Les sept facettes amérindiennes
Ce qui frappe au Panamá, c'est la diversité de ses peuples dits « premiers », « autochtones » ou « indigènes », mais aussi leur lutte constante pour la reconnaissance de leurs droits ancestraux, et ce dès l'arrivée des Espagnols dans l'isthme au XVIe siècle. La conquête, violente et désastreuse, bouleversa leur vie communautaire, leurs croyances et rapports avec la terre, générant des déplacements forcés et une discrimination sporadique. Aujourd'hui, sept groupes amérindiens distincts représenteraient autour de 8 % de la population. Grâce à une résistance exemplaire, leurs droits sont reconnus par la Constitution et un ensemble législatif qui précisent les contours de six régions autonomes appelées « comarcas ». Une reconnaissance étatique renforcée par l'adoption, en 2007, de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Un arsenal foncier et juridique sensé les prévenir de tout changement relatif aux frontières ou à la gestion de ces territoires, mais qui dans les faits se trouve malmené par des intérêts économiques avides des richesses de leurs sous-sols. Un enjeu qui vient fragiliser la précarité existante de ces communautés qui appartiennent, pour nombre d'entre elles, aux classes les plus défavorisées du pays.
Les Guaymí regroupent les Ngäbe et Buglé (ou Bokotá) comptant environ 225 000 individus. Fortement liés car ils partagent les mêmes rites, se vêtissent de la même façon et sont soumis au même cacique, des différences persistent quant à leurs langues, croyances et références spirituelles.
Les Ngäbe, plus nombreux, sont répartis sur trois provinces (Chiriquí, Bocas del Toro, Veraguas) dans des zones parfois peu accessibles, au cœur de la comarca Ngäbe-Buglé qui leur a été concédée en 1997. Initialement fondées sur les échanges et le travail coopératif, ces communautés n’ont souvent pour vivre que les fruits modestes d’une agriculture de subsistance, parfois agrémentée d’élevage ou de pêche. Et si beaucoup travaillent dans les plantations, c'est insuffisant pour assurer un revenu décent, d'autant qu'il n’est pas rare de rencontrer des foyers de plus de six enfants, alors que la mortalité infantile y est cinq fois plus importante que dans le pays. Les problèmes d’accès aux soins sont souvent liés à leur isolement géographique, ainsi qu’au faible taux d’alphabétisme. Le tableau est celui d’une communauté souvent introvertie, qui ne souhaite pas se mélanger par crainte de subir de nouveaux actes de barbarie, y compris au sein même des foyers ; les femmes devant souvent affronter alcoolisme et violence conjugale. Contrairement aux Buglé, les Ngäbe peuvent être polygames.
Les Buglé seraient 25 000 dans les provinces de Veraguas et Bocas. Les femmes s’habillent aussi de nangún, longues robes décorées au moyen d’appliques et de motifs traditionnels. Également pratiquées par les Ngäbe, certaines cérémonies rituelles (balsería), qui réunissaient autrefois la communauté entière, semblent disparaître. Si quelques fêtes rythment la fin des semences ou des récoltes, la puberté des jeunes filles…, leur organisation dépend des revenus des familles qui souvent ne peuvent affronter de telles dépenses.
Les Guna. La majorité du peuple Tule, près de 80 000 individus, se regroupe au nord-est du pays dans trois comarcas . La plus connue , Guna Yala, reçoit la visite de nombreux touristes attirés par ses îles paradisiaques. Madungandi, dans le bassin du fleuve Bayano, province de Panamá, héberge douze communautés. Wargandi est certainement la moins connue de par son isolement. Dans le Darién, trois communautés vivent à l’abri des regards et des influences occidentales. Mais de nombreux Guna ont choisi de vivre dans la capitale ou le reste du pays, de la restauration, vente de molas…
Leur combat pour l’obtention d’un droit de consultation, et contre l’idée que les peuples autochtones sont un obstacle au développement économique et au progrès de toute nation, a fortement contribué à améliorer la représentation de l’ensemble des communautés amérindiennes auprès du gouvernement. En 1945, la rédaction de la charte organique de San Blas a permis d'officialiser et d'institutionnaliser le rôle du congrès général Guna auprès des autorités panaméennes. En 1953, avec l’approbation de la loi 16, les droits collectifs des Guna sur leur territoire sont reconnus légalement.
Les Chocoe rassemblent environ 35 000 Emberá et 8000 Wounaan, qu’il est très difficile de distinguer pour les non-initiés. Ces deux groupes linguistiques ont une histoire et une culture similaires. La comarca qui les héberge depuis 1983 se divise en deux zones dans le Darién. Autrefois nomades, ils vivent le long des fleuves et se sont sédentarisés pour l'éducation des enfants. Si leur cohabitation n’a jamais posé de problèmes, les relations avec les Guna sont historiquement plus tendues ; ces derniers les auraient chassés de leurs terres au XVIIIe à la suite de conflits d’intérêts.
Chez les Chocoe, le noko, généralement l’homme le plus âgé du village, accompagné du jaibaná ou chamán, formait autrefois l’autorité supérieure. Aujourd’hui, des principes plus démocratiques ont été introduits. Bien que vivant principalement dans la forêt, leurs codes vestimentaires ont évolué, mais dans certaines communautés isolées ou accueillant des touristes, les hommes continuent à porter un simple morceau d’étoffe, et les femmes sont torse nu, une bande de tissu (la paruma) nouée à la taille comme un paréo.
Les Téribe ou Naso, environ 4 000 personnes, vivent isolés sur les rives des ríos Teribe et San San dans la province de Bocas. Leur particularité est d'être représentés par un roi ! Choisi autrefois en fonction de ses aptitudes guerrières, le roi doit aujourd’hui être issu de la lignée des Santana, qui a déjà enfanté treize monarques. Le dernier représentant, Reynaldo Santana, qui a la charge de représenter son peuple notamment dans les rapports avec les autorités panaméennes, a vécu en décembre 2021 un moment historique : la création officielle de la comarca Naso Tjër-Di.
Les Bri-bri. Présents le long de la frontière, sur les rives des ríos Yorkin et Sixaola, l'essentiel de leur communauté se trouve au Costa Rica où ils seraient environ 10 000. Côté panaméen, aucun territoire propre ne leur est assigné et on en recense à peine un millier, raison pour laquelle on les assimile souvent au groupe des Guaymí.
Les migrations, en quête d'opportunités
Qu'il s'agisse du transit de denrées précieuses, de la culture de ressources agricoles, de la construction de routes et voies ferroviaires ou encore du canal, les chantiers n'ont pas manqué dans l'histoire du pays... et il semble que la liste des opportunités soit encore longue pour qui souhaite tenter sa chance au Panamá.
La première vague migratoire significative fut celle des conquistadores espagnols. Mais se rendre au Panamá n'a pas toujours été un choix pour tous. Aux XVIe et XVIIe siècles, les besoins étaient nombreux pour accompagner le transit des échanges sur les routes du camino real, favorisant le commerce des esclaves africains.
C’est à la moitié du XIXe , suite à l’abolition de l’esclavage, qu’une nouvelle migration reprend. L’émancipation des esclaves ayant durement touché les plantations sucrières des îles caribéennes, la situation économique détériorée nécessite de nouveaux débouchés. Aussi bien colons que Noirs affranchis sont ainsi attirés par la côte de Bocas, les uns pour y créer de nouvelles plantations, les autres pour y pêcher la tortue...
En 1850, la Ruée vers l’or, qui mobilisa quantité d’Américains et d’Européens, entraîna la construction du chemin de fer panaméen et la venue d'ouvriers de Jamaïque ou Grenade. Allemands, Français, Irlandais ou Autrichiens vinrent aussi y participer aux côtés de près de 3 000 Chinois. Ce chantier, physiquement et moralement éprouvant pour tous, se chiffra en de nombreuses pertes humaines. La communauté chinoise ne fut pas épargnée. Attachée à ses traditions, elle était venue avec quantité de riz, thé, mais aussi d'opium consommé pour alléger le quotidien. Une pratique que les Américains stoppèrent brusquement, prétextant la nécessité d’appliquer les lois fédérales relatives aux drogues. La communauté fut alors progressivement gagnée par la mélancolie, conduisant à une véritable tragédie humaine sous la forme de dépressions massives et de suicides collectifs. L’un des plus meurtriers fut celui de la localité de Matachín en 1856.
Cette page tragique de l’histoire n’encouragea pas les Français à embaucher des Asiatiques pour la construction du canal, préférant s’appuyer sur une force de travail recrutée au Venezuela, aux Antilles et en Jamaïque. Quant aux Américains, à la reprise des travaux suite à la faillite du canal français, ils privilégièrent les hommes de la Barbade pour éviter de payer la taxe sur le recrutement imposé par le gouvernement jamaïcain, ce qui permettait, en cas de nouvel échec, le financement du rapatriement de ces insulaires. Mais, en réalité, la majorité était originaire de Jamaïque ou des autres îles antillaises . Parallèlement, on y dénombrait près de 12 000 Européens. Dès la fin du chantier, de nombreux Noirs furent embauchés à Bocas, sur les bananeraies de l’United Fruit Company. Certains restèrent dans la zone du canal en tant qu’employés des Américains et d’autres s’installèrent définitivement à Colón. La reconversion ne fut pas aisée pour tous.
Aujourd’hui, la population noire se concentre surtout le long des Caraïbes, mais aussi dans la capitale. Quant à la communauté asiatique, elle augmenta particulièrement entre les années 1970 et 1980, aujourd’hui spécialisée dans de nombreux petits commerces (restauration, laveries, épiceries, casino…).
Une population vieillissante
Ce n'est pas forcément ce qui saute aux yeux lorsque l'on se promène dans la capitale... mais cela pourrait être le cas si vous vous rendez dans le Chiriquí et plus particulièrement à Boquete, élue destination coup de cœur dans la catégorie « retraite prospère ». Depuis que quelques Américains ont découvert cette bourgade, la rumeur s’est vite répandue... Ils sont désormais des milliers à s’y être installés. Les projets immobiliers fleurissent et les prix du foncier flambent. De nombreuses résidences, conçues pour assurer le bonheur de ces nouveaux retraités (terrain de golf, centre thérapeutique, lieux de culte, piscine...), sont construites par des Américains pour des Américains. Il semble que la composition de la population du Panamá ne soit pas figée et les mesures gouvernementales favorisant l'installation de ces nouveaux expatriés n'y sont pas étrangères. Une loi votée en 1987 confère toute une série d'avantages financiers et fiscaux aux femmes retraitées de plus de 55 ans et aux hommes de plus de 60. Mieux vaut ne pas attendre l'âge légal de la retraite en France !