il incarne la nation irlandaise. C’est aussi le visage de l’Irlande, de ses constances, de ses changements, de ses mutations. Par deux fois, le président fut une femme : Mary Robinson (1990-1997) et Mary McAleese (1997-2011). Mary Robinson a réuni un taux de soutien et d’approbation de sa politique spectaculaire de 93 %, inédit dans les autres démocraties. Elle insuffla des transformations sociétales importantes. Mary Robinson, qui est avocate, a participé à la dépénalisation de l'homosexualité, à la légalisation de la contraception, à la légalisation du divorce, à la possibilité pour les femmes de siéger dans des jurys et à l'obtention du droit à l'aide juridique dans les affaires civiles en Irlande. Elle fut le visage du renouveau irlandais, en se focalisant sur les Droits de l’homme, la démocratisation de l’exercice du pouvoir, sur l’environnement et l’aide au développement ou le développement économique. Mary McAleese fut la première présidente de la République née en Irlande du Nord. Actuellement, c’est Michael D. Higgins (D pour Daniel), ancien patron du Labour, ancien ministre de la Culture, qui terminera son second mandat en 2025. Des critiques portent sur son laxisme budgétaire et financier et son orientation socialiste. Doit-on aussi voir en Irlande la difficile transformation des partis historiques comme dans le reste de l’Europe ? 

La frontière, nœud gordien du Brexit

Le Brexit, donc la sortie de l'Europe de la Grande-Bretagne, peut rouvrir les blessures du conflit nord-irlandais. Que sépare, que signifie une nouvelle frontière entre la Grande-Bretagne et l’Europe ?

L’Europe est un grand marché avec des enjeux économiques importants, y adhérer, c’est bénéficier d’avantages, mais oblige en contrepartie à respecter des règles pour profiter de la libre circulation des personnes et des marchandises.

Encore une fois, la difficulté naît de l’obligation de mettre une frontière entre l’Europe et la Grande-Bretagne. La France connaît le problème avec la situation de Calais. Choisir où mettre la frontière de l’Europe, revient – malgré toutes les bonnes volontés mises en action – à prendre partie pour l’un ou pour l’autre. C’est sans aucun doute l’écharde qui restera dans le pied des négociateurs de l’accord de sortie de la Grande-Bretagne d’Europe. Il faut faire respecter les accords et obliger toutes les marchandises qui sortent de Grande-Bretagne, donc d’Irlande du Nord, de présenter des permis de circuler en règle. Les négociateurs ont apporté à la situation particulière de l’Irlande un accord particulier en deux temps successifs. Un premier accord : le protocole sur l’Irlande et l’Irlande du Nord, suivi d’un second accord, le protocole révisé sur l’Irlande et l’Irlande du Nord.
Le second accord viable fut signé et le 27 janvier 2020, à Belfast. Michel Barnier, le négociateur européen, a pu la résumer ainsi : « La solution dont nous sommes convenus permet à l’Irlande du Nord de continuer de faire partie du territoire douanier du Royaume-Uni tout en bénéficiant des avantages du marché unique. C’est un système viable, conçu pour durer. »

Le défi fut d’installer une frontière respectant les susceptibilités des deux États, le business, les taxes, séparant les marchandises et unissant les hommes. Belle gageure ! Cela suffira-t-il à poursuivre la réconciliation, voire à conduire à la réunion de l’Irlande ? Chacun en Irlande doit accepter de faire le bilan, et se forger un avenir commun. La République d’Irlande doit prouver qu’elle peut prendre soin de tous ses habitants. Sa modernisation, son économie florissante, emportent du nord au sud de l’île l’assentiment des jeunes d’Irlande qui aspirent à vivre ensemble en paix. L’exemple de la réunification de l’Allemagne enseigne le primat de la performance économique : encourager et garantir le succès, dans les faits, de cette mutation idéalisée. La préparation politiquement, sociologiquement, sans idéologie, sans rancune, sans précipitation. Le Brexit pourrait-il contrarier le succès de cette mutation ? 

Difficilement gagné, il faut conforter son statut d’Européen

La république d'Irlande, son gouvernement, sa population, restent favorables à l’Union européenne. Tous, ou presque, apprécient et sont réellement et profondément européens.

À la création du marché commun, les difficultés, les doutes d'accueillir l’Irlande, dans cette Europe de 1957, tenaient surtout au statut de jeune nation, à peine libérée de la Grande-Bretagne et à son économie.

L'Irlande accède à l'indépendance en 1922 et l'Irlande du Nord quitte le nouvel État libre dès sa création. La Constitution républicaine de l'Irlande est adoptée 1937, mais ce n’est qu’en 1949 que l'Irlande se déclare officiellement république. La France resta longtemps contre l’adhésion, trouvant l'île trop fragile et trop proche encore de la Grande-Bretagne. Une situation-piège, car elle obligeait l’Irlande à rester proche de la Grande-Bretagne, peu encline à faire le grand saut. Tous les gouvernements irlandais signifiaient régulièrement leur volonté d’adhérer au Marché commun. La Grande-Bretagne n’avait aucun élan européen, mais allait bien devoir reconnaître que ce grand marché commun était un atout économique. Au premier signe indiquant que la Grande-Bretagne sentait un intérêt de rejoindre l’U.E., l’Irlande poursuivait son opération de séduction. Rien ne fit craquer le général de Gaulle, bien que fier de ses ancêtres irlandais (MacCartan du Comté de Donw). Il faudra attendre 1973 pour que la république d’Irlande intègre l’Europe.

L’Irlande, comme tous les membres qui intègrent l'U.E., a bénéficié d’aides économiques qu’elle a ingénieusement utilisées. Misant sur l’éducation et l’emploi, l’Europe pour l’Irlande fut un véritable tremplin. Depuis, elle est devenue le numéro deux, derrière le Luxembourg. Malgré les crises, l’Irlande a remboursé les prêts européens et est contributeur net depuis 2014. En 2022, l’Irlande commence à retrouver une meilleure santé économique après la crise de 2008. Le Brexit a ouvert de nouveaux marchés permettant à l’île de reprendre à la Grande-Bretagne des parts du marché européens en direct : transports, négoces de vins, de fruits, d’Europe continentale, élargissement des débouchés pour son marché agricole. Les taxes sur les produits britanniques rendent l’Irlande plus compétitive.

L'économie mondialisée de l'Irlande est aussi fortement dépendante des investissements des multinationales américaines : 700 entreprises américaines ont des investissements en Irlande, employant presque 150 000 personnes, ce qui rapporta en 2017, 4,25 milliards d'euros au Trésor irlandais. L'Irlande est bien dans l'E.U. Jouant sur les mots du discours de Mary Harney, alors Ministre des entreprises en juillet 2001 : on peut s'interroger au vu des chiffres de l'économie irlandaise. Quelle serait la réponse à la question : l'Irlande est-elle plus proche de Boston ou Berlin  ? Boston rappelant bien sûr, John Kennedy, premier Président américain catholique d'origine irlandaise.   

Irlande, terre d’accueil, mythe ou réalité ?

Si la convivialité irlandaise est légendaire – à tel point que l’office de tourisme en avait fait son slogan : « Vous êtes venu pour l'Irlande, vous reviendriez pour les Irlandais » –, qu’en est-il de l’intégration des migrants ?
La relative bonne santé de l’économie irlandaise, sa notable convivialité ont fait de l’Irlande, depuis une dizaine d’années, une destination d'immigration très populaire. L’Irlande a mis au point un système d'immigration conçu pour permettre aux immigrants hautement qualifiés de travailler facilement. Qu’en est-il pour les autres ?

Souvent, à la suite de catastrophes, de guerres, les Irlandais sont généreux et accueillent volontiers. Les problèmes d’intégration peuvent survenir à long terme. La pénurie de logements est un problème en Irlande. L’immobilier coûte cher et se loger devient de plus en plus difficile. Auparavant, il était possible de trouver d’agréables colocations dans de très belles demeures victoriennes en cœur de ville. Elles sont rendues de plus en plus rares, car les propriétaires succombent à la tentation du gain touristique et de la location à court terme. Airbnb Irlande atteint un taux de croissance de 200 % annuellement. La générosité de l’urgence cachera-t-elle longtemps la difficulté d’intégration pour tous à long terme ?

L’île émeraude toujours plus verte et plus tech

L’histoire de son peuple, sa petite taille et la jeunesse de sa population lui donnent aussi de belles occasions de tester le changement. L’Irlande fut plus d’une fois à l’initiative de mesures fortes que l’on qualifiait d’impossible à mettre en place. 

At least but not least, le futur de l’Irlande doit être technologique et écologique ! L’Irlande a lancé un programme très ambitieux d’indépendance énergétique et d’investissements écologiques.
Le gouvernement de la république d’Irlande a voté un plan d'action pour le climat qui engage l'Irlande à atteindre un objectif juridiquement contraignant de zéro émission nette de gaz à effet de serre au plus tard en 2050, et une réduction de 51 % d'ici à 2030. Ces objectifs constituent un pilier essentiel du programme de gouvernement. L’Irlande souhaite devenir un pionnier indépendant énergiquement et un modèle pour l’environnement. Ces programmes créeront de nombreux emplois dans les secteurs de l’écologie et de l’énergie.
L’Irlande, dans l’Atlantique, peut y parvenir si, comme elle l’a décidé, elle finance et offre à toutes les filières concernées les moyens de la recherche et de la transformation : éolien en mer, éolien sur terre, le vent ne manque pas en Irlande. C’est autour de l’eau douce ou de mer que se trouvent les solutions. L'Irlande possède l'une des plus grandes ressources d'énergie hydroélectrique de la planète. C’est une réserve d’un potentiel de développement de plus de 12,5 gigawatts de capacité d'énergie houlomotrice (énergie des vagues) au large des côtes irlandaises, ce qui représente plus de deux fois le pic de demande d’électricité. Il est également possible, grâce à la mer, de créer des centrales marémotrices et osmotiques. Au début du XXIe siècle, l’Irlande peut contenir le chômage et conserver sa jeunesse au pays, grâce à la qualité des universités et des nombreux centres de recherche et développement. Le gouvernement prend soin d’imposer l’implantation de centres de R & D aux entreprises qui viennent profiter des conditions d’installation avantageuses : population anglophone, population formée et compétente professionnellement, taxes et fiscalités connues et stables dans le temps, ce qui rassure les investisseurs et crée la confiance dans l’avenir. Il est moins intéressant économiquement de voir s’installer des chaînes de production trop souvent, trop vite concurrencées et trop facilement délocalisées dans des pays au coût du travail plus bas.
Les Irlandais semblent confiants. À la question : « Les politiques de lutte contre le changement climatique sont-elles une bonne nouvelle pour l'économie ? », 53 % affirment que la transition écologique sera une source de croissance économique. 59 % des Irlandais pensent que l’impact sur le niveau d’emploi sera positif. Toutefois, 72 % pensent que leur pouvoir d'achat diminuera avec la transition écologique…
Alors on y croit ? En Irlande, la tech, c’est vert et c’est chouette !