Les cicatrices de l’occupation soviétique
De nombreux habitants des pays baltes sont très attachés à leur pays et au folklore, ce qui explique en grande partie le destin déchiré des trois pays au cours de l’histoire et la volonté de l’URSS de détruire toutes racines. Il faut également rappeler que les cinquante années d’occupation soviétique ont sclérosé, muselé et assombri l’esprit des Lituaniens.
Des habitudes héritées du système passé restent présentes dans les mentalités – surtout chez les générations plus âgées qui n’ont connu dans la majeure partie de leur vie que cette période de l’histoire de leur pays – et même si tous cherchent à oublier ce trop long épisode, des années seront encore nécessaires pour que les traces disparaissent. L’indépendance est finalement assez récente et l’avenir appartient désormais surtout aux plus jeunes générations. Toutefois, depuis quelques années déjà, les Baltes ont retrouvé le sourire. Car, même si les conditions économiques se sont améliorées, elles sont loin d’être satisfaisantes pour tous (il y a les nombreux laissés-pour-compte de l’indépendance, de la crise économique de 2008 et celle due à la pandémie du Covid-19 et à ses conséquences), l’atmosphère pesante et pessimiste de l’époque soviétique a disparu. Seule la population russophone demeure attachée moins à l’ancien régime qu’aux symboles et aux souvenirs qu’ils véhiculent, d’où parfois des situations de heurts sérieux comme en Estonie en 2007 à la suite du déplacement d’une statue de bronze d’un soldat de l’Armée rouge.
Tempéraments nationaux
Le stéréotype veut que les Lituaniens soient les « Italiens du Nord » et les plus extravertis des habitants de trois États baltes. Pendant le conflit pour l’indépendance au début des années 1990, la Lituanie a acquis une renommée et une sympathie mondiale pour son duel « David contre Goliath » avec Moscou. Beaucoup ont considéré la Lituanie comme la plus courageuse des anciennes républiques soviétiques, prête à tenir tête aux menaces russes.
Grands militaires, ils firent pièce jusqu’à sa disparition au puissant ordre Teutonique et étendirent la Lituanie du XVe siècle en un empire touchant les rives de la mer Noire ; elle a inclus de grandes régions de l’Ukraine actuelle, de la Biélorussie et de la Russie. Une grande histoire que les Lituaniens n'oublient pas.
Enfin, sans tomber dans les clichés, on pourrait dire que la Lituanie est le plus rural des trois pays baltes. Ce passé agraire plus marqué que celui de ses deux voisins se traduit même dans les grandes villes comme Vilnius par une certaine simplicité dans les interactions sociales.
Plus citadine et internationale que ses voisins Tallinn et Vilnius, Rīga (la plus grande et la plus industrialisée des trois capitales) est un port de longue date destiné au commerce extérieur (depuis l’époque de la Hanse), ce qui a favorisé son ouverture sur le monde. Les Lettons n’en gardent pas moins un caractère très imprégné de culture scandinave. Ainsi ils pourront paraître très froids et distants mais on retrouvera pourtant les mêmes, dansant avec une énergie folle, sur la piste de danse du club du coin ou dans des groupes folkloriques. Reflets de leur position géographique, les Lettons oscillent étonnamment entre le feu et la glace. Pour mieux comprendre ces paradoxes, il faut garder l’histoire du pays à l’esprit. La toute fraîche indépendance a provoqué le renouveau de l’identité nationale, si longtemps opprimée, et donne aux Lettons la fierté d’un peuple jeune qui se réapproprie sa culture.
Dans son livre, La Révolution balte, Anatol Lieven décrit les Lettons comme suit : « La Lettonie est une nation indéterminée, chevauchant de manière instable entre ses deux voisins plus décisifs… Les Lettons se considèrent comme des rêveurs avec un bon sens pratique… Ils sont considérés par les autres Baltes comme ayant la capacité rare de croire deux choses contradictoires en même temps… »
Le caractère des Estoniens a inévitablement été façonné par l’histoire du pays et l’environnement naturel. S’ils sont réputés introvertis et taciturnes durant les longs et sombres hivers, les beaux jours leur donnent l’inspiration des grands festivals de chants. Les Estoniens sont réputés être têtus et avoir tendance à ne pas se laisser impressionner par le premier venu. Ernest Hemingway a écrit que dans chaque port du monde, on peut trouver au moins un Estonien ; il voulait parler de l’esprit d’entreprise qui anime ce peuple.
Tout comme les Lituaniens et les Lettons, les Estoniens sont très attachés à la nature qui les entoure. Les fleurs sont ainsi particulièrement présentes dans la vie quotidienne. Pour un rendez-vous galant ou non, que ce soit avec sa mère ou sa petite amie, un Estonien ne manquera jamais de se présenter au moins avec une fleur. Les fleurs s’offrent toujours en nombre impair et souvent emballées dans du papier. Même entre hommes, à l’occasion d’un anniversaire ou d’une célébration, les fleurs seront bien accueillies. De nombreux kiosques de fleuristes quelquefois même ouverts 24h/24 et 7j/7 ponctuent les rues des villes estoniennes. Le 1er septembre, jour de la rentrée des classes, les enfants dans leurs plus belles tenues se présentent à l’école avec des bouquets destinés aux professeurs.
L’Estonie, l’ultraconnectée
C’est en Estonie que Skype a été inventé et le réseau téléphonique et de données cellulaires est excellent dans tout le pays. Pas étonnant, puisque c’est un pays très tourné vers le numérique. Par exemple, chaque citoyen possède une carte d’identité électronique, permettant d’accéder aux services numériques de l’État et même de voter aux élections. En 2018, quasiment 100 % des services publics étaient dématérialisés. C'est depuis l'école que les nouvelles technologies, les maths et les sciences sont valorisées, créant un terreau fertile pour des petits génies de la tech. Capitale européenne des start-up, Tallinn accueille de nombreux expatriés travaillant dans le numérique. Ne soyez pas surpris si vous y croisez des petits robots-livreurs dans les rues, les enfants les adorent !
Un tourisme « de mémoire »
Côté tourisme, les pays baltes ont développé un tourisme de mémoire, un peu atypique : d’anciennes prisons devenues hôtels ou espaces de loisirs, d’ex-bases soviétiques désormais ouvertes… Les mauvais souvenirs de l'occupation soviétique sont encore vifs pour les locaux… et intrigants pour les touristes. De nombreuses agences surfent sur cette mode et les publicités fleurissent. Dans le style « tourisme carcéral », Karosta, en Lettonie, en est un parfait exemple. Ce serait « la seule prison militaire ouverte aux touristes en Europe ». Le futur musée de la prison de Patarei à Tallinn ouvrira en 2026. Quant à la centrale nucléaire d'Ignalina en Lituanie, la petite sœur de celle de Tchernobyl, elle se visite sur réservation.
Droits LGBTQ
Dans ces anciens pays soviétiques, l'homosexualité a longtemps été interdite et considérée comme une maladie. Si aujourd'hui de nombreuses associations se battent pour faire avancer les droits LGBTQ, il reste encore un niveau d'homophobie élevé chez les personnes plus âgées, les jeunes générations étant beaucoup plus tolérantes.
En Estonie, la population accepte – en grande majorité – l’homosexualité. Mais à l’automne 2020, le ministre de l’Intérieur Mart Helme a eu des propos ouvertement homophobes, en incitant les homosexuels « à fuir vers la Suède ». Heureusement, ces propos ont provoqué un véritable tollé et ont été fortement dénoncé par la présidente de l'époque. Il sera poussé à la démission en novembre 2020. En octobre 2014, l'Estonie sera la première république ex-soviétique à permettre l’union civile aux couples homosexuels et le 1er janvier 2024, le mariage entre personnes du même sexe est entré en vigueur.
En 2015, Rīga a accueilli l’Europride, devenant ainsi le premier pays ex-soviétique à organiser cet événement. En décembre 2020, l’archevêque luthérien de Lettonie a demandé qu’un cadre légal soit créé pour les couples gays. L’objectif est de protéger tous les couples et familles. Si le mariage homosexuel n'est toujours pas autorisé, un partenariat enregistré est possible pour tous, personnes du même sexe ou pas. Élu en 2023, le président letton Edgars Rinkēvičs est ouvertement gay.
La Lituanie, seul pays majoritairement catholique des trois, accorde depuis janvier 2019 les permis de séjour aux conjoints étrangers de citoyens en couple gay ou lesbien. Par contre, elle ne permet ni mariage, ni partenariat enregistré entre personnes du même sexe.
Égalité des sexes
Dans les pays baltes, l’égalité homme-femme semble assez respectée, sans doute s'agit-il là d'un héritage soviétique. « Pour qu’elle soit réellement émancipée, pour qu’elle soit vraiment l’égale de l’homme, il faut qu’elle participe au travail productif commun et que le ménage privé n’existe plus », affirmait Lénine.
En Lituanie, 57 % des scientifiques et des ingénieurs sont des femmes et 53 % en Lettonie. En revanche, même si l’Estonie s’est engagée dans une démarche de parité, les inégalités de salaire sont d’environ 25 %, soit un des taux les plus élevés d’Europe.
Sur une note plus joyeuse, direction une petite île estonienne, celle de Kihnu. Sur les 16 km2 de l’île se trouve une des dernières sociétés matriarcales d’Europe. En 2008, l’île a été classée au patrimoine immatériel de l’Unesco. Depuis le XIXe siècle, les femmes s’occupent de tout pendant que les hommes partent pêcher en mer pendant des mois.