Découvrez l'Algérie : Musiques et scènes (danse/théâtre)

En 2022, le président français Emmanuel Macron, alors en voyage officiel à Alger et à Oran, profite de son séjour pour passer une heure chez Disco Maghreb, une boutique et label de raï oranais, incontournable dans les années 1980 et 1990. Si le président s'est piqué d'une visite, ce n'est pas par pure mélomanie, mais bien pour la symbolique. L'endroit fut le point névralgique d'un genre qui demeure encore l'un des plus grands ambassadeurs de l'Algérie. Voilà qui raconte avec éloquence la place prépondérante que tient la musique dans la société, dans l'identité et dans la culture algériennes. C'est sans doute cet amour de l'Algérie pour la musique qui rend la production locale si spéciale, naviguant entre singularités et traits communs avec ses voisins. Si l'Algérie est, comme le Maroc, une grande patrie de la musique arabo-andalouse, elle en a développé des écoles spécifiques en donnant naissance à des sous-genres devenus importants comme le chaâbi, pur produit d'Alger. Un pays à écouter.

Les musiques traditionnelles

Le répertoire algérien de musiques traditionnelles est à peu près aussi vaste et riche que le territoire lui-même. Au Sud, la musique sahraouie, d'origine bédouine, se distingue par ses textes très poétiques souvent accompagnés de flûtes et de beaucoup de percussions, comme le bendir. Le grand chant bédouin algérien, très fréquent dans l'Atlas saharien, est appelé aiyai. Ses textes issus du melhoun, le répertoire poétique arabe chanté, sont la source d'une large partie de la musique populaire du Maghreb.

Originaire du Gourara, l'ahallil est une autre tradition très connue de la région. Pieuse et envoûtante, elle est jouée la plupart du temps lors des événements religieux. Inscrit en 2008 sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l'Unesco, ce trésor national peut s'écouter sous la direction de Barka Foulani sur l'album Chants sacrés du Sahara (Institut du monde arabe, 2000). Enfin, du côté de Béchar, l'enfant du pays, Abdelaziz Abdallah, dit « Alla », a donné une vision neuve à la tradition de la région avec un genre qu'il a créé, le Foundou, fondé sur ses improvisations au luth (dont il est virtuose).

À l'ouest du Sahara algérien, dans la région de Béchar, résonne la musique diwane, expression des Gnaouas d'Algérie. Ces descendants d'esclaves d'Afrique noire (originaires de l'ancien Soudan occidental) ont conservé intact leur patrimoine mélodique et jouent toujours ces rythmes entêtants appelant à la transe (ils sont originellement exécutés lors de rituels à but thérapeutique). Les textes en arabe sont chantés par les maalem (maître) dont le grand représentant est le Maalem Benaissa. Excellant au guembri, il est, avec Hasna el-Bacharia, l'autre monument de la musique diwane. Souvent qualifiée de « rockeuse du désert », cette diva libre et audacieuse est la grande ambassadrice de cette esthétique dans le monde. Voyageuse également, la musique envoûtante du groupe Gaâda Diwane de Béchar s'invite régulièrement sur les scènes de France.

Pour les amoureux de la culture diwane – et les curieux –, le festival culturel international de la Musique diwane se tenant chaque année à Alger est une excellente occasion d'y goûter. Il s'en tient également tous les mois de mai à Béchar.
Au Sahara toujours, mais plus au centre (les régions de Tamanrasset et de Djanet) cette fois-ci, c'est ici la musique touareg qui est reine. Se distinguant par ses deux instruments emblématiques, l'imzad, une vielle monocorde jouée par les femmes, et le tindé, un tambour en forme de mortier, cette musique raconte dans ses chants les héros devenus mythiques, l'amour ou encore la beauté des paysages. Parfois surnommée « le blues des déserts » – sans doute parce que résonne la solitude des Touaregs dans ces vastes étendues dépeuplées –, cette musique a en Algérie de fabuleux ambassadeurs appelés Imarhan, signés sur le très bon label berlinois City Slang.
Dans les Aurès, fief berbère, on cultive la musique chaouie, mélange de musique sahraouie et de rythmes tranchants et entraînants. Populaire dès les années 1930 et 1940, elle a connu une renaissance dans les années 2000 en engendrant plusieurs sous-genres et variantes. Parmi ses grandes figures, citons son pionnier Aïssa el-Djermouni, sa grande vedette (pendant des décennies), Ali el-Khenchli ainsi que Zoulikha, autre grande voix du genre. Plus récemment, c'est Houria Aïchi qui fut considérée comme une des meilleures interprètes de la musique chaouie.

La musique arabo-andalouse

Comme au Maroc, le répertoire arabo-andalou est LA musique classique du pays. C’est au travers d’elle que l’on ressent le mieux tout l’héritage musical oriental du pays, aussi bien grec que perse ou arabe. Son histoire remonte au XIIIe siècle, lorsque les musulmans chassés d’Andalousie échouent sur les côtes d’Afrique du Nord. Transmettant leur art à leurs hôtes, il font naître ici et ainsi cette musique très codifiée, modale, dont les rythmes et les modes sont rigoureusement établis au sein des noubas. Si de prime abord, le nom pourrait laisser penser que l’on évoque une fête, la nouba est en fait une suite de pièces instrumentales et vocales, incluant des poèmes abordant l'amour, la nature, le vin ou la piété. Imaginées pour être exécutées à une heure précise du jour ou de la nuit, il y a originellement vingt-quatre noubas – une pour chaque heure de la journée. Hélas, seulement seize (dont quatre inachevées) ont survécu jusqu'à aujourd'hui en Algérie, faisant de ce dernier le pays où l’on en dénombre le plus.

Les orchestres sont généralement composés de flûtes de roseau (nay), de tambours et de tambourins (tbiblat, tar et derbouka), d’oud, de cithares, de rebabs (petits violons à deux cordes) et de violons que l’on joue verticalement posés sur une cuisse.

En Algérie, on met généralement en avant trois écoles majeures de musiques arabo-andalouse proposant chacune leur variation et leurs nuances : le gharnati de Tlemcen, la çanâa d'Alger et le maalouf de Constantine. Ce dernier, le maalouf, est un des plus authentiques, son nom signifiant littéralement « fidèle à la tradition ». Un de ses plus grands représentants ne fut nul autre qu’Enrico Macias, excellent musicien (peu le savent) formé à cette musique au sein de l’orchestre de son beau-père Cheikh Raymond Leyris, maître incontesté du maalouf. Hormis ces deux noms, les autres piliers du genre à retenir sont Hadj Mohamed Tahar Fergani, le « Rossignol de Constantine », emblème du maalouf qui s’essaya à d’autres formes de musique arabo-andalouse, Cheikh Darsouni, autre icône, et plus récemment Taoufik Bestandji.

Une bonne occasion d’entendre du maalouf exécuté par ses meilleurs musiciens est de se rendre au festival international du Maalouf de Constantine, chaque année, au mois d’octobre. Par le passé, on y a notamment vu des sommités telles que Cheikh Mohamed Tahar el-Fargani…

Dans l’ensemble, les grands interprètes algériens de la musique arabo-andalouse à retenir sont Abderrezzak Fekhardji (violoniste et chef d’orchestre), Dahmane Benachour, Abdelkrim Dali, Cheikh el-Arbi Bensari (maître du gharnata et du hawzi) et, côté femmes, Yamna bent el-Hadj el-Mahdi (maîtresse de la musique çanâa et du répertoire citadin) ou Fadhila Dziria, figure de proue de cette musique à Alger. Certains de ces grands noms et/ou leurs héritiers se sont produits et se produisent régulièrement au Théâtre de Verdure, centre d’art et culture de la wilaya d’Alger, accueillant régulièrement festivals et concerts de musiques chaâbi et arabo-andalouse.

La musique populaire

Lié à la tradition arabo-andalouse d’Alger – le çanâa mentionné précédemment – le chaâbi (signifiant « populaire » en arabe) est une musique citadine dont la forme est assimilable à celle de la musique arabo-andalouse mais à laquelle s’ajoutent des influences arabe, africaine et européenne dans ses mélodies et gnaoua et berbère dans ses rythmes. Né au début du XXe siècle à Alger, le genre est un pur produit de la capitale, ses textes étant d’ailleurs écrits en dialecte algérois. Des textes, basés principalement sur la poésie melhoun, qui font le succès du chaâbi dans tout le pays, appréciés pour leur aspect social et moral. Ya rayah (« Le voyageur ») de Dahmane el-Harrachi est sans nul doute la chanson la plus connue du répertoire notamment parce qu’elle a été reprise au début des années 1990 par Rachid Taha. Hormis el-Harrachi, les maîtres du chaâbi sont Hadj M’hamed el-Anka (considéré comme le créateur du chaâbi avec Cheikh Nador), Amar el-Achab, Boudjemaa el-Ankis, el-Hachemi Guerouabi ou Kamel Messaoudi.

Autre pilier de la musique populaire algérienne, la chanson kabyle porte en elle quelques stars comme Idir (très connu en France), Matoub Lounés ou Lounis Aït Menguellet, le « Bob Dylan kabyle ». Révélée en Europe par Marguerite Taos Amrouche (1913-1976) qui a collecté et interprété des chants traditionnels inspirés de contes et de poèmes transmis depuis des siècles, la chanson kabyle a connu une grande popularité grâce aux grands noms susmentionnés, interprètes de textes identitaires ou contestataires sur des musiques souvent proches du chaâbi jouées la plupart du temps par une seule guitare (ou parfois par un orchestre au grand complet).

Enfin, impossible d’aborder la musique populaire algérienne sans un mot sur le bédoui, considéré comme l’ancêtre du raï. Apparu dans l'Ouest algérien (la région de l’Oranie) à partir du XVIIIe siècle, le genre a vraiment commencé à se développer au début du XXe siècle. Lui aussi basé sur le melhoun, il apparaît dans sa forme comme une sorte de synthèse musicale arabo-berbère. Parmi les quelques grands chanteurs du domaine à connaître, impossible de ne pas citer Cheikh Hamada et surtout Cheikha Rimitti. Audacieuse, libre, extrêmement créative, on considère souvent que c’est elle qui est à la source du raï. Née en 1923 à Bouni, Saâdia Bediaf (de son vrai nom) commence à danser, chanter et jouer du bendir sous le nom d’el-Ghilizania dans les mariages et les fêtes populaires. Très vite, elle s’impose sur la scène algérienne, portée par une forme musicale nouvelle ainsi que des textes – sulfureux pour la société de l’époque – abordant le statut de la femme, l’amour ou le plaisir charnel.

Le raï

C'est le genre algérien le plus connu hors des frontières du pays. Signifiant « conseil » ou « opinion », le raï naît – bien longtemps avant l'apparition du sourire éclatant de Khaled – de la rencontre entre le bédouin traditionnel et les chansons chantées par les femmes (les cheikhates) pour les femmes pendant les fêtes familiales. Le genre prend forme au cours des années 1950 et 1960, époque durant laquelle les précurseurs du genre que sont Cheikha Remitti (évoquée précédemment) ou Messaoud Bellemou et Belkacem Bouteldja transforment le bédouin en osant y introduire des instruments nouveaux (trompettes, guitares électriques) ainsi qu'une certaine odeur de soufre.

Durant les années 1980, le raï commence à prendre la forme qu'on lui connaît aujourd'hui. Les synthétiseurs et les boîtes à rythmes font leur apparition et le raï se gorge de styles occidentaux comme le rock, pop, funk, reggae et disco. C'est ici qu'apparaissent les « chebs », stars du genre, parmi lesquels les fameux Cheb Khaled et Cheb Mami ont connu un gros succès en France. Les Chebs sont aussi associés à un nom iconique, Disco Maghreb, label légendaire du raï sans qui le genre n'aurait sans doute jamais été aussi important. L'enseigne est un tel pilier du patrimoine national qu'Emmanuel Macron passa par sa boutique oranaise lors de sa tournée algérienne en août 2022.

Dans les années 1990, le raï est chanté par toute une jeunesse algérienne qui a soif de vivre, avec pour thèmes principaux l'amour, la fête, la vie noctambule et la solitude, exprimés dans un langage souvent cru. Le genre devient en peu de temps l'un des grands ambassadeurs de l'Algérie à travers le monde et une des preuves de la vivacité créative algérienne. C'est sûrement pour cela que nombre de ses représentants ont été la cible des terroristes dès le début des années 1990 dont certains furent les victimes, comme Cheb Hasni, le chanteur emblématique assassiné en 1994 et dont la mort est toujours pleurée.

Le raï s'écoute et se joue toujours. Il fait indiscutablement partie de la culture algérienne, à tel point qu'il a été inscrit au patrimoine culturel immatériel de l'Unesco le 1er décembre 2022. Ce classement lui apporte une reconnaissance mondiale et met fin à la polémique opposant le Maroc et l'Algérie, qui s'en disputaient la paternité. L'inscription doit également donner un nouveau souffle de vie au genre, mis à mal par le piratage, en en relançant la production.

Aujourd'hui, le Théâtre de Verdure d'Oran accueille les jeunes talents du genre régulièrement tandis qu'à Tlemcen, c'est le Mirage Club, night-club appartenant au très chic Renaissance Hôtel qui organise des soirées raï.

Les musiques actuelles

La scène algérienne actuelle est vibrante. C’est peut-être grâce à des pionniers comme Majid Soula, incroyable avant-gardiste des années 1970 dont la musique mélangeait le meilleur des traditions kabyles, du disco, du highlife et du funk. La très belle compilation Chant Amazigh parue en 2021 chez Habibi Funk raconte très bien toute la force créative de l’artiste.

Comme partout ailleurs (ou presque) dans le monde, le rap est un vrai carton en Algérie. Dans les années 1990, des groupes et artistes pionniers comme Intik, Micro Brise le Silence, TOX, Hamma Boys, Lotfi Double Kanon ont, les premiers, essuyé les déboires avec les autorités et ont bataillé ferme pour offrir une légitimité au genre dans le pays. Depuis, des artistes comme City 16 ou Didine Canon 16 rencontrent un grand succès local et d’autres comme Soolking sont même en train de se faire une place à l’internationale.

Loin du rap, impossible de ne pas mentionner ici Souad Massi, musicienne inclassable bien connue en France, dont le folk-rock convie le chaâbi et la musique arabo-andalouse au sein de textes très poétiques chantés en arabe algérien, français, anglais ou berbère.

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