Le cinéma français s’invite en Algérie
C'est par la France et ses cinéastes que l'Algérie va découvrir le septième art. Un état de fait assuré par l'institution coloniale, qui cadenasse les initiatives de productions locales pour garder la mainmise sur le cinéma. Dès lors, l'Algérie est vue comme une terre exotique servant à amuser la métropole à l'écran, ou à illustrer l'ailleurs. En 1921, le pays sert de décor à L'Atlantide de Jacques Feyder, réalisateur belgo-français né à Bruxelles qui tourne pendant huit mois dans le Sahara algérien, une première à l'époque. Avec à la clé l'un des chefs-d'œuvre du cinéma muet français, aujourd'hui centenaire.
Film moins glorieux mais néanmoins notable, Le Bled de Jean Renoir (1929) est également tourné en Algérie. Commandé par l'institution coloniale dans le cadre des commémorations du centenaire de l'Algérie française, il fait l'apologie de la colonisation et célèbre la grandeur de la France, tout en étant tout de même réalisé par l'un des grands cinéastes français du XXe siècle. On y retrouve d'ailleurs déjà son style, et les prémisses du réalisme poétique qui sera celui de ses grands films comme La Bête humaine (1936). C'est enfin – dans son introduction – un quasi-documentaire sur la vie à Alger au début des années 1930, un témoignage précieux. Enfin, parmi les films notables d'avant l'indépendance, citons également Pépé le Moko de Julien Duvivier (1937), tourné en partie à Alger. Un film de gangsters fortement inspiré des modèles américains, où Alger apparaît comme une ville de truands et de bandits. Une image entachée de colonialisme qui sera rejetée en bloc par les premiers cinéastes algériens.
Il convient de noter tout de même que tous les Français ne sont pas solidaires du régime de domination. Alors que la guerre d'indépendance se déclare en 1954, certaines et certains vont s'allier à la cause des Algériens. Ainsi, la réalisatrice Cécile Decugis, cinéaste et monteuse de François Truffaut et d'Éric Rohmer, tourne le court métrage Les Réfugiés (1957). Un film montrant les déplacements de population engendrés par la guerre vers la Tunisie et dénonçant les exactions françaises. Soutien à la cause algérienne, elle sera arrêtée en 1960 et passera deux ans dans les prisons françaises. De son côté, le cinéaste et producteur anticolonialiste René Vautier réalise plusieurs courts métrages et documentaires cinglants comme L'Algérie en flammes (1958) ou Une nation, l'Algérie (1955). Un film aujourd'hui disparu, mais pour lequel il sera poursuivi pour atteinte à la sécurité de l'État.
Cinéma algérien d’hier et d’aujourd’hui
Dès 1954, une équipe de jeunes cinéastes se constitue dans le maquis algérien. Filmant les affres mais aussi les victoires de l'ALN, ces étudiants sont la première génération de réalisateurs nationaux. Parmi eux, Djamel Chanderli et Mohamed Lakhdar-Hamina sont sans doute les plus importants. Pour soutenir la cause algérienne auprès de l'opinion publique internationale, ils réalisent trois films en à peine un an. Djazaïrouna (1961), Yasmina (1961) et La Voix du peuple (1961), une triplette mettant en scène les exactions du régime français, les souffrances du peuple algérien et leur volonté de liberté. Des œuvres qui contribueront sans aucun doute à la fin de la guerre l'année suivante, de par la force de leur propos et de leurs images.
Malgré la fin des hostilités, c'est bien le conflit qui reste au cœur du cinéma algérien des années 1960. La première fiction algérienne, Une si jeune paix (Jacques Charby, 1965), en est un des exemples les plus forts. Un film où la réalité s'invite sous les traits du fils du cinéaste qui y tient son propre rôle, alors qu'il a été torturé et mutilé par les paras français de l'OAS. L'année suivante, c'est le film La Bataille d'Alger, coproduction italo-algérienne de Gillo Pontecorvo, qui fait la une des journaux internationaux en remportant le lion d'or à Venise, au grand dam des Français présents sur place. Il en sera de même en 1975 dans Chronique des années de braise, de Mohamed Lakhdar-Hamina, un drame qui relate les quinze années qui ont précédé le déclenchement de la guerre d'Algérie. Une fresque historique grandiose, récompensée de la palme d'or au festival de Cannes, malgré des menaces de mort à l'encontre du cinéaste algérien. Trois films majeurs qui lancent l'histoire d'un cinéma algérien plein de potentiel, alors qu'il vient d'être auréolé – via le film Z du réalisateur Costa-Gavras – de l'oscar du meilleur film étranger en 1970.
Dans les décennies qui suivent, le cinéma national se diversifie, tout en restant profondément marqué par son passé et son présent. De jeunes cinéastes et documentaristes prennent la relève de la première génération de réalisateurs, et sont régulièrement récompensés dans les festivals internationaux. Les Enfants du vent (1981) de Brahim Tsaki obtient ainsi le prix de la Critique au festival de Venise, tandis que la cinéaste Djamila Sahraoui se forge un nom avec les documentaires La Moitié du ciel d'Allah (1995) ou les fictions Barakat! (2006) ou Yema (2012). La Place (2011), première comédie musicale algérienne réalisée par Dahmane Ouzid, reçoit plusieurs prix internationaux, ainsi que le prix René Vautier à Montpellier, remis par Costa-Gavras. Une belle boucle, lorsqu'on sait l'héritage que ces deux réalisateurs représentent pour le cinéma algérien.
Aujourd'hui, le cinéma algérien est menacé. La dissolution de l'organe de financement de l'art, de la technique et de l'industrie cinématographique constitue, selon certains, une véritable mise à mort du septième art en Algérie, alors que le parc de salles se réduit de jour en jour. Dans un pays qui comptait, en 1962, plus de 400 écrans, ils ne sont plus qu'une vingtaine aujourd'hui. Les tournages internationaux, réguliers au siècle dernier (Antonioni, Bertolucci ou encore Franklin J. Schaffner, réalisateur de Patton, ont posé leur caméra en Algérie), se comptent désormais sur les doigts de la main. Pourtant, des cinéastes comme Mounia Meddour (Papicha, 2019) ou Sofia Djama (Les Bienheureux, 2017) poursuivent envers et contre tout la création. Parce que le cinéma algérien est le fruit d'une histoire de luttes, et qu'il reste aujourd'hui encore un moyen d'expression fort, à l'ADN unique.