Les musiques et danses traditionnelles
Peut-être est-ce l’unification tardive, mais l’Italie compte des traditions musicales très hétérogènes sur l’ensemble de son territoire. Chaque région cultive son esthétique propre, au caractère bien trempé, reflet de son histoire et pétrie par sa culture et son dialecte. Un des aspects distinguant les traditions musicales du Nord et du Sud est la prédominance de chants choraux et de formes polyphoniques dans le Nord. C’est particulièrement frappant en Lombardie, en Ligurie ou dans le Frioul.
Dans les vallées piémontaises, la musique a enregistré des influences occitanes, palpables notamment dans l’utilisation des flûtes à six ou sept trous (fiffaro) ou de la gaïta (une cornemuse appelée ici piva).
Les groupes folkloriques locaux sont connus pour l’approche ethnomusicologique de leur pratique. L’un d’eux, La Ciapa Rusa, a acquis une importante notoriété en collectant et enregistrant la tradition musicale rurale. Le groupe a ainsi participé à sauvegarder des danses anciennes comme les monferrine, alexandrine, curente ou sestrine. Si le groupe se sépare à la fin des années 1990, certains de ses membres forment alors Tendachënt, nouvel orchestre animé par une ambition similaire de transmettre aux jeunes générations et donc de préserver et moderniser le répertoire traditionnel. Dans la même région, le groupe Tre Martelli a accompli une mission très similaire en axant son répertoire autour de ses recherches ethnomusicologiques. En quatre décennies d’activité et une dizaine d’albums, le groupe apparaît comme une véritable institution locale.
En Lombardie, des traditions comme les polyphonies de la vallée du Pô ou les chansons archaïques des Apennins ont trouvé refuge dans les œuvres du groupe Barabàn, qui tente de les moderniser avec tendresse et sensibilité. On peut entendre dans leur musique des instruments populaires de l’Italie du Nord, tels que le piffero (un hautbois), la müsa (une cornemuse) ou encore la vielle à roue.
En Vénétie, on retrouve une situation similaire avec le groupe Calicanto et l’Orchestre populaire des Dolomites qui, tous deux, produisent des œuvres visant, elles aussi, à préserver et dynamiser le répertoire de la région.
Dans le nord-est de l’Italie, voisinage oblige, la musique du Frioul-Vénétie Julienne trahit des accents prononcés d’Autriche et de Slovénie - et notamment des variations de la valse et de la polka dans les danses traditionnelles. C’est aux alentours du XVe siècle qu’apparaît la grande tradition de la région : la villotta. Polyphonique, reposant sur trois ou quatre voix, ce chant est élaboré à partir d’un court texte poétique et n’hésite pas à recourir à l'improvisation pour étirer la chanson le plus longtemps possible. Les thèmes sont souvent très basiques et abordent l’amour, la nature, la guerre mais aussi, bien sûr, la terre natale.
Côté danse, le trésor local est la bien nommée forlane. Vive, articulée sur deux temps, cette danse de couple tout en sautillements s’approche d’une gigue. Elle est une des danses les plus importantes jusqu'au XVIIIe siècle et s’impose même comme une danse de cours en France. Certains mélomanes l’ont peut-être déjà remarquée dans des compositions de François Couperin (Quatrième Concert Royal en 1722), Jean-Philippe Rameau (Les Indes galantes, 1737) ou même Mozart dans Bastien et Bastienne (1768). En France, la forlane devient furlane au début du XXe siècle mais ne survit pas à la Première Guerre mondiale, faute d’intérêt.
Comme mentionné précédemment, la Ligurie est une terre de voix. Et rien sur place n’en témoigne mieux que le trallallero. Ce chant polyphonique typique de l'arrière-pays génois se pratique a capella, l’harmonie naissant du contraste et de l’amalgame continu entre les voix. Le terme « trallalero » est une onomatopée, le support de la structure des chansons étant donné par la répétition de syllabes dénuée de sens, dont le seul intérêt est la consonance musicale. Purement masculin, le trallalero est un art de la spontanéité, il est tout sauf rare de voir des chanteurs improviser en groupes sans se connaître - au sein de « bœufs » nommés « arrecheugeiti » - dans les rues de Gênes ou de voir des ensembles connus (comme Giovani Canterini di Sant’Olcese) en chanter ici ou là.
À noter qu’ici aussi on joue de la müsa et du piffero, maniés à la perfection par des musiciens tels qu’Ettore Losini ou Stefano Valla.
On trouve dans les Marches une danse traditionnelle appartenant à la grande famille des danses paysannes, dont font aussi partie la fameuse tarentelle et la zumbarella : le saltarello. Native du centre de l'Italie au XIIIe siècle, cette danse de couples figure les jeux de l'amour et de la séduction avec des pas rapides et sautillants. Toujours très populaire aujourd’hui, elle ponctue les fêtes ou les mariages et fait le bonheur des manifestations folkloriques. Elle est par ailleurs encore enseignée dans les écoles de danse.
Également caractéristique de la région, le stornello est une poésie simple et improvisée, à la saveur souvent satirique et s’approchant formellement d’une comptine.
Du côté de l’Ombrie, les danses typiques de la région telles que sor cesare, punta e tacco, trescone, lo schiaffo et la manfrina sont toujours vivantes, notamment grâce au travail de groupe folklorique comme Agilla e Trasimeno. Actif depuis les années 1950, ce dernier s’est fixé pour objectif de maintenir vivantes les traditions des zones côtières du lac Trasimène.
La Festa dei Ceri (« Fête des cierges ») est l'un des plus anciens événements folkloriques d’Italie. Se tenant tous les 15 mai à Gubbio, il offre un bon point de vue sur les traditions de la région. L’influence du stornello, tradition des Marches mentionnée précédemment, imprime d’ailleurs la chanson populaire émilienne, au sein d’une forme plus chorale et lyrique.
Le Liscio est la danse de couple qui a déchaîné les passions de générations en générations en Émilie-Romagne et forme en conséquence, une partie de l'identité de cette terre. Son histoire remonte au XIXe siècle, époque où l’Italie appréciait particulièrement la valse, la polka et la mazurka. Ce sont ces trois danses, dans lesquelles a infusé la tradition musicale locale, qui vont donner forme au liscio. Son nom, signifiant littéralement « lisse », fait référence aux mouvements des danseurs dont les pas semblent glisser en douceur. Si le fondateur du genre est Carlo Brighi, le musicien qui a propagé la danse dans tout le pays est Secondo Casadei (1906-1971), le « Strauss de Romagne » Aujourd'hui encore, la famille Casadei contribue à la diffusion de la musique folklorique traditionnelle de Romagne grâce au travail de tous ses membres.
En Toscane et à Florence plus particulièrement, les chansons populaires ont une grande importance dans le paysage traditionnel. On trouve aussi bien des berceuses que des chansons de travail ou des chansonnettes, témoignages importants de la mémoire toscane où sont renseignées les coutumes, les habitudes et la vie sociale des différentes époques. La chanson populaire florentine a été réévaluée au fil du temps grâce aux recherches d’ethnomusicologues comme Claudio Malcapi ou Caterina Bueno. Le premier a notamment fondé en 1970 le Coro La Martinella, ensemble choral, interprète le plus important de la tradition locale. Quant à la seconde, Caterina Bueno, son activité de chanteuse permit de donner vie à ses recherches ethnomusicologiques - ces dernières ayant notamment sauvé de l’oubli de nombreuses chansons populaires de la Toscane et de l'Italie centrale, transmises jusqu’ici oralement.
La musique classique
Rossini, Donizetti, Verdi puis, plus tard, Puccini… Quand on remarque que les grands esprits musicaux du XIXe siècle - ceux qui incarnèrent l’esprit de liberté du Risorgimento et donnèrent ses lettres de noblesse au grand opéra romantique italien - viennent d’ici, on mesure le poids du nord de l’Italie dans le paysage musical du pays. Et du monde.
Sa réputation musicale, l’Italie du Nord la doit en grande partie à la fertilité des terres lombardes. C’est notamment ici, à Milan, que la Scala, le plus fabuleux opéra d’Italie (et le principal), est installé. Bâti en 1778, ce théâtre légendaire est une des scènes lyriques les plus respectées du monde, accueillant chaque saison le très haut du panier musical.
C’est aussi d’ici que sont originaires les plus grands représentants italiens de la direction d’orchestre : Claudio Abbado (1933-2014) ou Riccardo Chailly (tous deux passés à la tête de La Scala) sans oublier Daniele Gatti. Le premier, inoubliable, demeure comme une des plus grandes références italiennes. Installé à la tête de la Scala à tout juste 35 ans, il lui fait entamer une mue en enrichissant son répertoire et en cherchant à l’ouvrir à un nouveau public. Successivement directeur de l’Orchestre symphonique de Londres et de l’Opéra d’État de Vienne, avant de succéder à Karajan à la tête de l’Orchestre philharmonique de Berlin, le nom de Claudio Abbado reste étroitement attaché à d’autres aussi illustres de son temps comme Martha Argerich ou Zubin Mehta.
Le second, Riccardo Chailly, est lui aussi un talent précoce. Âgé d’à peine vingt ans, il devient l’assistant de Claudio Abbado à la Scala. Un tremplin qui le propulse vers les plus prestigieuses institutions musicales comme le DSO Berlin, l’Orchestre philharmonique de Londres et l’Opéra de Leipzig avant de revenir à la Scala en 2017, en tant que directeur musical cette fois-ci. Un retour aux sources et une consécration. Chailly a également été à la tête de l’Orchestre symphonique Giuseppe Verdi de Milan, moins connu bien qu’excellent et explorant un répertoire allant de Bach aux grands noms du XXe siècle. Installé dans l'Auditorium di Milano Fondazione Cariplo, il est une bonne alternative à la Scala pour voir un bon concert à Milan sans se ruiner.
Dernier mais pas des moindres, Daniele Gatti est un habitué des louanges. Aussi habile dans le domaine de l’opéra que de la symphonie, il a été maintes fois salué pour la finesse de ses interprétions. Un talent bien connu du public français puisqu’il a été directeur musical de l’Orchestre National de France entre 2008 et 2016 avant de prendre la direction du prestigieux Concertgebouw d’Amsterdam.
Au nord-est de Milan, à Bergame, c’est le grand compositeur des opéras romantiques Lucie de Lammermoor, Don Pasquale et l’Elixir d’amour qui fait la fierté des habitants : Gaetano Donizetti (1797-1848). La grande scène locale est baptisée en son honneur, le Teatro Donizetti et le grand rendez-vous musical de la ville, le Bergamo Musica Festival, le joue chaque saison.
Plus au sud, dans la vallée du Pô, la ville de Crémone est non seulement réputée pour sa lutherie mais aussi pour être la ville natale de Claudio Monteverdi (1567-1643), auteur d’Orfeo, considéré comme le premier opéra. Mais si Orfeo est établi comme la première œuvre d’opéra, c’est pourtant à Florence que l’on situe la naissance du genre, lorsque les compositeurs Jacopo Peri et Ottavio Rinuccini collaborent en 1598 à une œuvre intitulée Dafne dont il ne reste que quelques fragments aujourd’hui. Trop peu pour ravir la place de premier opéra à Orfeo. C’est aussi à Florence qu’est installé le Teatro Verdi, une véritable institution nationale du spectacle, accueillant de la musique symphonique, de chambre, ainsi que des ballets ou des opéras, depuis plus de 150 ans.
Dans le Piémont, le Teatro Regio de Turin est la grande institution locale. Magnifique lieu chargé d’histoire, il s’est imposé avec le temps comme l’un des principaux temples mondiaux de l’opéra. La première de La Bohème de Puccini fut donnée ici en 1896 en présence du roi Victor-Emmanuel II. Détruit par un incendie en 1936, seule sa façade est d’origine et date de 1738. Sa saison musicale est un incontournable de la vie culturelle turinoise tout comme celle de l’orchestre symphonique national de la RAI, dirigé depuis 2021 par Fabio Luisi qui a pris la suite de James Conlon. Sa programmation est à surveiller de près car elle regorge de bonnes surprises. Chaque année, la ville organise conjointement avec Milan un festival de musique très couru appelé Mito Settembre Musica qui propose des concerts de grande qualité à petits prix (classique, jazz, rock). Notons également que dans la région des lacs, les Semaines Musicales de Stresa (au bord du lac Majeur) et le Festival Cusiano di Musica Antica, important festival de musique baroque du très beau lac d’Orta, sont des rendez-vous plus que susceptibles de séduire les mélomanes de passage.
La Vénétie possède elle aussi une histoire musicale particulièrement copieuse. En parallèle de la peinture, il y a aussi eu une école vénitienne en musique. À l’aube du XVIe siècle, Venise s’impose une ville essentielle de la vie musicale européenne, succédant à Rome dont l’attractivité pour les artistes décline après le sac de 1527. Ville prospère, dont le succès repose sur une grande stabilité politique, Venise devient rapidement un pôle important pour l’édition de partitions musicales. Les compositeurs affluent dès lors de toute l’Europe pour bénéficier de cette innovation et particulièrement de Flandre, ce qui explique pourquoi ce sont des Flamands qui sont les premiers représentants de cette école vénitienne (Jacques Buus et surtout Adrian Willaert, qui a importé à Venise le style polyphonique de l'école franco-flamande). Son paroxysme, Venise va le connaître trois décennies plus tard avec la naissance d’un prodige du violon et compositeur mondialement admiré de la période baroque que l’on ne présente plus : Antonio Vivaldi (1678-1742). Contemporain de ce dernier, mais resté dans son ombre, Tomaso Albinoni est l’autre grand compositeur vénitien du baroque italien. Chez les contemporains, c’est Luigi Nono (1924-1990) le grand compositeur de la Sérénissime, figure italienne du sérialisme et des musiques aléatoire, concrète ou électronique. La Venise d’aujourd’hui a conservé toute son aura musicale et multiplie les lieux merveilleux où écouter de la belle musique. Outre l’incontournable Fenice, des scènes comme celle du Teatro Malibran peuvent composer des affiches particulièrement prestigieuses. À noter qu’en Vénétie, le Festival de Vérone propose des représentations grandioses dans des arènes romaines.
Si la Ligurie n’a jamais tenu une place centrale dans l’histoire musicale nationale, une grande figure génoise ne doit surtout pas être omise : Niccolò Paganini (1782-1840). Violoniste virtuose - même qualifié de « plus grand violoniste de tous les temps » -, Paganini a révolutionné la façon de jouer de son instrument. Compositeur fabuleux, il a influencé de nombreux autres musiciens romantiques - à commencer par Liszt - et ses Caprices demeurent encore aujourd’hui, un passage obligatoire pour n’importe quel violoniste souhaitant démontrer toute sa majesté technique. Dans la composition contemporaine, c’est Luciano Berio (1925-2003), natif de Ligurie, qui a marqué la musique nationale de sa modernité avec son exploration des potentialités de la technologie en musique.
Si l’histoire musicale des Marches et d’Ombrie apparaît relativement calme et timide, quelques noms notables l’ont jalonnée à commencer par Gioachino Rossini (1792-1868), un des plus grands compositeurs d’Opéra du XIXe siècle, auteur de quelques œuvres immortelles comme Le Barbier de Séville, La Cenerentola ou La Pie voleuse. Un certain Giovanni Battista Draghi, plus connu en tant que Jean-Baptiste Pergolèse (1710-1736), est également natif de la région (Jesi, dans la province d’Ancône). En dépit d’une courte carrière, il est parvenu à s’inscrire comme un compositeur remarqué de la période baroque avec des œuvres comme Lo Frate 'nnamorato (« Le Frère amoureux ») ou Il Flaminio qui l’ont imposé comme un cador de l'école napolitaine et de l'opera buffa.
La musique populaire
Le monde entier connaît la chanson italienne et ses tubes éternels - comment ne pas frissonner à l’écoute de Come Prima, immense carton des années 1950 (repris ici par Dalida) ? Le nord du pays a été le berceau de nombreuses vedettes de la chanson nationale, certains parvenant à faire traverser leur réputation de l'autre côté des Alpes. C’est à Florence que naît Carlo Buti, la « Voix d'or d'Italie », première grande vedette italienne de la variété (dans les années 1950), sorte de Frank Sinatra italien auteur d’un millier de chansons. À la même époque, Mina (1940), la Dalida lombarde, entame une carrière qui va comporter une inégalable quantité de bijoux (Une anno d’amore et Cittá Vuota sont à écouter et réécouter d’urgence). Puis, pêle-mêle, naîtront à Milan le célébrissime crooner Adriano Celentano, à Turin, Umberto Tozzi connu pour son lancinant Ti amo, en Toscane, Gianna Nannini (la voix rauque qui chantait I maschi), en Émilie-Romagne, Laura Pausini et sa Solitudine, énorme succès commercial, ou encore Andrea Bocelli, le ténor aveugle aussi bien à l’aise dans le classique que la variété ou le folklore napolitain. Et dont le monde n’oubliera sans doute jamais son Con te partirò…
Outre ces champions de la chanson, le nord de l’Italie a connu deux mouvements suffisamment importants pour être mentionnés. Le premier apparaît dans les années 1960, à Gênes, lorsque émerge une nouvelle vague d’artistes en rupture avec la chanson italienne de son temps. Surnommée la Scuola Genovese (l’école génoise), elle s’inspire autant des auteurs de la Beat Generation (Ginsberg, Kerouac, Burroughs) ou italiens (comme Pavese) que de la musique folk américaine (Bob Dylan en tête). Portée par l’ébullition contre-culturelle de leur temps, ces cantautori (le terme italien pour désigner les chanteurs auteurs-compositeurs-interprètes) chantent leur ville, Gênes, et leur pays avec une nostalgie douce-amère. Engagés, réalistes, modernes, Gino Paoli, Luigi Tenco et Fabrizio De André (pour ne citer qu’eux) ont largement participé à bousculer les perspectives de la chanson italienne.
Dans un second temps, dans les années 1970, la musique populaire frioulane commence à adopter les codes de genres d’ici et d’ailleurs comme la folk américaine, le blues ou la pop et redonne une seconde jeunesse à la poésie frioulane. Cette vague, véritable renouveau folklorique nommé Nuova Musica Friulana (nouvelle musique frioulane), a donné naissance plus tard à des fiertés locales comme Lino Straulino, qui explose dans les années 1990 en expérimentant beaucoup avec la langue frioulane.