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Une implantation difficile

Le port spatial de l'Europe est le deuxième site le plus visité en Guyane. Locomotive économique pour les uns, « État dans l'État » pour les autres, ou véritable aberration écologique, le Centre spatial inspire toujours aujourd'hui des sentiments plutôt ambivalents, de l'enthousiasme au rejet en passant par la méfiance. Les procédures d'expropriation lors de la construction des infrastructures ont souvent frôlé l'intolérable, même si désormais des efforts sont réalisés pour compenser ces erreurs. Et le poids du CSG sur le territoire ne semble pas en passe de diminuer : les programmes prévus (Ariane 6 en tête) laissent préfigurer que l'aventure spatiale durera encore au moins quinze ou vingt ans. En raison de l'évolution des technologies, de plus en plus d'opérations sont désormais réalisées entièrement sur place.

Mais revenons un moment sur l'histoire du Centre Spatial Guyanais (CSG). Si la guerre d'Algérie n'avait pas eu lieu, Kourou n'aurait sans doute jamais connu cette aventure. En effet, lorsque les accords d'Évian sont signés en 1962, la France se trouve dans l'obligation de chercher un nouveau site de lancement pour remplacer celui qu'elle vient d'abandonner au milieu du Sahara algérien. Le choix du nouveau lieu d'implantation est une affaire très délicate puisqu'elle engage le pays pour de nombreuses années et implique la réalisation de gigantesques travaux. Les paramètres de sélection sont de plusieurs natures.

Considérations géographiques et climatiques...

Tout d'abord, le site doit être situé le plus près possible de l'équateur afin de permettre des lancements plus économiques. En effet, c'est à partir de cette position terrestre que le satellite peut rejoindre son orbite définitive en consommant un minimum de carburant, ce qui lui assure une plus longue longévité. Outre ce problème de latitude, il est aussi indispensable de sélectionner un site qui soit géographiquement stable pour éviter les tremblements de terre et qui ne soit pas une zone de passage des cyclones. La question démographique est également à prendre en compte : en dépit de toutes les précautions que l'on peut prendre, un lancement présente des risques. Il était donc hors de question d'installer un centre de lancement à proximité d'une aire marquée par une forte densité de population ou une concentration d'activités économiques.

Et leçons politiques !

Le dernier paramètre, mais non le moindre, est politique. L'expérience algérienne a servi de leçon : la France ne pouvait pas se permettre d'installer un nouveau centre sur un territoire qui risquait d'échapper à son contrôle par suite d'agitations indépendantistes. Tenant compte de chacun de ces impératifs, le général de Gaulle décida finalement, en 1964, que le centre serait installé à Kourou, en Guyane française. Une latitude idéale, un sol très stable, un climat sans cyclone et une faible densité de population : autant d'atouts qui jouèrent en faveur de ce choix. 90 000 hectares furent réquisitionnés sur le sol de la « France américaine », dans des conditions parfois traumatisantes pour les populations créoles ou amérindiennes. En quelques mois, le site Fusée-Sonde, première zone de lancement, allait voir le jour. Mais la construction du centre lui-même ne sera que peu de chose à côté des gigantesques travaux d'aménagement et d'urbanisation à venir. Routes, ponts, immeubles, hôpital et écoles sortent de terre comme des champignons, modifiant profondément la physionomie du petit bourg traditionnel.

Des missions bien définies

Qu'on se le dise tout de suite pour que ce soit clair, s'il subsistait encore un doute : dans ce centre, il n'y a que des lanceurs qui envoient des satellites à visée commerciale, pas d'humains. Et les principales missions du Centre National d'Études Spatiales (CNES) sont : d'assurer l'organisation et la coordination générale des activités opérationnelles de la Communauté Industrielle Spatiale de Guyane (CISG : organisation regroupant l'ensemble des sociétés directement impliquées en Guyane dans le développement, la production et l'exportation des systèmes de transports spatiaux, à savoir le CNES, Arianespace et quatre autres sociétés) ; d'acquérir et traiter les mesures liées aux lancements ; d'assurer la protection des personnes, des biens et de l'environnement lors des opérations à caractère dangereux et pendant les lancements ; de fournir le support logistique nécessaire à la préparation des lanceurs et des charges utiles. Mais ce n'est pas tout ! Le CNES remplit également les fonctions suivantes : définition et mise en œuvre des mesures de sécurité et de protection de toutes les personnes et installations dépendant du centre, ainsi que de celles des lanceurs, charges utiles et matériels associés présents en Guyane ; adaptation du centre aux missions inhérentes aux nouveaux projets français et européens tels que Ariane 6 et Vega-C ; et poursuite et localisation des satellites pour le compte des réseaux du CNES et de l'Agence Spatiale Européenne (ESA, pour European Space Agency : organisation intergouvernementale créée en 1975 pour le développement des capacités spatiales de l'Europe). Le CNES est également propriétaire foncier de l'ensemble du site spatial de Guyane, et il contribue au développement du territoire aux côtés des élus locaux et partenaires publics.

Le CNES offre aux lanceurs et aux satellites tous les moyens techniques et logistiques dont ils ont besoin pour leur préparation et pour leur lancement. Pour ce faire, le CSG met à disposition de ses clients : l'ensemble de préparation des charges utiles pour la préparation de leur satellite depuis l'arrivée en Guyane jusqu'au montage sur le lanceur ; le centre de contrôle Jupiter, qui coordonne quant à lui tous les moyens mis en œuvre pendant le lancement et assure la surveillance en vol ; des stations de réception de télémesure installées en Guyane, complétées, pour les lancements vers l'est, par les stations implantées près de Natal (Brésil), sur l'île d'Ascension (Royaume-Uni), près de Libreville (Gabon) et près de Malindi (Kenya), qui enregistrent les données transmises au cours du vol par radar, permettant de restituer la trajectoire du lanceur et de fournir les informations nécessaires à la sauvegarde et au diagnostic de satellisation ; et enfin, une station météorologique qui fournit en temps réel les données sur la direction et la vitesse des vents (au sol et en altitude) et les risques de foudre (ces deux critères, s'ils ne sont pas optimaux, peuvent conduire à un report du lancement).

De Véronique à Ariane 6, l’épopée spatiale européenne

Au début des lancements

Les premières expériences spatiales françaises sont menées dans le désert saharien, en Algérie. Suite à l'indépendance du pays, la Guyane est choisie en avril 1964 pour l'installation d'une nouvelle base de lancement. C'est le 9 avril 1968 que le CSG inaugure son premier lancement, avec la fusée Véronique et le lancement de neuf fusées du programme Diamant. Puis le programme Europa, censé incarner les débuts de la collaboration européenne dans le domaine spatial, est lancé. Lourd, très peu performant, ce lanceur fut à l'origine d'un échec retentissant pour la communauté européenne de l'espace, avec un premier et unique lancement le 5 novembre 1971. Certains s'accordent même à penser qu'Europa aurait pu sonner le glas de cette épopée, si un autre programme n'avait rapidement vu le jour : Ariane.

L'épopée Ariane

C'est le soir de Noël 1979 que, pour la première fois, Ariane prendra le chemin de l'espace. Après Ariane 1, les lanceurs Ariane 2 (1984) et Ariane 3 (1986) assurent plusieurs missions avec plus ou moins de succès. Il faudra attendre l'apparition du lanceur Ariane 4, en juin 1988, pour enregistrer des progrès spectaculaires. Cette version du lanceur Ariane présente l'intérêt majeur d'être modulable en fonction de la charge transportée, pouvant mettre sur orbite un ou deux satellites d'un poids total de 4,7 tonnes. En l'espace de 24 ans, sur les 116 lancements d'Ariane 4 pour 183 satellites lancés, on ne compte que deux échecs. Le CSG devient le site de lancement le plus important du monde. Mais la concurrence russe, chinoise et américaine est rude et, afin de répondre à l'évolution des besoins des utilisateurs, mais aussi pour asseoir la suprématie européenne, un nouveau lanceur, Ariane 5, voit le jour au milieu de l'année 1996.

D'aspect plus trapu que son aîné, il est plus puissant et plus économique. La capacité de charge est désormais de plus de 6 tonnes, permettant ainsi le lancement simultané de plusieurs gros satellites. La mise en œuvre du programme Ariane 5 conduit à la construction d'une usine qui fabrique sur place le carburant, appelé propergol, nécessaire à l'alimentation du lanceur. Le 4 juin 1996, le premier lancement d'Ariane 5 est un échec. La troisième tentative, en 1998, sera la bonne, si bien qu'en décembre de l'année suivante, le tout premier vol commercial d'Ariane 5 est assuré. C'est dès lors Arianespace qui prend en charge la production et l'exploitation commerciale du lanceur. Si la tentative de mise en orbite d'une charge de 10 tonnes en 2002 n'aboutit pas, le 9 mars 2008, le lancement réussi, avec l'ATV Jules Verne, établit un nouveau record avec une masse de 20 tonnes satellisées !

Les autres lanceurs

Depuis 2011, l'Europe dispose de deux autres lanceurs. Le lanceur léger Vega est conçu pour mettre en orbite polaire des charges utiles allant jusqu'à 1,5 tonne. Son premier lancement a eu lieu le 13 février 2012, et enregistre pendant une dizaine d'années un rythme d'un à deux par an. Le moyen Soyouz est quant à lui un lanceur russe ayant une capacité de charge utile de l'ordre de 3,5 tonnes. Ces installations sont implantées dans l'enceinte de la base. Le premier Soyouz a décollé le 20 octobre 2011, et de nombreux lancements ont eu lieu pendant toute la durée du contrat, mais la guerre en Ukraine a stoppé de manière prématurée les derniers lancements programmés. Pour un exemple sur l'année 2018 (avant les crises et guerres), onze lancements ont été effectués depuis le CSG, dont six Ariane 5, trois Soyouz et deux Vega.

Ainsi, alors qu'on dénombrait environ un lancement par mois toute fusée confondue dans les années fastes, il n'y en a eu « que » 6 en 2022 (3 Ariane 5, 2 Vega-C et 1 Soyouz). Et cela n'est pas prêt de repartir tout de suite. En effet, le CSG a observé quelques difficultés récentes et surtout depuis 2022, avec beaucoup moins de lancements qu'auparavant. Tout d'abord, car la coopération spatiale entre l'Union européenne et la Russie souffre aussi de la guerre en Ukraine. Par conséquent, l'agence spatiale russe Roscosmos a annoncé le 27 février 2022 se retirer de Kourou : il n'y aura donc plus de lancement de Soyouz depuis le centre spatial guyanais (en tout cas, pas à court et moyen terme). Le dernier Soyouz a donc eu lieu le 10 février 2022.

Et dans le même temps, Ariane 5 a également connu son dernier lancement le 5 juillet 2023, en envoyant en orbite géostationnaire à 36 000 km de la Terre deux satellites (un français et un allemand). Ce 117e lancement, le dernier de son histoire, a mis un terme à 27 années d'existence, marquées par plus de 80 succès consécutifs. Il est alors temps de penser à son successeur.

Vers Ariane 6 et le futur du CSG

La suite était déjà en cours de préparation : le 2 décembre 2014, un accord très important est signé entre les États membres de l'Agence spatiale européenne (ESA) pour lancer la nouvelle fusée européenne Ariane 6. Ce nouveau lanceur, dont le premier tir, initialement prévu en 2020 et qui n'aura finalement pas lieu avant 2024 (en raison de la pandémie de Covid-19 et de difficultés de mise au point), sera moins coûteux et doit permettre à l'Europe de rester dans la course spatiale face à la concurrence du chinois Longue Marche et celle de la société SpaceX d'Elon Musk.

Ne nous le cachons pas, la principale raison de passer à Ariane 6 est donc financière : le nouveau lanceur est conçu pour être plus économique et plus flexible que son prédécesseur, avec un coût de production estimé à 100 millions d’euros par lancement, contre 200 millions d’euros pour Ariane 5. Envoyer un satellite coûtera ainsi bien moins cher qu'auparavant, entre 10 et 12 k€ au kilo, aligné sur le prix de SpaceX (les américains sont les plus compétitifs). On pourra en outre envoyer plus de charges, et les amener à différents endroits.

Le Centre spatial de Kourou semble donc avoir encore de beaux jours devant lui grâce à son nouveau projet Ariane 6, qui doit prendre la suite dès 2024, d'abord avec un vol inaugural en juillet, puis un deuxième d'ici la fin de l'année, avant de monter en cadence en 2025 et d'atteindre par la suite le rythme de croisière de dix lancements par an. La France met les bouchées doubles sur ce projet, avec notamment la visite du CSG faite par le président Emmanuel Macron en février 2024, et surtout avec les arrivées des derniers étages le mois suivant. Ces éléments ont été livrés par le Canopée, le tout premier cargo à voile censé garantir un transport maritime sans émission de gaz à effet de serre.

Mais à l'aube de cette nouvelle épopée spatiale, de nombreuses questions restent encore en suspens. Est-ce que cela sera suffisant face à un marché spatial qui évolue rapidement, notamment avec ses nouveaux acteurs innovants qui ne sont pas freinés par l'inertie de la coopération d'une vingtaine d'États ? Les nouveaux lanceurs réutilisables Falcon de SpaceX, par exemple, risquent d'asseoir encore un peu plus la suprématie de l'entreprise américaine… Est-ce que le lanceur Vega-C, dont l'échec commercial a été constaté en 2022, sera capable de reprendre du service en 2025 ? Et surtout, est-ce que des régulations ne devraient pas voir le jour dans les années à venir, à l'heure où cette conquête semble en totale opposition avec les contraintes climatiques et écologiques qui finiront par s'imposer de gré ou de force dans les décennies à venir ?

Le premier lancement d'Ariane 6

Après des années de mobilisation d'équipes diverses ayant pour but de réaliser les essais de système pour le développement et la qualification d'Ariane 6, une petite partie d'entre elle a pu se retrouver dans le fameux bunker de commande le 9 juillet 2024, date du lancement historique d'Ariane 6.

À 20h00 heure locale (22h00 UTC), le lanceur a donc effectué son premier vol depuis le centre spatial guyanais de Kourou,

transportant une charge utile de 2 tonnes, composée d’un simulateur de masse équivalent à deux lancements doubles de satellites Galileo, huit petits satellites, cinq expériences scientifiques et deux capsules de rentrée. Le lanceur a atteint son altitude maximale de 1 500 km et a placé sa charge utile en orbite héliosynchrone. Le lancement a été considéré comme un succès, bien que présentant une anomalie technique à la fin de la mission.

En effet, une déviation de trajectoire a été détectée sur la fin, empêchant le deuxième étage du lanceur de redescendre dans l’atmosphère et de larguer les deux capsules comme prévu. Selon les responsables du projet, un générateur de puissance auxiliaire (APU) s’est éteint accidentellement, ce qui a empêché le système de ne pas redémarrer le moteur Vinci pour la troisième fois. Malgré cette anomalie, les équipes du projet considèrent le lancement comme un succès, car le lanceur a atteint ses objectifs principaux, notamment mettre en orbite des satellites et allumer son moteur Vinci après l’avoir éteint. Les responsables du projet ont annoncé qu’il faudra quelques semaines pour analyser les données et comprendre pourquoi le système APU s’est éteint.

Visite du CSG

Que l'on soit passionné ou non par la haute technologie et/ou par l'espace, la visite guidée du Centre Spatial Guyanais (CSG), d'une durée de 4h environ, est à la fois ludique, instructive et gratuite, attirant plus de 22 000 visiteurs par an. La superficie du site étant d'environ 660 km² dont la majorité est de la végétation (seulement 10% du site est occupé par des bâtiments), c'est à bord d'un confortable bus et accompagné d'un guide que l'on sillonnera les vastes étendues séparant les diverses zones de lancement des fusées Ariane, Soyouz et Vega. Si l'agenda le permet, le bus pourra même stationner au pied des pas de tirs des lanceurs. Après une escale au centre de lancement d'Ariane 5 où, dans une cabine en surplomb de la salle de contrôle, on en apprend davantage sur les éléments qui composent une fusée et sur le déroulement à la seconde près d'un lancement, le circuit se termine dans la fameuse salle Jupiter, centre de contrôle principal du CSG.

La visite est très intéressante, on pourra poser toutes ses questions au guide et on y apprend par exemple que le poids des satellites envoyés ne représente en général que 1% du poids total du lanceur, le reste étant constitué des ergols (90% de la masse totale), la structure ne faisant que les 9% restants. Ou que la vitesse que doit atteindre le satellite à sa séparation du lanceur pour ne pas retomber sur Terre est de 7,8 km/s. Et enfin, sachez que plus de 50% des charges utiles lancées depuis le CSG sont des satellites de télécommunication.

Les cosmo-curieux pourront compléter la visite par celle du Musée de l'Espace, lorsque celui-ci aura rouvert fin 2024 après des mois de travaux de rénovation. Le CSG ProPose également une visite de ses espaces naturels pour apprécier la faune et la flore : de véritables endroits préservés car, comme il est précisé pendant la visite, "La société humaine du CSG est résolument engagée pour gagner l'espace sans perdre la terre". Pour toutes ces visites, la réservation est obligatoire et vous devez présenter votre pièce d'identité.