Découvrez la Martinique : Traditions dans le monde phytosanitaire

Le Martiniquais a toujours pris en considération les vertus naturelles des plantes. Elles peuvent être énergisantes, faibles en calories, ou détoxifiantes et très utiles après certains repas de fêtes trop copieux. La pratique de la pharmacopée est d’usage plutôt courant chez le Martiniquais mais avec la pandémie mondiale de Covid-19, sont apparus des adeptes inflexibles et un regain fervent pour la médecine traditionnelle. Les plantes autrement dit les rimed razié en créole sont prises en considération, certes pour ne pas user de médicaments mais aussi par méfiance, en réaction à l’impression de tâtonnements et donc d’incertitude que pouvait donner les directives et recommandations officielles. Cependant, afin de ne pas perturber le mécanisme immunitaire naturel, l’usage de ces plantes doit toujours être maîtrisé et leur dosage doit être bien connu et respecté. Ce pan du patrimoine martiniquais sera ici développé par Emmanuel Nossin, pharmacien et ethno-pharmacologue reconnu.

Apothicaire créole : rimed razié, médecine traditionnelle

« Le rimed-razié est une bonne chose, lorsqu’il n’est plus possible de surmonter les problèmes surnaturels, il est une solution ». Tels sont les propos d’une vendeuse de marché devant son étalage foisonnant, avec la candeur d’une fervente pratiquante. « Certains vont chez le médecin et n’y trouvent pas leur compte. On prend ces herbes et on repart de bon pied ».

Durant trois siècles, en puisant dans leur mémoire effacée, nos aïeux ont développé un système symbolique, complexe et ordonné qui leur a permis de transmettre et consolider leurs visions du monde, leurs cosmogonies, leurs croyances.

Selon E. Nossin, « la création elle-même de la pharmacopée traditionnelle constitue un exemple frappant de leur prodigieuse capacité à intégrer intelligemment les éléments de leur environnement à travers le moule de leurs ancestralités respectives pour en faire des outils efficaces tant dans les sphères matérielles qu’immatérielles. C’est donc un marqueur important de notre patrimoine caribéen immatériel. Elle a vocation à s’insérer dans le rythme de vie contemporain, à devenir un élément de développement durable, et également à enrichir le patrimoine mondial.

Les plantes indispensables à l’usage des médications et leur emploi ne peuvent se comprendre que si l’on accepte une logique opératoire différente dans laquelle le pouvoir thérapeutique serait attribué, non pas à l’ingrédient lui-même, mais à l’entité qui le gouvernerait.

Ainsi, si la plante est efficace, c’est parce qu’elle fait partie de la nature, laquelle nature est fusionnée à l’homme. Tout se passe donc comme si les espèces végétales étaient elles-mêmes des entités vivantes dotées d’âme, d’intelligence et de volonté, et que dans chacune d’entre elles opéraient des forces inconnaissables. Et c’est précisément parce qu’ils sont capables de mobiliser ces forces inconnaissables que des intercesseurs traditionnels - les tradithérapeutes - servent de médiateurs au cours de rituels d’invocation ».

Ce mode de pensée cache indubitablement une vision du monde complexe où tout ce qui vit et existe ne revêt pas toujours une forme visible et facilement détectable ou connaissable.

La pharmacopée traditionnelle de Martinique (PTM), un héritage multiculturel

« Avec environ un millier d’ingrédients - les plantes étant la majorité –, la pharmacopée traditionnelle connue sous l’appellation créole rimed-razié (herboristerie) est l’émanation d’une médecine empirique aux ancestralités multiples. Et elle en reflète fidèlement surtout sa nature holistique.

Les effets recherchés par les ingrédients de la pharmacopée martiniquaise traditionnelle sont toujours polyvalents et synergiques. Totalement intégrés dans le tissu culturel, ils restent indissociables du mode de pensée naturaliste traditionnel pour lequel tous les éléments sont liés et interagissent. C’est pourquoi il n’y a pas de séparation tranchée entre les différentes fonctions qui leur sont attribuées. Ainsi leur est-il demandé de soigner aussi bien un mal de foie que de ramener un mari volage ou faire réussir une tractation, d’expulser un flim (glaire) que de procurer une bonne vente ou une bonne pêche, de stopper une inflammation que de faire gagner la course de yoles… D’où la grande diversité de produits incluant tant le règne animal et minéral que végétal sans oublier quelques produits de fabrication artisanale et autres mixtures, y compris ceux empruntés aux autres pharmacopées : eau de Cologne des Princes, teinture d’arnica, etc.

Au service d’une médecine de la conscience et qui donc soigne d’abord la personne portant la maladie (assez souvent nommée « blesse », en créole bles) et non pas seulement l’organe malade, la pharmacopée traditionnelle arbore des substances dont la formation connote un aspect symbolique que la composition chimique ne peut en aucun cas refléter.

Toutes les médications imaginées par nos aïeux visent toujours à permettre à l’individu de préserver son équilibre et surtout son unité dynamique. Elles sont le fruit de connaissances colportées, mais aussi d’inventions balisées par les traces des cultures d’origine.

Pratiques thérapeutiques

« Les pratiques thérapeutiques s’inscrivant le plus souvent dans un cadre rituel et symbolique, il n’est pas rare de rencontrer des médications où les propriétés biologiques ne constituent pas l’élément déterminant. D’ailleurs, bien souvent, les mêmes ingrédients sont recommandés pour des maux très différents. Les fumigations, ablutions ou autres « bains » constituent une partie importante des traitements, surtout pour ceux de causalité personnaliste » nous signale toujours Emmanuel Nossin.

Les plantes dépolluantes au sens propre et au figuré

Croyances et pratiques. L’espace dans lequel vous résidez doit dégager une ambiance positive et pouvoir être protectrice. Les initiés vous diront que la devanture d'une maison comprendra toute une série de plantes magiques, bien spécifiques comme le « Qui-vivra-verra ». C’est un croton aux feuilles longues vertes tachées de jaune. Cette plante symbolise l’espoir. Elle doit être placée devant la maison. Le « Qui mourra saura » symbolise la transmission des générations, c’est aussi un croton mais avec des feuilles de largeurs moyennes tachées elles aussi de vert et de jaune. Elle sera plantée derrière la maison. Nom scientifique des crotons : Codideum variegatum (famille des Euphorbiacées) ; origine : Malaisie et îles de l'Est Pacifique.

Le magico-religieux veut que le pied de piment lui aussi soit placé derrière la maison car de même que l’on n'offre pas de couteau ou d’objet tranchant en cadeau, on ne donne jamais de piment de main en main, ni de citron non plus. La bienséance est de le poser sur une table et la personne le prendra.

Le « Pain quotidien », une autre plante magique, est elle aussi placée devant la maison, son nom scientifique est Dracaena sanderiana, elle a les feuilles longues, vertes, striées de blanc, et ressemble au Sceptre de Moïse, encore une autre plante magique qui comme elle sera devant la maison. Sept branches de cette dernière symbolisant les sept jours de la semaine seront placées à l’intérieur de la maison.

Le « Roseau des Indes », autre nom de la cordyline, fait aussi partie des plantes « élues », ainsi que les plantes nommées « Cœur de Marie », « Couronne du Christ », nom de l’Argalon, « Plus-fort-que-l’homme », et plus récemment le « Sang des Ashantis » ou « Mussaenda », les « Gouttes de sang du Christ », les « Larmes de Marie », tous aux noms très évocateurs. Ces dernières sont des plantes incontournables à avoir absolument chez soi, sur la devanture de préférence.

En dépit de ces noms évoquant sans cesse la religion, on ne peut cependant s’empêcher de penser au syncrétisme permanent qui reste sous-jacent. Ici, la nature joue un rôle essentiel, aussi un certain nombre de plantes aux vibrations positives comme l’Arada et la citronnelle vont purifier l’environnement en éloignant les ondes malsaines mais aussi améliorer l’environnement en chassant les moustiques et autres insectes malfaisants. Les plantes positives vont absorber les mauvaises énergies et protéger la maison.

Une plante dépolluante et résistante. La Sansevieria, de la famille des Asparagacées, est une plante que nous avons dans notre jardin. Elle est nommée aussi « Langue de belle-mère », pour l’aspect de certaines espèces. On dirait en effet une multitude de langues, longues et dressées, qui semblent vous épier. Les espèces et variétés de sansevieria sont nombreuses. C’est une plante qui a des feuilles  plates ou de forme cylindrique qui sont assez souvent striées, avec des graphismes divers de couleur vert foncé. Elles sont très esthétiques, dépolluantes, elles filtrent les composés organiques volatils (COV). C’est une succulente qui fait une hampe chargée de petites fleurs blanches  au parfum discret. La Sansevieria hyacinthoide a été introduite comme plante ornementale aux Petites Antilles au XIXe siècle et au début du XXe siècle. Lorsque le milieu lui convient, la Sansevieria hyacinthoide se propage par graines, bouts de feuilles ou par les rhizomes. Elle peut recouvrir des surfaces importantes en éradiquant sur son passage les végétations avoisinantes. C'est une plante invasive qui représente une menace pour la flore locale.

Une plante résistante qui a aidé à faire de la résistance. Durant la période de l’amiral Robert, la Martinique a connu et enduré une certaine autarcie, qui a rendu la population très créative par nécessité. Un marais salant de fortune a été érigé à Sainte-Anne, les cocotiers ont donné du savon et de nos jours ils donnent encore de l’huile. L’autoproduction a été indispensable pour survivre, et la Sansevieria hyacinthoide s’est dévouée. Elle a chaussé les habitants comme elle a pu. Cogner les feuilles, en extraire le jus, récupérer les filaments a été nécessaire pour obtenir ce que l’on a appelé des alpargates, une sorte de chaussure espagnole faite de fibres naturelles.

L’arada et autres plantes de la nature. Depuis toujours l'arada est nécessaire au grand nettoyage de fin d’année. Elle est utilisée contre la mauvaise fortune, l’envie, la jalousie et depuis peu elle est connue comme étant une des principales molécules actives entrant dans la composition de l’ivermectine, médicament cher au professeur Raoult pour soigner la Covid-19. L’armoise ti-pompon, le pompon-soldat, la pomme-cochon poussent dans la nature. Comme le faisaient les Amérindiens pour préparer leurs flèches ou capturer certains poissons qu’ils endormaient, les plantes toxiques sont loin d’être négligées, il faut seulement en connaître le dosage.

Le bain démaré. Beaucoup de plantes ont des propriétés efficaces pour combattre les mauvaises vibrations, attirer la prospérité et les bonnes énergies dans tous les lieux où elles se trouvent. Selon une croyance populaire, si l’aloès pousse, c’est qu’elle attire la bonne fortune. Si elle meurt, c’est qu’elle a su absorber les ondes négatives introduites dans la maison par la venue de personnes envieuses ou mal intentionnées.

Le bain démaré, mélange de feuilles de ces plantes bienfaisantes, est propice à une rentrée harmonieuse, et des résultats scolaires formidables, il permet aussi de démarrer l’année d’un bon pied, boosté par toute l’énergie des plantes. Des feuilles de goyavier, corossolier, oranger, hibiscus, quénettes (Mélicoccus bijugatus), manguier s’ajouteront aux plantes protectrices et autres herbes pour éliminer les mauvaises ondes, etc. Elles seront malaxées pour préparer le bain qui sera exposé au soleil. Les bains purificateurs sont secrets, effectués avant les prières, le premier vendredi du mois de préférence.

La cuillerée journalière d’huile de foie de morue et la tisane de verveine auront précédé pendant une semaine, en amont du purgatif réservé au nettoyage interne, mais ces pratiques sont devenues rares.

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