Prémices d’une histoire du cinema italiano
Dès 1896, les opérateurs Lumière sillonnent les grandes villes du nord de l’Italie, où la diffusion des premiers films est exponentielle. C’est d’ailleurs à Turin que fut organisée la toute première projection de l’histoire du cinéma italien, et là que se sont installées les premières salles de cinéma, puis les premiers studios. À Venise, le Français Alexandre Promio réalise en 1896 le Panorama du Grand Canal pris d’un bateau. Quarante secondes de cinéma qui sont également l’occasion de découvrir un Grand Canal vénitien quasi intemporel. À Gênes, les cinéastes des premiers temps capturent les joutes nautiques en 1904. Puis, en 1912, c'est la ville tout entière qui fait l'objet d'un documentaire, où vous découvrirez la Piazza Corvetto, la Lanterna et le château de Gênes tels qu'ils étaient il y a plus de cent ans. Le cinéma italien va rapidement devenir l’un des plus prolifiques de l’Europe, voire du monde. C’est en Italie que naissent les premiers films historiques en costumes, bientôt suivis par les péplums. Quo Vadis (1913) et Cabiria (1914) sont les deux films les plus importants de cette période. En plus d’être parmi les premiers longs-métrages de l’histoire du cinéma, l’ambition et les moyens mis en œuvre pour réaliser ces films dépassent l’entendement, et vont inspirer des dizaines de cinéastes comme David W. Griffith. En parallèle, les adaptations cinématographiques de théâtre sont nombreuses, autant dramatiques que comiques. La Commedia dell’Arte n’est pas loin. Petit à petit, et avec la montée du fascisme de Mussolini, le cinéma va se rapprocher de Rome, et les sociétés de production vont progressivement déserter l’Italie du Nord. Après la guerre, la production cinématographique se concentre autour de Cinecittà.
De Sica, Fellini, Rossellini, Visconti et les autres
Les ouvrages ne manquent pas sur les grands maîtres du cinéma italien, et la plupart d’entre eux ont posé leur caméra dans les villes du nord de l’Italie. Ainsi, Vittorio De Sica tourne son premier long métrage Les Enfants nous regardent dans la station balnéaire d'Alassio, en 1943 et 1944. Drame humain, le film annonce déjà la veine néoréaliste du cinéaste du Voleur de bicyclette (1948) pour ne citer que l'un de ses chefs-d'œuvre. Trois ans plus tard, il est à Milan pour tourner Miracle à Milan, une fable où s'opposent la pauvreté et la richesse, avec toute la poésie qui fait la force de l'artiste. La scène finale, tournée le 5 janvier 1951 sur la piazza Duomo avec des centaines de comédiens et de figurants amateurs, est sans doute l'une des plus belles du cinéma italien : la clôture grandiose d'un film qui vaudra à De Sica la Palme d'Or au Festival de Cannes, la même année. Toujours à Milan, Luchino Visconti tourne Rocco et ses frères (1960), avec Alain Delon, Annie Girardot et Claudia Cardinale. Une relecture de la ville du point de vue des survivants de la Seconde Guerre mondiale, immigrés de force dans cette cité qui ne veut pas d'eux. Parmi les lieux les plus reconnaissables, vous retrouverez la Gare centrale de Milan, le Duomo au sommet duquel Rocco et Nadia se retrouvent, mais aussi le piazzale Lugano. Les deux amoureux prendront par ailleurs deux jours de repos du côté de l’Hotel Gran Bretagne, à Bellagio, au bord du lac de Côme. À Milan encore, Antonioni réalise La Nuit en 1961, suivi de Pier Paolo Pasolini pour son impressionnant Théorème en 1968. Hautement iconoclaste, ce film lui vaudra la censure dans de nombreux pays. À l’est, Venise et Trieste accueillent chacune Visconti pour le superbe Mort à Venise (1971). L’action de ce drame captivant adapté de l'œuvre de Thomas Mann se déroule principalement dans la cité lacustre, mais Visconti utilisera également la gare de Campo Marzio de Trieste pour représenter l’ancienne gare de Venise. Du côté de l’Ombrie, c’est la région de Pérouse qui est la principale muse des cinéastes, à commencer par Fellini. En 1952, il intègre l’opéra de Spolète à son film Le Cheik blanc. En 1966, Pier Paolo Pasolini et Vittorio De Sica tournent aussi tous deux non loin de Pérouse. Le premier réalise Les Oiseaux, petits et grands (1966), avec Totò dans le rôle principal, tandis que le second met en scène Le Renard s'évade à trois heures (1966), avec le grand Peter Sellers (Docteur Folamour, La Panthère rose, entre autres). On n’est plus très loin des années 1970, avec une nouvelle génération de cinéastes et de nouveaux styles. Dario Argento et ses acolytes lancent le courant du giallo, Nanni Moretti et Roberto Benigni revisitent la comédie italienne chacun à leur manière. Certes, le cinéma italien ne dispose plus des moyens d’antan, mais certaines figures s’exportent toujours à l’international. Récemment, La Grande Bellezza de Paolo Sorrentino (2014) a remporté l’Oscar du meilleur film étranger, alors que les œuvres de Matteo Garrone ou Luca Guadagnino déplacent les foules et ravissent les critiques.
Des décors de cinéma à chaque coin de rue
À Venise, vous ne saurez plus où tourner la tête tant chaque bâtiment pourra vous rappeler les grandes scènes des nombreux films internationaux qui ont fait halte dans la cité lacustre. Ce n’est d’ailleurs pas un, mais deux épisodes de James Bond qui ont été tournés à Venise, respectivement Moonraker en 1979, et Casino Royale en 2006. Jean-Paul Belmondo a également fait halte à Venise pour le tournage du Guignolo, également 1979, tandis que Tom Hanks foule la place Saint-Marc à plusieurs reprises dans Inferno (2016), adapté du livre éponyme de Dan Brown.
Dans la Trieste voisine, James Bond a aussi fait son apparition, sous les traits de Timothy Dalton pour Tuer n’est pas jouer (1987). Bond s'aventure dans le passo di Pramollo, sur les hauteurs d'Udine, pour une course-poursuite dont seule la saga a le secret. Quelques années plus tôt, c’est le mythique Parrain II (1974), tourné entre l’Italie et les États-Unis, qui utilise Trieste comme décor. En lieu et place du bureau des immigrations d’Ellis Island, c’est l’ancien marché de la Pescheria Centrale, sur la riviera de Trieste, qui sert de lieu de tournage à cette scène-clé du chef d'œuvre de Francis Ford Coppola. Tout récemment, la série Borgias (2014) a établi ses quartiers dans deux des châteaux de la région, à Villalta et à Gorizia.
Envie de poursuivre votre périple sur les traces de l’agent 007 ? Rendez-vous sur les bords du lac de Côme, où de nombreuses productions ont par ailleurs amené leurs équipes. Ainsi, la Villa del Balbianello a été l'un des décors marquants de l'Attaque des Clones (2002), épisode 2 de la saga Star Wars. Quatre ans plus tard, c'est au tour de Daniel Craig et d'Eva Green de s'y ressourcer dans Casino Royale, encore. Preuve s'il en fallait que cette villa – accessible au public – est un véritable havre de paix. À quelques kilomètres de là, la villa Balbiano a quant à elle accueilli le tournage de House of Gucci (2021) de Ridley Scott, où Lady Gaga donne la réplique à Al Pacino et Jared Leto. Au-delà des lacs de Côme et de Garde, rendez-vous dans la province toute proche de Crémone, où le réalisateur Luca Guadagnino a réalisé son plus grand succès en date, Call Me by Your Name (2017). Une coproduction internationale avec Armie Hammer et Timothée Chalamet dans les rôles principaux, qui remporte l'Oscar du meilleur scénario après avoir empoché quatre nominations dont celle du meilleur film. Une très belle histoire d'amour dans l'Italie des années 1980, où le cinéaste met à contribution toute la beauté des paysages lombards, des Grottes de Catulle à Sirmione en passant par la beauté du Sanctuaire de la Madonne dei Prati à Moscazzano et les décors urbains de Bergame, Lodi et la ville de Crema elle-même. En vous promenant dans les rues de Crema, arrêtez-vous et prenez un verre devant l'Arche de Torrazzo, à l'image des protagonistes du film. Vous n’êtes pas au bout de votre périple de cinéma en Italie.
Du musée au tapis rouge
Inauguré en 1953, le musée national du cinéma de Turin, abrité dans la Mole Antonelliana, est la plus grande institution d’Europe de ce type. Dépassant les 1 800 000 entrées, le musée regorge de pépites pour les cinéphiles, dont l’idole originale utilisée dans Cabiria. Son ascenseur panoramique est tout simplement spectaculaire, et vous pourrez vous perdre des heures dans les couloirs de ce lieu magique. Turin accueille également depuis quarante ans un festival du film, parmi les plus grands d’Italie. Un événement hivernal, loin d’être la seule manifestation de ce type dans la région. De la Ligurie aux Marches, vous ne serez pas en manque de cinéma. Un éventail très large, qui va des projections en plein air estivales de Sestri Levante jusqu’aux salles obscures du Cinema Mexico de Milan, autrement appelé Rocky Horror Picture House, où ce film devenu culte passe tous les vendredis depuis 1976.
Mais la manifestation la plus prestigieuse de la région est sans aucun doute la Mostra de Venise, qui se tient chaque année dans la ville, à la fin de l’été. Festival le plus vieux du monde, la Mostra est fondée en 1932 et qui fêtera prochainement ses quatre-vingt-dix ans. Elle est l’un des festivals les plus reconnus par la critique internationale, au même titre que Cannes, Berlin, Toronto ou Sundance. Et sa plus haute distinction, le Lion d’Or, l’une des plus convoitées par les cinéastes du monde entier. Le palais du cinéma, qui abrite le festival depuis 1937, est un des hauts lieux du septième art italien, juché sur le Lido. Il vous faudra cependant vous munir de patience si vous souhaitez fouler le tapis rouge. Avec plus de 60 000 festivaliers et 2 000 journalistes, les places sont chères pour découvrir en avant-première les films qui feront prochainement le bonheur des amateurs de cinéma d’auteur et indépendant. Ce qui n’empêche pas de croiser les grands noms du septième art au détour d’une terrasse, ou sur le vaporetto qui relie la ville au Lido. Une expérience de cinéma unique.