Architecture de légende
Le monument national du Grand Zimbabwe est sans doute le plus célèbre site du pays. Cette cité médiévale, qui a prospéré entre 1100 et 1450, était alors la capitale du vaste empire shona. C’est là que s’est développée l’une des plus grandes civilisations africaines après celles des pharaons et que beaucoup ont surnommé « la civilisation de pierre ». Le terme Zimbabwe lui-même signifie d’ailleurs « maison de pierre ». Les Shona possédaient une technique bien particulière de travail de la pierre : ils la plongeaient dans un feu très chaud, puis versaient de l’eau dessus afin de pouvoir la rendre plus facilement taillable. Voilà qui explique la qualité des assemblages réalisés sans l’aide d’aucun mortier. Les murs épais possédaient ainsi des assises parfaitement travaillées et lisses. Pour s’assurer de la stabilité de l’ensemble, les Shona optaient parfois pour des structures à larges bases et s’affinant progressivement vers le sommet. Le site du Grand Zimbabwe se compose de trois grandes zones. Le roi et ses conseillers résidaient dans la ville haute où d’impressionnants murs de granit définissaient deux enclos distincts desservis par une série de passages étroits parfois couverts. L’enclos ouest est la résidence royale proprement dite, tandis que l’enclos est représente le lieu le plus sacré du site. Voyez ses six grands poteaux en stéatite (plus connue sous le nom de « pierre à savon ») surmontés d’oiseaux. Devenus les emblèmes du pays, ces oiseaux sculptés jouaient alors le rôle de messagers entre les hommes et les dieux. En contrebas de cette acropole se situe le grand enclos. De plan elliptique, il abrite notamment une série d’habitations en pisé (mélange de sable granitique et d’argile) appelées daga, un espace communautaire relié par un passage à une étonnante tour conique, et différents espaces familiaux, eux-mêmes délimités par des murs de pierre, se composant généralement de deux huttes d’habitation et d’une cuisine organisées autour d’une cour. Il semblerait que ce grand enclos ait été conçu pour loger les différentes épouses du roi. Les princes et nobles étaient regroupés dans le complexe de la vallée où l’on peut encore voir des habitations en pisé isolées les unes des autres par des murs en pierre sèche qui affichent un superbe travail décoratif fondé notamment sur les motifs de chevrons et de damiers.
Si le site du Grand Zimbabwe illustre l’idée d’une architecture pensée comme une extension de l’environnement naturel, les ruines de Khami (Khami Ruins), elles, témoignent de l’avènement d’une architecture pensée pour modeler et modifier l’environnement. Capitale du royaume de Butua gérée par la dynastie shona des Torwa, Khami a supplanté le Grand Zimbabwe au XVIe siècle. Les deux sites partagent de nombreuses caractéristiques communes, notamment en matière d’organisation spatiale. La résidence du chef (mambo) se trouve sur une colline, surplombant ainsi les huttes en pisé entourées de murs de granit dévolues à la population, tandis que de nombreux passages et galeries couvertes relient les différents espaces. La technique des murs en pierre sèche est toujours employée, mais cette fois-ci les murs ne sont plus simplement utilisés pour délimiter les espaces, mais aussi pour les modeler. Le site de Khami introduit en effet la notion de murs de soutènement qui permettent la création de séries de plateformes et terrasses complexes. Éléments architecturaux phares, ces murs ont fait l’objet de toutes les attentions décoratives. Une richesse ornementale que l’on retrouve dans le « Cluster des Dzimbabwes » de Naletale, non loin de la cité de Gweru, qui a prospéré entre les XVIe et XVIIIe siècles. Le site central y est celui de Naletale avec son mur elliptique de 60 m de diamètre richement décoré de motifs à chevrons, cordelettes, damiers, doubles chevrons et d’inserts de pierres colorées. Autour de lui gravitent des sites satellites, comme celui de Nsalansala qui a la particularité de présenter des décorations sur les faces intérieures et extérieures de ses murs. De la présence portugaise de l’époque, il ne reste que très peu de traces. À Dambarare, Masape et Luanze se devinent les feiras composées alors de maisons de brique fortifiées entourées de murs de terre et de fossés. Les Portugais y établirent également des missions dont les églises en brique étaient les éléments centraux.
Richesses vernaculaires
Entourées d’une clôture végétale protectrice, les huttes du peuple san en forme de dôme se composent d’un cadre de fins branchages sur lequel est posé un revêtement d’herbes et de roseaux. Cette volonté de privilégier les matériaux naturels et locaux dans des constructions simples et fonctionnelles se retrouve dans l’ensemble de l’architecture rurale traditionnelle. La plupart des villages se composent de huttes circulaires organisées autour d’un espace central communautaire. Chaque hutte possède une fonction précise (cuisine, lavage, couchage…) Ces huttes peuvent être réalisées selon un système de revêtement en boue ou argile disposé sur un cadre en branchages ou en briques séchées au soleil, et possèdent le plus souvent un toit en chaume conique. Aujourd’hui, il n’est pas rare de voir se côtoyer huttes circulaires et maisons de béton rectangulaires au toit de tôle ondulée. Les huttes de stockage, elles, sont toujours réalisées en matériaux naturels. Beaucoup de greniers sont réalisés sur pilotis pour protéger les denrées. Lorsque l’activité agricole bat son plein, des structures sur pilotis aux allures d’appentis sont construites à proximité des champs pour loger les travailleurs. Autre élément phare de ces villages : l’enclos à bétail ou kraal. Ce mot d’origine afrikaans désignait d’ailleurs à l’origine les villages de forme circulaire, organisés selon une hiérarchie spatiale et sociale très stricte et protégés par des remparts d’épines en forme de palissades. Chez les Ndebele, certains kraals étaient dits « royaux ». De plan ovale et entourés de palissades de robustes poteaux, ils revêtaient alors un caractère militaire et stratégique. Mais si les Ndebele sont aujourd’hui connus dans le monde entier, c’est pour la richesse des formes et couleurs de leur habitat traditionnel. Les hommes sont en charge de la construction : charpente de bois, toiture de chaume, murs d’argile et de boue. La maison est le plus souvent rectangulaire avec une cour en façade et un mur d’enceinte protecteur. Une pièce extérieure, sorte de petit pavillon, est réservée à la cuisine et au lavage. Les femmes, elles, se chargent de la décoration, c’est-à-dire de l’identité même de la maison. Avant les années 1960, les femmes travaillaient essentiellement avec des pigments naturels d’où des couleurs plutôt brunes ou ocrées, mais aussi avec de la suie et du calcaire blanc de chaux pour tracer lignes et motifs en noir et blanc. Avec la découverte des peintures acryliques et vinyliques, les maisons se sont parées de couleurs éclatantes. Au départ, seuls les motifs géométriques étaient privilégiés, puis progressivement les femmes ont incorporé des éléments figuratifs. Symboles d’identité, ces peintures murales ont aussi longtemps été utilisées comme expression d’une résistance culturelle aux différentes oppressions subies par les Ndebele.
Époque coloniale
Les villes d’Harare et de Bulawayo conservent un urbanisme tracé au cordeau typique de la période coloniale. À l’époque de sa création, Bulawayo s’était d’ailleurs vu dotée de larges avenues pour permettre aux chariots tractés par des bœufs de prendre les virages à 90 degrés dans les croisements. En matière architecturale, l’éclectisme est de rigueur. La basilique de l’Immaculée-Conception de Bulawayo reprend les grands codes gothiques avec ses arches pointues, ses colonnes élancées menant à un très haut plafond couvert d’une étonnante charpente en bois. Tours crénelées, baies géminées en ogive, massive sobriété, la cathédrale du Sacré-Cœur d’Harare se fait, elle, résolument gothico-romane. Une mode revival très victorienne, comme celle des espaces verts et autres jardins botaniques, à l’image de ceux d’Harare. Les bâtiments officiels, eux, se font davantage néo-Renaissance avec leurs loggias et arcades, ou néoclassique avec la sobriété de leurs lignes tout en symétrie. Un classicisme qui triomphe dans le style édouardien souvent adopté pour les hôtels de ville et autres « palais » civils couronnés de frontons et balustrades et aux façades rythmées de colonnes. On le retrouve aussi dans les hôtels, comme The Victoria Falls Hotel, l’un des fleurons de l’architecture impériale, avec ses murs d’une blancheur éclatante. Nous voilà bien loin des teintes rosées de l’improbable Leopard Rock Hotel, aux allures de château avec ses fondations de pierre, ses tourelles et ses grands escaliers aux élégants garde-corps qui fit chavirer le cœur de la reine Élisabeth ! En parallèle de cette vague historicisante, se développe une architecture mêlée d’ingénierie, comme le montrent les marchés, gares et autres centres culturels qui font la part belle aux plans ouverts baignés de lumière naturelle via des structures en verre portées par des charpentes métalliques. C’est notamment le cas dans la très belle Galerie nationale d’Harare. En matière résidentielle, qu’il s’agisse des maisons cossues de ville ou des grandes maisons au cœur des plantations, ces dernières témoignent toutes d’une adaptation des codes européens à la réalité du climat local : toits à quatre pans, espace aménagé entre plafond et toit pour favoriser la ventilation naturelle, fondations en briques ou en pierres, colonnades ou vérandas tout autour de la maison… En matière de décor, elles alternent entre le style Cape Dutch venu d’Afrique du Sud (pignons tout en courbe, murs blanchis à la chaux, toiture de chaume), le style néoclassique (colonnes, frontons), et le revival victorien. Activités minières et industrielles ont modifié le pays de manière considérable : défrichage des zones de brousse, irrigation des terres arides, création d’infrastructures routières et ferroviaires… Le barrage sur le lac Kariba avec ses 128 m de haut, 579 m de long et son mur à arches doubles, a permis la création d’un des plus grands réservoirs artificiels du monde. Autre prouesse technique : le Birchenough Bridge sur la rivière Sabi. Ses 1 500 t d’acier réparties sur une seule portée de 330 m de long impressionnent. Mais ces réalisations ne doivent pas faire oublier que tout cet essor industriel était entièrement basé sur un système d’exploitation et de ségrégation. Les populations autochtones étaient envoyées dans les Tribal Trust Lands, zones inhospitalières sans infrastructures et aux habitations précaires, tandis que les « Blancs » prospéraient dans d’agréables cités arborées et autres quartiers huppés. Les banlieues chics d’Harare ont d’ailleurs conservé leurs noms britanniques (Avondale, Belgravia…). Voilà qui explique la difficile relation entretenue par les habitants avec ce patrimoine colonial.
Depuis 1980
À la suite de son indépendance, le Zimbabwe connaît une migration massive des zones rurales vers les zones urbaines, notamment dans la capitale. Mais le manque de logement entraîne la prolifération des bidonvilles. Mais voilà qui n’intéresse que très peu le nouveau gouvernement dont l’objectif est surtout de financer d’imposantes réalisations symboles de puissance. La première d’entre elle est le National Heroes Acre, site de rassemblement et de commémoration. Terrasses aux murs de soutènement en granit incurvés et décorés de motifs à chevrons, moulages d’oiseaux du Zimbabwe émaillés de bronze, formes et volumes géométriques, tout est fait pour rappeler les grandes heures de la « civilisation de pierre ». Un retour à la tradition qui connaît un véritable essor dans les années 1990 où le gouvernement veut asseoir toujours plus sa puissance. La Reserve Bank of Zimbabwe en est le parfait exemple. Cette tour aux murs en granit poli gravées d’images d’un Zimbabwe rural a été imaginée sur le modèle des silos à grains aux toits coniques de la culture shona. Avec leurs bases larges s’affinant progressivement vers le sommet, ces silos stockaient les réserves pendant les périodes de sécheresse. Autre bâtiment phare de l’époque : le nouveau terminal de l’aéroport d’Harare aux fenêtres disposées horizontalement selon des motifs à chevrons, sa tour de contrôle rappelant la tour conique du Grand Zimbabwe et ses couloirs extérieurs évoquant les couloirs et passages couverts des grands sites de pierre du pays. D’imposantes réalisations qui ne masquent pas les problèmes liés à l’explosion démographique. À Harare, les bidonvilles ne cessent de croître. Une situation qui pousse Robert Mugabe à décider, en 2005, leur démolition pure et simple, mettant des centaines de milliers de personne à la rue ou les contraignant à vivre dans des camps temporaires, sorte de nouveaux bidonvilles. Il faut attendre 2010 pour que le projet de rénovation des bidonvilles d’Harare voie le jour. Le premier à faire l’objet d’une réhabilitation est celui de Dzivarasekwa. Les habitants y ont été formés à la plomberie et à la maçonnerie, ont participé à la construction de maisons, à l’installation d’infrastructures sanitaires, à l’asphaltage des routes, mais aussi à la mise en place de solutions écologiques telles que le tri des déchets ou l’éclairage à énergie solaire. Loin des structures sans âme de béton et de verre, aujourd’hui, de nombreux projets offrent une approche originale et novatrice de l’architecture, à l’image de l’Eastgate Center. Conçu par Mike Pearce, ce centre commercial est un parfait exemple de l’architecture biomimétique. Il a été conçu sur le modèle des termitières dont les milliers de petits trous assurent une ventilation naturelle constante et le maintien d’un climat stable. Écoefficient, le bâtiment ne possède aucun système de climatisation et consomme ainsi 90 % d’énergie en moins. Autre très belle réalisation : le centre d’interprétation du parc de Mapungubwe. Imaginé par Peter Rich, il impressionne par ses structures en dômes et arches recouvertes de pierre locale. Au Zimbabwe, innovation semble souvent rimer avec sobriété, comme le prouve l’étonnante Rising Star School d’Hopley (un district d’Harare). 600 000 briques ont été disposées par des maçons locaux, sans recours à des outils technologiques poussés et sans présence sur site de sources d’eau et d’électricité pérennes… une vraie prouesse ! Entre aspect massif et filigrané, ce bâtiment tout en jeux d’ombres et d’ouvertures offre une architecture sans ostentation. Parmi les autres réalisations contemporaines, notons également la très belle Arches Gallery at Aberfoyle avec son toit incurvé, ses fenêtre à claire-voie et son balcon en porte-à-faux avec vue panoramique, ou bien encore l’incroyable Gota Dam Residence, sublime villa construite en porte-à-faux sur un rocher et dont les volumes de granit, de bois et de verre semblent flotter sur les eaux du réservoir. Impressionnant !