Une famille traditionnelle qui change progressivement
On ne pourra qu'être sensible à la chaleur qui émane de la cellule familiale tunisienne. On trouvera la famille très traditionnelle, avec le père en chef incontesté, dans les campagnes. En ville, les femmes travaillent, ont des postes à responsabilité, et les enfants vont chez la nourrice. On constate cependant depuis quelques années que l'entraide et la solidarité familiales se transforment ; l'institution de la famille est sujette à des bouleversements. La population tunisienne, qui était essentiellement rurale il y a plus de 50 ans, vit aujourd'hui dans les zones urbaines. Les ménages aujourd'hui changent de lieu de résidence, ils habitent souvent seuls et séparés de la grande famille. Même si cette dernière joue un rôle de soutien, une régression de son rôle et du pouvoir paternel se fait sentir. En effet, le pouvoir de décision du père au niveau du mariage est en perte de vitesse, cette évolution donne lieu à des tensions et des ruptures, les nouvelles générations s'affirment dans la prise de décision. Les enfants ont besoin des parents sur le plan matériel, la difficulté de trouver un emploi les rendant dépendants parfois jusqu'à un âge avancé.
Une priorité à l'éducation qui ne porte pas toujours ses fruits
Généralisé depuis les premières années de l'indépendance, l'enseignement est devenu, depuis 1991, obligatoire pendant une durée de 9 ans, pour tous les enfants de 6 à 16 ans. Le diplôme national du baccalauréat valide le cycle secondaire et ouvre les portes de l'université. Les examens nationaux sont d'un niveau élevé. Les lauréats sont justement récompensés et mis en valeur, certains parents faisant paraître dans les journaux un message de félicitations accompagné éventuellement d'une photo du nouveau bachelier. Dans l'enseignement supérieur, les cursus sont variables selon les filières, courts de deux à quatre ans et longs de quatre ans et plus. Le nombre d'enseignants à l'université tunisienne reste insuffisant face à l'augmentation rapide du nombre d'étudiants. Malgré ces efforts, en 2022, une étude fait ressortir que 2 millions de Tunisiens sont analphabètes. Un chiffre qui serait, selon le journal Presse, la cause et la conséquence de “l'effondrement des valeurs sociétales, du décrochage scolaire, du système éducatif défaillant et de l'absence de stratégie nationale”.
Difficile accès au travail
Depuis son indépendance, la Tunisie accorde de l'importance à la mise en place d'une politique pour les jeunes. Des réformes sont mises en œuvre dans l'éducation à tous les niveaux de l'enseignement et dans la formation professionnelle. La formation professionnelle, par la voie des « écoles de métiers », constitue une seconde chance pour les jeunes, mais elle n'est que partiellement exploitée. Le faible niveau d'instruction subsiste, le manque d'expérience professionnelle touche les jeunes, la faible rémunération du travail et le manque de protection n'arrange rien. Les chiffres du chômage sont assez élevés pour toutes les catégories de la population. Au total, selon les dernières estimations, on enregistre un taux de 16,4 % (2023). Le chômage souvent de longue durée touche beaucoup de jeunes et plus particulièrement les femmes, diplômées ou non. Le chômage des jeunes a été à l'origine de la révolution tunisienne de 2011 : en s'immolant devant le siège du gouvernorat de Sidi Bouzid, Mohamed Bouazizi, diplômé sans emploi et vendeur ambulant, a démontré le désarroi de la jeunesse tunisienne, notamment à l'intérieur du pays. L'emploi est donc, encore et toujours, une priorité. Les secteurs porteurs sont le tourisme, les nouvelles technologies, l'énergie renouvelable, l'industrie électronique et électrique et l'agriculture.
L'uniformité extérieure de l'habitat disparaît à l'intérieur
Chaque maison de la médina est avant tout un espace privé dans lequel la famille peut travailler et se reposer. Les demeures présentent au passant un aspect austère et rébarbatif. Le principe d'uniformité qui règne dans les ruelles de la médina vise à effacer (extérieurement) les différences de classe sociale entre les habitants. Aux yeux de chacun, tout le monde est en quelque sorte logé à la même enseigne.
La différence se trouve à l'intérieur. Bien souvent, ce sera un grand mur aveugle, percé peut-être de fenêtres, petites, grillagées et suffisamment hautes pour interdire un coup d'œil à l'intérieur. Si elles sont situées aux étages, les ouvertures seront plus grandes, garnies de jalousies ou de moucharabiehs, souvent en saillie sur la rue. L'intimité est toujours préservée. La porte d'entrée est vaste, parfois monumentale, décorée de couleurs et de symboles. Passée la porte, on arrive généralement dans la salle de réception, limite à ne pas dépasser pour « l'étranger ».
La plus grande partie de la maison est le domaine de la femme. Depuis un certain temps, la séparation stricte entre le privé et le public dans la maison n'est plus guère observée. D'ailleurs, les immeubles modernes ont favorisé ce changement, car il n'y est fait aucune concession architecturale aux préférences de l'islam.
Des grèves régulières
Depuis la révolution de 2011, la Tunisie est frappée par de nombreuses grèves et occupations d'usines. Pendant longtemps interdites sous le régime de Ben Ali, les employés n'avaient aucun moyen de revendication et les grèves étaient souvent violemment réprimées. Depuis la chute de ce régime, les inégalités sociales et la mauvaise répartition des richesses sont les principales requêtes des Tunisiens. Les entreprises du centre du pays (notamment vers Gafsa) sont les plus concernées, et rares sont aujourd'hui les jours de trêve ou les secteurs épargnés. En juin 2022, les magistrats de tous les tribunaux tunisiens ont réalisé quatre semaines de grève pour protester contre la révocation de 57 de leurs confrères par le président Kaïs Saïed pour corruption évoquée. Une action inédite pour rappeler « le droit de tous à une justice équitable ».
La difficile évolution des mœurs
Traditionnellement, les filles doivent être vierges lors de leur mariage, cette exigence est toujours d'actualité. Néanmoins, dans les grandes villes comme Tunis, les mœurs sont plus souples à ce sujet… Il n'est pas rare qu'avant de se marier les jeunes femmes aient connu d'autres hommes, l'essentiel étant qu'elles semblent être vierges à leur mariage ; pour cela elles peuvent subir une petite opération… Certains couples vivent aussi en concubinage ; ce n'est, certes, pas fréquent, et pas non plus très bien vu par l'entourage, mais cela dénote néanmoins un certain changement de mentalité.
La consécration du mariage
Il reste un but pour presque toutes les jeunes filles tunisiennes. Avant d’être l’occasion de grandes réjouissances familiales et de fêtes parfois somptueuses, le mariage est un acte civil et religieux : il obéit à certaines règles précises. Le régime tunisien ne donne aucun pouvoir au mari sur l’administration des biens propres de son épouse. D’autre part, le mariage ne peut avoir lieu sans le consentement explicite de la femme. Une nouvelle tendance veut que les mariages se fassent devant des officiers d’état civil à la mairie. Sinon, il se fait à la maison (mais les démarches sont plus longues) ou à la mosquée. Normalement, les époux subissent une analyse sanguine afin de vérifier qu’il n’y ait pas incompatibilité entre l’homme et la femme pour l’enfant qui naîtra. À cet effet, le maire ou son adjoint demande toujours un certificat médical.
Tout en conservant son caractère islamique, le mariage n’est, du point de vue légal, qu’une simple démarche civile. La cérémonie traditionnelle reste exceptionnelle et peut durer deux semaines, le plus généralement trois jours ou même parfois seulement un jour pendant lesquels la future mariée est parée des plus belles tenues, maquillée, épilée ; ses pieds et ses mains sont recouverts de dessins au henné. Elle est, tout au long de cette période préparatoire, l’objet de toutes les attentions. La cérémonie de mariage et sa préparation varient un peu selon les régions. Néanmoins, en général les rites préparatoires se ressemblent.
L'évolution des droits de la femme depuis le XXe siècle
L'égalité entre hommes et femmes est expressément affirmée dans les textes législatifs tunisiens, un cas presque unique dans le monde arabo-musulman. Jusqu'à ce que la Tunisie accède à l'indépendance, la législation concernant le statut de la femme était fondée sur les lois islamiques du Coran. En 1936 apparaissait l'Union musulmane des femmes de Tunisie, liée aux milieux zitouniens. L'égalité, la solidarité et la responsabilité des deux parents sont affirmées, et ce par le biais d'un ensemble de dispositions : l'abolition de la polygamie, l'institution du divorce judiciaire et l'égalité de l'homme et de la femme en ce qui concerne le droit au divorce sont intégrés dans le Code du statut personnel entré en vigueur le 13 août 1956. Habib Bourguiba a été fidèle à ses engagements visant l'égalité homme-femme. Aujourd'hui est fêté chaque année le « jour de la femme », toujours férié (ce qui n'est pas le cas en France).
Les femmes jouent un rôle important dans la réhabilitation de l'artisanat et des métiers d'art, ainsi que dans l'adaptation des techniques et styles traditionnels aux besoins de la vie moderne. Enfin, il n'est pas rare de voir dans la rue des femmes policiers, chauffeurs de taxi, sur les lignes de Tunisair des femmes pilotes et, au fin fond des îles Kerkennah, des femmes « pêcheurs ». La Constitution de janvier 2014 a réaffirmé la place des femmes dans la société : parité hommes-femmes dans les assemblées élues, égalité des salaires entre les sexes, protection des acquis de la femme et lutte contre les violences conjugales. Mais la bataille continue, surtout dans l'espace privé.
La lutte pour le droit des homosexuels
Le 24 avril 2020, le mariage d'un couple franco-tunisien gay célébré en France a été officialisé en Tunisie suite à une erreur administrative. En Tunisie, l'homosexualité est encore considérée comme un crime, passible de trois ans de prison. Mounir Baatour, président de Shams, une association de lutte pour les droits LGBTQI+ et avocat du couple rapportait que « l'acte de mariage [a été] transmis par la mairie française au consulat de Tunisie. Le consulat l'a transmis à la municipalité du lieu de naissance de l'époux tunisien qui l'a transcrit sur son acte de naissance. »
Mais l'affaire qui pourrait faire basculer le droit des homosexuels en Tunisie est celle dite de « l'affaire du Kef », une région du nord-ouest. En juillet 2020, deux hommes alors âgés de 26 ans ont été condamnés à purger une peine d'un an de prison, en vertu de l'article 230 du Code pénal, après avoir notamment refusé de subir un test anal. Cette pratique existe encore dans 7 pays au monde, dont la Tunisie. L'avocate Hassina Darraji a jugé cette sentence « cruelle et [allant] à l'encontre des standards internationaux. » Ainsi, en décembre 2021, un groupe d'avocats et de militants des droits humains a donc lancé un pourvoi en cassation contre la loi sur l'homosexualité qui date de l'époque coloniale. En 2024, cette loi n'a toujours pas été abrogée et des militants de la cause LGBT+ ont manifesté en juin à Tunis pour exiger à nouveau la décriminalisation de l'homosexualité, à l'appel de plusieurs ONG locales.