Une terre de métissage
Occupant une position stratégique au cœur de l’archipel des Petites Antilles, la Martinique a été peuplée par vagues d’immigrations successives : d’abord par des tribus amérindiennes provenant d’Amérique du Sud, puis par les colons européens, par les Africains victimes de la traite négrière, et enfin, plus tard, par les Hindous, les Asiatiques, les Moyen-Orientaux et les Caribéens. Dans ce tableau pluriculturel évolue une population plutôt jeune, essentiellement citadine (un quart des Martiniquais vit à Fort-de-France), de confessions religieuses différentes, même si le catholicisme domine largement en Martinique.
Les Amérindiens. Présentes dès 2000 avant notre ère, les différentes tribus amérindiennes (Arawaks, Tainos et Caraïbes) ont toutes été éradiquées par les colons européens ou par les maladies qu'ils apportèrent. Cependant, les pratiques et traditions héritées de ces populations précolombiennes demeurent bien vivaces en Martinique. Fins connaisseurs de la nature, les Amérindiens ont introduit une grande partie des végétaux aujourd’hui consommés sur l’île (mangue, ananas, avocat…). C’est à eux que l’on doit aussi certaines pratiques, comme la culture sur brûlis, l’art de consommer le manioc ou de tresser la vannerie.
Les Noirs et les Métis. Ce sont les descendants des Africains arrachés à leur terre natale pour venir travailler dans les plantations. Ils représentent près de 90 % de la population martiniquaise, un groupe très hétérogène fortement métissé. Quant au terme mulâtre, il désigne au départ les enfants illégitimes des maîtres blancs et des femmes noires. Si le terme est péjoratif et raciste en anglais et très peu usité en métropole (on lui préfère le terme métis, mais qui a une acception plus large), il est courant aux Antilles. Beaucoup de ces mulâtres occupent aujourd’hui des postes à responsabilité et exercent des professions libérales respectées (avocats, médecins…).
Les Békés. Issus des premiers colons européens venus s’installer sur l'île à partir du début du XVIIe siècle au cœur de la traite négrière pour cultiver la canne à sucre, les Békés (ou blancs-pays) sont des Blancs « nés à la Martinique, dont la famille a habité l’île depuis plusieurs générations ». Ils forment aujourd'hui une population d'environ 3 000 personnes. Dans les faits, seule une minorité provient de la noblesse, et la plupart des Békés descendent d’aventuriers ou d'engagés. Au fil du temps, ces colons ont fini par former une certaine aristocratie de propriétaires largement indemnisés au moment de l'abolition de l'esclavage pour compenser à l'époque ce qui était perçu comme la perte d'une main-d’œuvre bon marché.
Même s'ils n'ont plus le monopole économique (une grande bourgeoisie noire, métisse, indienne et chinoise a émergé dans les années 1990 et des investisseurs métropolitains se sont installés sur l'île), ils constituent une minorité dominante qui conserve encore de nombreuses exploitations de bananes et de cannes à sucre. Beaucoup se sont reconvertis dans le secteur de la grande distribution (alimentation, concession automobile...) ou font partie des cadres dirigeants dans les grandes entreprises de l’île. Certains se préservent des incertitudes économiques des Antilles en investissant ailleurs, en métropole, aux Etats-Unis, en République dominicaine et au Canada. Les Békés parlent le français mais aussi le créole.
Les Chinois, les Syriens et les Libanais. Originaires du sud de l’Empire du Milieu, les Chinois sont arrivés en Martinique par trois vagues d'immigration successives. La première dans les années 1860, la deuxième entre 1920 et 1970, et la troisième dans les années 1980. Souvent très pauvres à l'arrivée, ces communautés parfaitement intégrées et parlant le créole ont rapidement délaissé les campagnes pour investir le tissu économique à travers les supermarchés, restaurants ou petites boutiques d’alimentation.
A partir des années 1880, les premiers Libanais et Syriens débarquent en Martinique, s’inscrivant dans le vaste mouvement migratoire en direction de l’Amérique latine et des États-Unis. Majoritairement chrétiens, ils formaient à l'origine une communauté de commerçants ambulants (vêtements, tissus, bijoux…) qui parcouraient les campagnes. Ils se sont finalement sédentarisés dans les grandes rues commerçantes de Fort-de-France.
Les Hindous. L'abolition de l'esclavage en 1848 va entraîner de nouvelles filières d'immigration : la France passe des accords avec le gouvernement anglo-indien et des Indiens, appelés « Coolies » ou « Malabars », s'installent en Martinique. Leur immigration est très réglementée, le gouvernement anglo-indien s'assurant des droits et des avantages des populations qu'il envoie. Les patrons doivent fournir un logement, de la nourriture, des vêtements et un salaire à leurs nouveaux travailleurs. Les premiers moments de l'intégration se font délicats, les Coolies doivent faire face à l'hostilité des Noirs affranchis car ils font baisser les salaires sur le marché du travail. Avec force de temps, ils réussissent cependant à s’intégrer parfaitement à la société antillaise : le colombo, d’origine tamoule, est devenu un plat national antillais, et la langue créole a conquis tous les foyers hindous. Dans les campagnes, les temples indiens se repèrent facilement à leurs mâts multicolores sous lesquels des réceptacles accueillent offrandes, bougies et lampes à huile.
Les « Métros ». Depuis quelques années, les Métropolitains (blancs-France) sont de plus en plus nombreux à venir s’installer en Martinique. Parmi eux, les gendarmes, les militaires et les fonctionnaires forment le gros des troupes, mais pas seulement. Beaucoup de retraités et d’amoureux du soleil viennent tenter leur chance sur l’île aux fleurs tout en cherchant à s’intégrer et se mêler aux autres communautés déjà présentes.
A ces aventuriers pris de passion pour la Martinique s’ajoutent les Martiniquais de métropole, qui reviennent souvent passer leur retraite sur l’île, après des années loin de leur famille.
Les Antillais. Depuis récemment, la Martinique accueille de plus en plus d’Antillais venus de la Dominique, de Sainte-Lucie ou encore d’Haïti. Affichant un niveau de vie plus élevé par rapport à la plupart des îles de l’arc antillais, la Martinique suscite des convoitises chez ces populations espérant y mener une vie plus prospère.
Le créole, symbole du métissage culturel caribéen
Né du besoin de communication entre maîtres blancs et esclaves noirs, le créole est une langue à part entière, dont la portée dépasse les distinctions de classe, de couleur et d’ethnie.
Les origines du créole antillais. Agé de quatre siècles, le créole de la Martinique est un créole antillais (par opposition aux créoles louisianais, guyanais ou bourbonnais). Il est issu des langues maternelles des esclaves africains (qui bien souvent ne se comprenaient pas entre eux, étant originaires de pays différents) et de leur utilisation imparfaite du français, les planteurs ne cherchant pas à leur enseigner la langue et employant un langage rudimentaire pour se faire comprendre. Le créole a également été influencé par l'anglais et l'espagnol, Britanniques et Hispaniques ayant occupé eux aussi la Martinique, et bien entendu par la langue des Amérindiens. La structure grammaticale du créole antillais est africaine, les mots de vocabulaire européens, même si l'on peut reconnaître des mots africains malgré les déformations phonétiques. Pendant des siècles, le créole s’est transmis oralement, de génération en génération, devenant par là même la langue maternelle des descendants d'esclaves. Les plus anciens textes connus en créole remontent au milieu du XVIIIe siècle. Longtemps, le créole a été considéré comme un français mal parlé, simplifié à l’extrême, un vulgaire patois aux intonations étranges, qualifié même de « parler de Nègre »… Sous la Révolution pourtant, un changement s’amorce.
La réhabilitation du créole. Chansons populaires, textes humoristiques et surtout déclarations politiques des envoyés de la Convention écrits en créole voient le jour. On écrit des grammaires, Lafcadio Hearn publie des contes, des feuilletons en créole paraissent dans la presse, comme Les Mémoires d’un vonvon, de Tonton Dumoco. Il faut attendre néanmoins la seconde moitié du XXe siècle, grâce notamment au combat d’intellectuels comme Aimé Césaire et Patrick Chamoiseau, pour voir le créole réhabilité : les bandes dessinées créoles déferlent, la pub se transforme, la musique zouk explose. Le combat pour le créole devient un enjeu politique. Fait sans précédent, l’université Antilles-Guyane institue, en 1973, un cours de linguistique créole. Trois ans plus tard est soutenue la première thèse consacrée à la langue créole. En 1981, un institut d’études créoles et francophones s’installe à Aix-en-Provence. Pour fédérer ce courant, chercheurs et pédagogues s’emploient à définir un lexique commun au créole des Antilles, et lancent un nouveau mouvement : Bannzil Kréyôl (Archipel créole). De cette tentative subsiste surtout une fête internationale du créole, le 28 octobre, diversement célébrée. Depuis 2000, les lycéens des académies de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de Réunion peuvent passer les épreuves obligatoires et facultatives de créole dans leurs académies. C'est le résultat d'un long combat mené par les défenseurs de la langue créole tels Raphaël Confiant, Daniel Boukman, Sylviane Telchid, Hector Poullet et de nombreux autres ardents défenseurs de l’identité antillaise.